J’ai présenté le premier épisode au séminaire du 12 octobre 2013. Mon premier contact avec les  papiers personnels d’André Pézard datait d’octobre 2012, mais je n’avais commencé à les explorer qu’au printemps 2013. Ma présentation d’octobre 2013 était donc basée seulement sur la comparaison entre les carnets tenus sur le terrain et le texte rédigé du livre : analyses toujours valables. Mais depuis un an, le dossier génétique s’est immensément enrichi, grâce au travail d’Elsa Marguin-Hamon aux Archives nationales, mais aussi à la suite de mes explorations à l’extérieur. Depuis le début, j’ai tenu un « journal de terrain » de la constitution de ce dossier génétique. Il y a eu des coups de théâtre : découvrir que votre auteur avait lui-même rédigé une étude génétique de son œuvre ! Pézard a écrit en 1927 une lettre de 38 pages à Norton Cru pour lui expliquer comment il avait écrit Vauquois… Découvrir qu’autour de la lecture de ce texte s’est constitué un indéfectible trio d’amis (Cru, Pézard et Paul Cazin) et reconstituer le réseau des six volets de leur correspondance, dispersée entre Paris, Marseille et Varsovie… Découvrir surtout que prendre le texte du livre comme point d’arrivée était peut-être une erreur. « La guerre peut bien être finie, écrit Pézard en 1933, mais jamais elle ne sera achevée ». J’ai découvert qu’il avait projeté d’écrire un second livre, fantastique, qui aurait été le roman du survivant, dont il a esquissé le scénario. J’ai découvert surtout un immense journal, laboratoire de créations inabouties, mais en particulier un saisissant journal de rêves, rêves de paysages de guerre, mais idylliques, s’ouvrant sur des « fissures de joie »… D’où une hésitation : faut-il mener à son terme une transcription laborieuse des carnets, ne faut-il pas plutôt éditer le beau journal d’après-guerre ? Me voici à la croisée des chemins.

Philippe Lejeune, spécialiste des autobiographies et des journaux personnels, est l’auteur, entre de nombreuses autres études critiques, du Pacte autobiographique (Seuil, 1975), des Brouillons de soi (Seuil, 1998), et de Autogenèses (Seuil, 2013). Il a co-fondé, avec Catherine Viollet, le séminaire « Genèse et Autobiographie » en 1995.