Une réalisation de Claire Bustarret (CMH-CNRS EHESS ENS, PSL) et de Serge Linkès (ITEM-CNRS/ENS, PSL)

La base de données relationnelle MUSE (acronyme pour : « Manuscrits, Usages des Supports d’Ecriture ») est une application informatique originale, illustrée d’images numérisées (filigranes, timbres secs, manuscrits), qui permet d’effectuer une description matérielle systématique et détaillée de tout corpus manuscrit du xviiie au xxie siècle. Conçue en premier lieu pour l’identification des types de papier, cette application fonctionne aujourd’hui comme un véritable auxiliaire de recherche permettant d’accompagner les chercheur.e.s dans la description de tout écrit sur support papier. Elle facilite l’élaboration et la validation d’hypothèses de travail sur les avant-textes et les archives papier (classement, datation…), mais aussi plus largement l’étude des usages et des pratiques de l’écrit à l’ère moderne et contemporaine.

The relational database MUSE (acronym for: “Manuscrits, Usages des Supports d’Ecriture” – « Manuscripts, Uses of Writing Materials ») is an original application, illustrated with digitized images (watermarks, dry stamps, manuscripts), which allows a systematic and detailed material description to be made of any manuscript corpus of the eighteenth to the twenty-first century. Designed primarily for the identification of paper types, this application has become a real research auxiliary to support researchers in describing any kind of written object on paper. It facilitates the development and validation of working hypotheses on literary drafts and paper archives (classification, dating …), but also more widely the study of the uses and practices of writing in the modern and contemporary era.

Conçu par Claire Bustarret[1] et Serge Linkès[2], cet outil de recherche pour l’analyse codicologique des manuscrits modernes et contemporains, unique à l’échelle internationale, complète les ressources existantes (répertoires de filigranes), car il mobilise un ensemble de critères décrivant dans son intégralité la feuille utilisée comme support d’écriture, dont le filigrane ne constitue qu’un élément, parfois absent (Bustarret, Linkès, 2004). La base MUSE permet non seulement d’identifier, sans recourir à une expertise optique ou chimique, les différents types de papier utilisés, mais de rendre compte des modalités d’utilisation (Bustarret, 2011, 2012), telles que pliage, assemblage, découpage, collage, disposition de l’espace graphique, répartition des mains et des instruments d’écriture.

Historique

La première version de la base de données MUSE a été conçue dans le cadre du programme du CNRS « Archives de la création » (2000) comme un nouvel instrument de recherche en codicologie et en génétique des textes (Bustarret, 2009). La codicologie, discipline érudite traditionnellement consacrée à la description matérielle des manuscrits médiévaux, a connu au cours des années 1970-1990, sous l’égide de Louis Hay et de Marianne Bockelkamp, un développement inédit au sein de l’Institut des textes et manuscrits (ITEM, CNRS-ENS, PSL), qui a nécessité la mise au point d’une méthodologie spécifique à l’analyse des documents de l’ère moderne et contemporaine (Bockelkamp, 1982, 1988, Hay, 1978). De 1990 à 1999, Claire Bustarret a été chargée de concevoir une base de données facilitant l’inventaire des données matérielles d’un corpus, préalable nécessaire au classement des brouillons et des archives dans la perspective d’établir le « dossier génétique » d’une œuvre littéraire. Cette base intitulée « Profil » (Bustarret, 1994, Bustarret et de la Passardière, 2002), illustrée de plusieurs dizaines de reproductions bétaradiographiques[3] numérisées, a permis de classer les quelque 300 types de papier jusqu’alors inventoriés par l’ITEM.

A partir de 2000, date des débuts de notre collaboration, nous avons élaboré une première version de la base MUSE, principalement axée sur l’identification des types de papier filigrané ou non filigrané, de fabrication manuelle ou industrielle, principalement de fabrication française. Comportant notamment des indices quant à leur date de fabrication et leur provenance régionale, MUSE répertorie ainsi 1250 types de papier différents qui sont attestés, parmi les archives manuscrites que nous avons dépouillées, dans plus de 5000 séquences de feuillets du même type (séquences d’1 à plus de 500 feuillets). Signalons qu’aucun outil en ligne n’existe par ailleurs pour identifier les papiers occidentaux de la période moderne et contemporaine[4].

MUSE permet également de recouper ces données avec le descriptif de la composition des registres, volumes ou cahiers (reliés) ainsi que des liasses ou feuillets volants (non reliés), avec l’analyse de la répartition des scripteurs et des instruments d’écriture et de leurs usages, de façon à faciliter un repérage des campagnes de rédaction et des phases d’élaboration.

Les caractéristiques fonctionnelles de cette base en font donc d’ores et déjà un auxiliaire de recherche autonome qui permet d’élaborer, grâce aux requêtes multicritères, des hypothèses rigoureuses, étayées par un relevé exhaustif des occurrences, concernant les différents types de papier employés au sein d’un corpus d’œuvre (Bustarret, Linkès, 2008).

Le traitement de plusieurs corpus étudiés hors-ligne depuis 2000 (notamment de manuscrits de Montesquieu, Rousseau, Condorcet, Stendhal et Duchamp, soit plusieurs dizaines de milliers de feuillets) a montré l’efficacité de la base MUSE quant à la datation, au classement et, par voie de conséquence, à l’interprétation des dossiers génétiques les plus divers et les plus complexes (voir Bibliographie). Cependant ces enquêtes systématiques nous ont permis d’évaluer les perfectionnements et adaptations nécessaires pour que MUSE en ligne permette à la codicologie appliquée aux écrits sur papier modernes et contemporains de contribuer à une véritable avancée méthodologique et heuristique dans le domaine des humanités numériques.

Développement et perspectives

Nous avons donc travaillé récemment (grâce au financement de l’ANR Condor 2017[5]) à une refonte complète de l’application, afin d’en améliorer les performances en tenant compte de nouvelles perspectives et pratiques de recherche. En effet, au-delà du domaine littéraire initialement traité, l’actualité requiert une meilleure adaptation de l’outil pour répondre à l’intérêt croissant des chercheur.e.s en sciences humaines envers l’archive sous toutes ses formes et afin de participer au développement des humanités numériques. Il s’agit notamment de s’adapter à différents types de corpus (comme la correspondance, qui comporte d’importantes spécificités matérielles) et d’intégrer de nouvelles données, telle que la transcription des textes ou avant-textes concernés, en vue de contribuer aux inventaires ou éditions numériques.

Le remaniement visait surtout à rendre MUSE disponible en ligne en tant qu’outil heuristique multi-corpus, conservant sa forme initiale de base de données relationnelle – afin d’en préserver la souplesse d’utilisation et les performances – mais hébergé désormais sur un serveur (TGIR-Huma-Num) et accessible en réseau à travers une interface FileMaker-Pro (fournie par l’hébergeur) bénéficiant d’une connexion sécurisée afin de conserver l’intégrité des données et d’en protéger le contenu. Contrairement à l’outil heuristique « hors ligne » antérieur, la version en ligne permet à plusieurs intervenants, depuis janvier 2018, d’effectuer des relevés dans différentes institutions de conservation par le biais de connexions distantes simultanées. Diverses campagnes de saisies de données sont encore requises à ce stade, ainsi qu’une importante campagne de numérisation des filigranes et des timbres secs puisqu’à ce jour 70% des filigranes ne sont pas reproduits dans la base, faute de financement spécifique[6].

Cette transformation de l’outil devrait permettre de généraliser l’usage de MUSE au sein des équipes de recherche travaillant sur des archives papier, moyennant une formation concernant l’analyse codicologique et l’utilisation de l’outil lui-même.

Faire de MUSE une base partagée en ligne permettra à tou.te.s les chercheur.e.s travaillant sur des archives manuscrites dans le cadre des humanités numériques d’exploiter les résultats de l’analyse matérielle à travers leurs propres interfaces (principalement des éditions et répertoires élaborés sur les bases du XML et du TEI)[7]. L’application à la correspondance de Condorcet, en corrélation avec la base de données Ribemont, instrument principal de l’Inventaire Condorcet, constitue une première expérimentation à grande échelle (Bustarret, Vanzieleghem 2016).

MUSE On Line, un site web de référence en codicologie moderne et contemporaine

En complément de cet outil de recherche partagé, le projet MUSE On Line[8] consiste à élaborer un site web destiné à exposer les résultats d’ores et déjà obtenus en matière d’identification de papiers filigranés modernes et contemporains, afin de les partager avec les chercheur.e.s de tous horizons, puisque l’intérêt pour l’archive et son traitement numérique, comme c’est le cas pour l’utilisation des papiers et des instruments d’écriture, dépasse largement nos frontières. En effet, nous recevons de nombreuses demandes de spécialistes de différents pays s’interrogeant sur l’identité de papiers d’origine française dans les corpus qu’ils/elles étudient. Le site web MUSE On Line devra répondre à ces demandes croissantes et se constituer en tant qu’outil de référence capable notamment de pallier l’absence de répertoires de filigranes pour la période des XIXe et XXe siècles. Nous espérons que la consultation de ce site incitera des chercheur.e.s à devenir contributeurs de la base et usagers de l’outil de recherche codicologique, augmentant ainsi la masse des données communicables sur le site, ce qui ne fera que rendre ce dernier plus efficace.

La mise en ligne de ce site de référence permettra aux utilisateurs de reconnaître et d’identifier des papiers filigranés, à travers une interface d’interrogation proposant plusieurs entrées (dates d’utilisation, auteur, copiste, type de document, institution de conservation, filigrane, papetier, …) et facilitera la comparaison d’images de filigranes, la génération de listes d’occurrences pour chaque corpus, selon les besoins des chercheur.e.s.

Dans le contexte général d’une vaste entreprise de numérisation des corpus patrimoniaux, le projet MUSE (associant l’outil de recherche codicologique et le site de référence pour les papiers filigranés) entend ainsi préserver, valoriser et exploiter les données matérielles caractérisant tout objet écrit, que l’image numérique élimine puisqu’elle reproduit uniquement l’aspect visuel de la surface écrite, tandis que le support matériel original, objet d’étude spécifique de la codicologie, tend à devenir inaccessible. Ainsi, à l’heure où l’archive papier est soumise à un transfert systématique sur le support numérique, il est plus que jamais crucial d’associer l’analyse codicologique aux inventaires et éditions numériques de manuscrits et de correspondances de l’ère moderne et contemporaine.

MUSE est consultable à partir du serveur d’Huma-num fm02.db.huma-num.fr, avec un accès « invité » à travers l’interface FileMaker Pro 16 sur Mac et PC et sur IOS (Iphone et Ipad) en téléchargeant gratuitement FileMaker Go 16 sur App Store. Cet accès en lecture seule vous permettra d’explorer l’outil afin d’en tester les possibilités d’analyse et l’adéquation à votre corpus.

Vous pourrez par ailleurs demander un accès avec le statut « utilisateur » à la base de données MUSE sur demande à l’adresse suivante : musecodico@gmail.com.

Cette page est consultable sur https://musecodico.hypotheses.org, http://www.item.ens.fr/supports-et-traces/ et http://alpha.inventaire-condorcet.com.

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Références bibliographiques :

  • Bockelkamp M., 1982, Analytische Forschungen zu handschriften des 19. Am Beispiel der Heine-Handschriften der Bibliothèque nationale Paris, Hamburg, Hauswedell & Co.
  • Bockelkamp M., 1988, « L’analyse bétaradiographique du papier appliquée à l’étude des manuscrits de Diderot », Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, 254, p. 139-173.
  • Bustarret C., 1994, « L’histoire du papier appliquée à l’étude des manuscrits modernes : la base de données PROFIL», Actes du Colloque d’Annonay, Association internationale des Historiens du Papier, IPH Congress Book, 10, p. 39-43.
  • Bustarret C. et de La Passardière, B., 2002, « Profil, an iconographic database for modern watermarked papers », Computer and the Humanities, 36/2, p. 143-169.
  • Bustarret C. et Linkès S., 2003, « Un nouvel instrument de travail pour l’analyse des manuscrits : la base de données MUSE», Genesis, revue internationale de critique génétique, n° 21, p. 161-177. [En ligne], Mis en ligne le : 16 mars 2008. http ://www.item.ens.fr/index.php?id=223455
  • Bustarret, C., 2004, « Analyse codicologique », in Condorcet Tableau historique des progrès de l’esprit humain, Projets, Esquisse, Fragments et Notes, édité sous la direction de J.-P. Schaendeler et P. Crépel par le groupe Condorcet, Paris, Institut national d’études démographiques, p. 1201-1240.
  • Bustarret C. et Linkès S., 2008, « De MUSE en ARGOLIDE, ou la codicologie à l’ère du numérique », Recherches & Travaux [En ligne], 72, p. 119-136, mis en ligne le 15 décembre 2009.

http ://recherchestravaux.revues.org/97

  • Bustarret C., 2009, « Approche codicologique du manuscrit moderne », in Critique génétique, Concepts, méthodes, outils, sous la dir. d’Olga Anokhina et Sabine Pétillon, coll. Inventaires, IMEC éditeur, p. 49-59.
  • Bustarret C., 2011, « Couper, coller dans les manuscrits de travail du xviiie au xxe siècle », in Lieux de Savoir, vol. 2 : Les mains l’intellect, Christian Jacob dir., Albin Michel, p. 353-375.
  • Bustarret C., 2012, « Usages des supports d’écriture au xviiie siècle : une esquisse codicologique », Genesis, revue internationale de critique génétique, 34, p. 37- 65. http://genesis.revues.org/908
  • Bustarret C., 2013, « Databases on modern and contemporary Papers : shared Reference Lists or Working Tools for Research ? », XXXIst International Paper History [IPH] Congress, 2012, IPH Congress Book / Livre des Congrès IPH, vol. 19, IPH Edition, p. 109-115.
  • Bustarret, C. et E. Vanzieleghem, 2016, « Inventaire Condorcet : méthodes érudites et gestion électronique », Bulletin du bibliophile, 2016/2, p. 330-355.
  • Hay L., 1978, « Le manuscrit : langage de l’objet », Bulletin de la Bibliothèque nationale, 2.
  • Linkès, S., 2017, « Du manuscrit moderne au brouillon numérique : un nouveau défi pour la critique génétique ? » in Génétique des textes et des formes : l’œuvre comme processus, Actes du Congrès international de Cerisy-la-Salle, CNRS-Éditions, Paris.
  • Volpilhac-Auger C., 2001, L’Atelier de Montesquieu, Manuscrits inédits de La Brède, Cahiers Montesquieu 7, Liguori Editore, Napoli, Voltaire Foundation, Oxford, dont Bustarret, C. « Le manuscrit 2506 : inventaire des papiers », p. 284-305.

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[1] IR CNRS, CMH-CNRS EHESS ENS, PSL, membre associé de l’ITEM-CNRS/ENS.

[2] Université de La Rochelle, membre de l’ITEM-CNRS/ENS, membre associé au CMH-CNRS/EHESS/ENS, PSL.

[3] La bétaradiographie est une technique de reproduction du papier par rayons Bêta, permettant de visualiser la structure et le filigrane en éliminant les traces écrites.

[4] Les bases de données existantes se concentrent exclusivement sur les filigranes, et en règle générale sur un corpus monographique en cours d’édition, à l’exception des sites mettant en ligne d’anciens répertoires de filigranes, tel le portail Bernstein-Memory of Paper.

[5] Projet “Condor : Inventaire analytique et matériel de la correspondance de Condorcet” (2017-2020).

[6] MUSE ne contient actuellement qu’environ 400 reproductions de filigranes – marques et contremarques – sur environ 2500 images requises correspondant aux 1200 types de papier filigranés identifiés.

[7] Ce projet a fait l’objet en 2017 d’une demande de financement spécifique auprès de L’IRIS SDDS (Science des Données et Données de la Science).

[8] Ce projet a fait l’objet en 2017 d’une demande de financement auprès de l’IRIS « Scripta-PSL. Histoire et pratiques de l’écrit ».