01/09/2023 - 31/08/2025

Comment expliquer que la publication des Souffrances du jeune Werther ait déclenché une vague de suicides parmi les lettrés européens, ou que la sortie de Naissance d’une nation ait ressuscité un Ku Klux Klan moribond ? Si la fiction influe parfois sur la réalité, n’est-ce pas parce que la réalité elle-même est, au moins pour partie, de nature fictionnelle ?

L’enjeu central de mon projet est celui de la performativité des représentations illusoires. Il suppose d’interroger, d’une part, la propension qu’ont les êtres humains à se bercer d’illusions et à (se) raconter des histoires, c’est-à-dire à affabuler en même temps qu’ils perçoivent et décrivent ce qu’ils nomment « réalité ». D’autre part, l’omniprésence de ces représentations illusoires implique d’étudier également leurs effets réels sur la pensée et le comportement humains, du simple fait qu’elles sont crues et diffusées. J’entends ainsi élaborer une anthropologie philosophique inédite, celle de l’homo fabulator.

Dans le cadre de ce projet, je me concentrerai spécifiquement sur les germes de cette anthropologie philosophique de l’homo fabulator, au cours du second XIXe siècle, qui voit émerger une nouvelle représentation du monde, de l’homme et de la place qu’il y occupe, entérinant le déclin de la métaphysique et l’avènement des sciences de l’homme. Ces disciplines, qui s’entrecroisent et dont les représentants dialoguent, se citent, se traduisent et débattent, contribuent ainsi à mettre en avant la place de la fabulation dans le fonctionnement de la psychè et des sociétés humaines.

L’originalité de ma démarche tient à un triple renversement :

1) Historique, par l’attention que j’accorde au second XIXe siècle. Cette attention s’oppose à la fois à la focalisation trop exacerbée pour l’hyper actualité, qui nous rend aveugles aux processus qui l’ont rendue possible, et au poids écrasant de l’idéalisme allemand du début du XIXe siècle dans l’histoire de la philosophie, qui occulte l’importance pourtant décisive des décennies suivantes.

2) Disciplinaire, par l’approche interdisciplinaire que je propose d’adopter en étudiant les nombreux champs académiques prétendant au statut de sciences de l’homme. L’orientation empirique prononcée de ces disciplines contribue à forger une toute nouvelle image de la nature humaine et de ses facultés de connaissance, qui accompagne et entérine le déclin des représentations illusoires véhiculées antérieurement par la religion et par la métaphysique.

3) Philosophique, dans la mesure où l’ébranlement qui, dans le prolongement de la révolution kantienne, se cristallise dans la seconde moitié du XIXe siècle, voit la remise en question radicale de ce qui a fait l’objet de toute l’histoire de la philosophie : la quête de vérité, au profit d’une enquête sur les conditions de possibilité de l’illusion, désormais conçue comme première.

La théorie philosophique unificatrice que je propose, faisant fond sur une approche interdisciplinaire, s’efforcera ainsi d’offrir l’archéologie d’un régime épistémologique aujourd’hui dominant en le situant dans le contexte intellectuel qui l’a vu naître. Il en va de la juste compréhension de notre modernité en crise et de la relation que les êtres humains entretiennent avec le monde qui les entoure.

Porteur du projet : David Simonin

 


Descriptif du projet sur le site de l’ANR (à venir)