Séminaire "Décrire la création" / 2022-2023

25/05/2023, ENS, 45 rue d’Ulm, salle Celan - 17h00 à 20h00

Marie-Renée Chevallier-Kervern, Tu es poussière, 1973, étoffe cousue, 166 x 151 cm, coll. particulière, ©MRCK héritiers ; photo : archivio dell’arte / Pedicini fotografi

Le 21 mai 1938, Max Jacob, invité par la Société des Amis des Arts, donne une conférence sur l’Art moderne en ouverture du Salon de peinture de Brest. Pendant son séjour brestois, il se lie d’amitié avec Marie-Renée Chevallier-Kervern à laquelle il rend visite à Landéda, et dont il apprécie beaucoup les œuvres. La dédicace est inscrite sur l’exemplaire numéroté de Rivage, dont un fragment est cité dans l’intitulé de la séance. Elle témoigne de la grande estime et admiration que le poète porte envers son art.

Native de Landerneau, Marie-Renée Chevallier-Kervern (1902-1987) s’est formée à l’École des Arts Décoratifs de Paris, les femmes n’étant pas admises à l’École des Beaux-Arts. Son œuvre des années 1920-30 à Paris est marqué par des recherches sur les traditions bretonnes, en gravure et en céramique. En 1935, elle fait la connaissance de Madame Paul Sérusier, amitié entretenue par une longue correspondance. En 1936, elle s’installe à Brest, où son mari, Fernand Paul Chevallier (1899-1985) peintre lui-même, est nommé architecte de la ville. Elle s’intègre à la vie artistique brestoise à l’époque très vivante, se liant d’amitié avec Jean Deyrolle et Charles Estienne, alors étudiant, qu’elle introduit aux problèmes de la peinture et de l’art moderne. Après la guerre, Fernand Paul devient directeur de l’École des Beaux-Arts et elle, professeure de cette même école. Ils sont à l’époque sans aucun doute les figures majeures de la vie artistique et culturelle de Brest.

Éloignée de la vie artistique parisienne, Marie-Renée Chevallier-Kervern traverse un demi-siècle en navigateur solitaire, sans jamais perdre de vue les grands questionnements artistiques de son temps auxquels elle apporte une réponse puissante et originale. Elle contribue à toutes les étapes de l’aventure de l’abstraction créant un corpus impressionnant d’huiles, gouaches, dessins, papiers collés et étoffes cousues. Aujourd’hui, son œuvre est conservée dans quelques collections publiques (Musée des Beaux-Arts de Brest, Musée départemental breton de Quimper, FRAC de Bretagne, Maison de Balzac – Paris) et dans les collections privées. Sa dernière exposition personnelle sur une partie de sa production remonte à 1982 au Musée de Brest. À ce jour, la seule publication retraçant en partie son parcours artistique est le petit catalogue en noir et blanc établi en 1970 par René Le Bihan. L’œuvre de la peintre demeure mal connue, alors qu’elle participe pleinement de la peinture moderne, en dialogue avec les autres artistes de sa génération (Deyrolle, Degottex, Bissière, Le Moal, Manessier, Bazaine, etc.).

René Le Bihan (conservateur du musée de Brest de 1964 à 2002) entra, dès sa prise de fonction, en rapport avec Marie-Renée Chevallier-Kervern. Intéressé par sa vision puissante et originale, il suivit de près l’évolution de son travail tout au long de sa vie. Aussi, organisa-t-il, en l’hiver 1970, une importante exposition personnelle de l’artiste. Ensuite, il fréquenta, de manière assidue, le couple : Fernand Paul (1899-1985), architecte et ancien directeur de l’École des Beaux-Arts, et Marie-Renée (1902-1987) dans leur calme retraite de l’Aber-Wrac’h. Depuis, soutenu par l’universitaire et graveur Yves Plusquellec, ancien élève de l’artiste, il n’a cessé, par la parole et par l’écrit, de faire connaître leur parcours et leurs œuvres.

Lorenzo Vinciguerra (professeur d’esthétique à Université de Picardie Jules Verne et à l’Université de Bologne) retracera quelques aspects majeurs de l’œuvre de Marie-Renée Chevallier-Kervern, qui consacra sa vie à l’art pour, disait-elle, « griffer la terre ». Contrairement à d’autres peintres de sa génération, sa conquête de l’abstraction et l’expérimentation de matériaux et techniques autres que la peinture ne se firent ni suite à un abandon définitif de la figuration, ni en opposition à celle-ci, encore moins au détriment de la tradition, mais en continuité et parallèlement à des pratiques de composition et de dessin qui leur sont communes.

Sara Fontana (Maîtresse de conférences à l’Università di Pavia, Dipartimento di Musicologia e Beni Culturali, Cremona) présentera les premiers résultats des recherches sur les carnets de voyage de Marie-Renée Chevallier-Kervern. Les vingt carnets conservés sont le fruit des voyages effectués entre 1948 et 1979 en France, en Italie, en Espagne, au Portugal, en Allemagne et à Londres. Dessins et aquarelles en pleine page s’alternent avec des feuillets où les notes de voyage sont mélangées avec des croquis colorés. Paysages, architectures, objets d’art, anecdotes et figures folkloriques donnent vie à un récit autobiographique plein de suggestions visuelles, littéraires, musicales, artistiques et anthropologiques. Œuvres autonomes à tous égards, les carnets ont été aussi une forge précieuse pour la réalisation des peintures ainsi que des étoffes cousues. La conférence proposera l’étude des quatre premiers carnets presque entièrement dédiés aux voyages en Italie entre 1954 et 1960.

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Nadia Podzemskaia (chercheure CNRS, ITEM) fera un aperçu sur les archives et la bibliothèque de Marie-Renée Chevallier-Kervern. Ensemble avec Daria Sorokina (doctorante à l’ENS), elle présentera le travail en cours sur le site web de l’artiste.