Séminaire :
Séminaire et activités de l’équipe « Multilinguisme, Traduction, Création » /2024-202506/06/2025
Laura Alcoba, écrivaine et traductrice, est née en Argentine en 1968. Pour fuir la dictature et les persécutions de la Guerra Sucia (1976-1983) elle s’est établie avec sa mère en région parisienne à l’âge de 10 ans. Manèges, son premier texte autobiographique paru en 2007 chez Gallimard, évoque le besoin qui s’imposait en Argentine de surveiller sa langue et de garder le silence, à une époque où un geste ou un mot de travers pouvait trahir le groupe auquel on appartenait. Très jeune, Alcoba se cachait avec sa mère et des militants Montoneros dans une maison soi-disant « sûre » de la Plata mais où tous les militants qui y résidaient ont été massacrés par les forces du Général Videla un jour de 1976. L’espagnol est la langue où la petite Laura a appris à se taire, une langue souillée par la violence et la peur, et qui véhiculait un énorme sentiment de responsabilité, voire de culpabilité. Ce fut pour autant une langue chérie, celle qu’elle utilisait pour écrire des lettres à son père, prisonnier politique incarcéré à La Plata. En tant que jeune réfugiée, elle étudiait et commentait des textes philosophiques et littéraires en français, alors que son père lisait les mêmes textes en espagnol dans sa cellule en Argentine. L’espagnol est alors aussi la langue où s’exprimait l’amour entre père et fille, mais de manière circonscrite et sur le ton de la discussion littéraire.
De cette expérience, Alcoba a tiré une dualité linguistique très fructueuse, et une expérience de l’entre deux. Son œuvre créative traite d’un passé traumatisant mais aussi du processus d’adopter une nouvelle langue (le français), qui apportait une part de libération psychique. Alcoba traite également de douleurs partagées, à cause des violences nationales en Argentine. Elle parle de silences, de trous béants et d’émotions fortes mais tues, ainsi que de transformation et de la (re)construction de soi par l’écriture. Aujourd’hui, en plus de ses activités d’écrivaine et d’enseignante elle pratique la traduction d’ouvrages littéraires de l’espagnol vers le français. Elle ne s’auto-traduit pas, et écrit ses propres livres en langue française. Cependant, d’autres langues font parfois irruption dans ses récits personnels, surtout des bribes d’espagnol mais dans La Danse de l’araignée également quelques fragments en allemand, langue apprise en France et appréciée comme un territoire secret. L’apprentissage de langues additionnelles devient un lieu de conquête, de jeu et de poésie pour cette écrivaine, alors que la langue d’origine demeure entourée d’ambiguïté.
Dervila Cooke est chercheuse et enseignante à Dublin City University en Irlande. Ses recherches portent principalement sur la production culturelle créative très contemporaine, essentiellement pour la France et le Québec, avec des réflexions post-coloniales. Elle a dirigé le numéro thématique de Comparative Literature and Culture de 2016, consacré à la représentation de l’immigration dans l’écriture contemporaine en France, au Québec et en Irlande. Depuis, elle a publié deux monographies chez Palgrave Macmillan, toutes deux en 2024, sur les récits autobiographiques d’auteurs qui sont culturellement mixtes. La première de ces monographies s’appelle Indigenous and Transcultural Narratives in Québec : Ways of Belonging, et la deuxième s’intitule Life Writing and Transcultural Youth in Contemporary France : Azouz Begag, Maryam Madjidi, and Laura Alcoba. Ses premières recherches ont porté sur Patrick Modiano, pour les idées d’auto-bio-fiction et de témoignage, la post-mémoire, l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, la mémoire personnelle traumatisée et le rapport problématique à la francité et à une identité juive mixte. Ses principaux ouvrages sur Modiano sont sa monographie Present Pasts de 2005 et le numéro spécial de French Cultural Studiesqu’elle a dirigé en 2012 : Modiano et l’image. Elle s’intéresse également aux flâneurs et aux flâneuses, y compris dans la sphère culturelle contemporaine.