Ce ne sont pas à proprement parler des brouillons de guerre qui seront présentés ici, mais bien d’après-guerre. En juin 1967, éclate la « guerre des six jours » au Proche Orient. À l’automne de cette même année, Pierre Mertens (écrivain belge né en 1939, Prix Médicis pour Les Éblouissements, Le Seuil, 1987), écrivain et juriste, effectue une mission d’observation internationale pour le compte de la Ligue des droits de l’Homme et avec l’aide d’une association de soutien à Israël. Sa mission le mène en Israël mais aussi en Égypte, Syrie, Jordanie, Liban, Irak. De cette mission il ramène de nombreuses notes, retrouvées dans ses archives personnelles. Ces notes constitueront la matière et la source de trois types de documents et prises de position : des rapports pour la Ligue des Droits de l’Homme, une fictionnalisation dans un roman fortement autobiographique, Les Bons Offices (Le seuil, 1974) et des participations à des expressions publiques pro-palestiniennes. Nous tâcherons d’analyser les tonalités, entre neutralité recherchée, affichage public et ambiguïté romanesque, auxquelles aboutissent les mêmes « brouillons » dans les trois registres différents, en nous demandant si sincérité il y a, dans lequel des trois elle est la mieux exprimée : « Je crois à la vérité, oui : », écrit Mertens dans un autre roman, Perasma (Le Seuil, 2001), « à l’opacité de la vérité ». Nous chercherons également à savoir comment lier ces carnets d’une guerre observée dans ses conséquences à une autre guerre, 39-45, vécue dans la « préhistoire », selon ses propres termes, de l’écrivain, à des notes qu’il n’a pas pu prendre : un conflit qui, par son empreinte et ses silences, est à la source et au cœur de l’œuvre de l’écrivain belge, avec, notamment, la « question » juive qui la traverse et l’interpelle de façon aiguë. Une œuvre dont l’enfance en temps de guerre est, en un sens, le brouillon.

Jean-Pierre Orban est chercheur associé à l’ITEM, au sein de l’équipe « Manuscrits francophones du Sud ». Romancier (Vera, Mercure de France, Prix du Premier roman 2014), dramaturge (King Leopold II, d’après Mark Twain, Théâtre de la Place des Martyrs, Bruxelles 2005) et nouvelliste, il est aussi directeur de la collection patrimoniale « L’Afrique au cœur des lettres » (L’Harmattan) et de la collection de fictions « Pulsations » (Vents d’ailleurs). Ses recherches génétiques portent sur les auteurs africains, en particulier Sony Labou Tansi (« Interférences et création, La ‘dynamique auteur-éditeur’ dans le processus de création chez Sony Labou Tansi à partir de la comparaison entre Machin la Hernie et L’État honteux », Genesis, n° 33, oct. 2011, p. 31-44), Noël X. Ebony (Présentation du manuscrit de Déjà vu de Noël X. Ebony dans la revue en ligne Continents manuscrits, ITEM, 2014) ou Paul Lomami Tchibamba (édition de ses œuvres inédites, L’Harmattan 2007 et 2014). Il s’intéresse particulièrement aux interférences éditoriales dans la genèse romanesque (« L’auteur africain, entre instance éditoriale et autonomie de création », intervention in L’auteur, 14e congrès de l’Association pour l’Etude des Littératures africaines (APELA), septembre 2011, Actes à paraître en 2014 et « Ethique éditoriale et manuscrits africains », exposé, Université de Nouakchott, juin 2008, www.harmattan.fr/uploads/complements/EDMA1.pdf). Depuis 2010, il mène des entretiens et une recherche sur Pierre Mertens, et achève ces mois-ci un ouvrage bio-littéraire sur l’entrelacement entre vie et œuvre chez lui, à paraître en 2015.