04/09/2018

« Il y a dix ans, Steve Jobs présente son dernier-né : iPhone, premier téléphone cellulaire contenant un navigateur Internet, un iPod et un écran tactile multi-touch. C’est une révolution. Depuis, le smartphone a su se rendre aussi indispensable que l’air qu’on respire : il nous suit partout, on ne l’éteint que forcé et contraint, on ne s’en sépare jamais, au point que certains commencent à parler de pathologie addictive, de perte de mémoire, d’hyper connexion, de confusion mentale. D’un autre côté, chacun mesure, au quotidien, l’étendue des services rendus : communiquer, s’informer, traduire, écouter, éclairer, lire, écrire, voir, photographier, compter, payer, acheter, vendre, jouer, être alerté, être guidé, appeler à l’aide … Il n’est pas seulement un intercesseur confortable du réel, il devient notre point de vue, notre cadrage sur la réalité, les autres et nous-même. Il a acquis une telle fonction de médiateur dans notre perception du monde, qu’il finit par adhérer à nous comme une sorte d’artefact organique qui rend de plus en plus floue la frontière entre l’outil et son utilisateur. Finirons-nous par fusionner ? Les jeunes le croient.

Avec la montée en puissance de l’Intelligence Artificielle et de la technologie 5G, les dix années à venir vont donner naissance à un super Smartphone qui bouleversera encore plus profondément nos façons de vivre et de penser. Armé d’un assistant qui répondra au moindre de nos désirs, plaçant entre nos mains tous les acquis de la révolution numérique, il finira par faire de nous des sortes de simili héros dotés de superpouvoirs.

Mais, dans le même temps, il y a toutes les chances que ses travers d’aujourd’hui se métamorphosent en véritables difformités. Il nous a appris à désapprendre, à vider notre mémoire : il nous apprendra à réagir en assistés, à devenir totalement dépendants de ses applications. Il flatte nos penchants pour les communications inutiles, les jeux ineptes et les divertissements idiots : il passera maître dans l’art de nous faire perdre le temps le plus précieux de notre vie. Il vend déjà nos profils au plus offrant : il nous transformera en véritable marchandise, en nous soldant à des officines qui se chargeront de nous faire voter et consommer comme il convient. Il a commencé à s’immiscer dans notre vie privée : il nous espionnera nuit et jour, fera de nous les sujets d’un véritable empire de la surveillance permanente. Il pulvérise déjà notre attention en multipliant les alertes, notifications, injonctions : il ne nous laissera plus aucun moment de répit pour penser sans lui, autrement que lui. Il entretient les rumeurs et les fake news : il finira par faire régner la bêtise et le préjugé à l’échelle planétaire.

A moins qu’il ne se transforme au contraire en une arme décisive pour promouvoir une nouvelle conscience collective et donner ses chances à la fraternité, pour outiller les lanceurs d’alerte, la démocratie directe, la défense des libertés, la lutte pour l’équité et la survie de la planète et, le cas échéant, pour assurer la victoire de l’insurrection : smartphones de tous les pays, unisssez-vous !

Nourri, comme un documentaire, d’enquêtes personnelles auprès des usagers, un essai philosophique décapant sur un nouveau comportement à risque : notre dévotion addictive envers l’objet fétiche de la culture numérique »

 

CNRS éditions,
Parution : septembre 2018,
256 p., 19 €