All. ; Angl. Genetics of Performance ; Ar. ; Esp. ; It. ; Jap. ; Port. Rus.
• Reconstruction de la genèse de l’œuvre théâtrale, entendue comme l’ensemble constitué d’un texte dramatique et de sa (ou ses) représentation(s).
• Reconstruction de la genèse de l’œuvre théâtrale, dans la variété de ses formes, entre processus pluriels de création scénique et pratiques d’écriture.
• Mouvement génétique spécifique, par lequel le théâtre se distingue des autres arts collectifs ou performatifs (jeu du texte et du corps vivant, relais ultime des « auteurs » par les acteurs, inachèvement structurel du spectacle-événement public).
Hist. L’approche génétique du théâtre débute dans les années 1990, après une longue préhistoire d’où se détachent, d’une part, les éditions savantes des grandes œuvres dramatiques qui reproduisent les ébauches et versions successives des pièces, d’autre part, les ouvrages consacrés à l’art de la mise en scène (apparu en Europe à la fin du xixe s.), qui introduisent le lecteur dans la fabrique du spectacle. Après quelques études pionnières (Grésillon, 1994), des séminaires s’organisent (ITEM, 2005), on voit paraître les premiers dossiers spécialisés (Genesis 26, « Théâtre », 2005 ; Theatre Research InternationalGenetics of Performance, 2008) ; une entrée « Critique génétique » est ajoutée à l’édition 2008 du Dictionnaire encyclopédique du théâtre. Plusieurs raisons à ce développement rapide : les généticiens désirent explorer des modes de création plus complexes ; les chercheurs en études théâtrales sont en quête de méthodes adaptées aux processus de composition dramatique (Thomasseau, 1984) ou au caractère évolutif de la performance (Feral, 1998) ; les praticiens veulent fixer des productions de plus en plus éphémères. Un public d’amateurs se constitue : on édite des carnets d’acteurs (le journal de bord d’Aurélien Recoing pour le Soulier de satin de Vitez, 1991), des manuscrits (Heiner Müller, 2003), un film montre Chéreau dirigeant des répétitions (Metge, 1996). Le mot « génétique » recouvre aujourd’hui deux types de démarche. La première prend en compte la genèse de l’écriture théâtrale (l’école française qui, détachée de son passé littéraire, articule l’étude des matériaux textuels et celle du travail de plateau ; l’école allemande, fondée sur les analyses de manuscrits – le grand exemple étant Woyzeck ; l’école russe, adossée à une tradition archivistique). La seconde privilégie l’élaboration du spectacle, l’ethnographie des répétitions (on la trouve surtout au Canada, en Australie, aux États-Unis).
Théor. Le théâtre exacerbe plusieurs grandes questions génétiques.
A. La question de l’auteur.Si l’image du relais entre l’auteur (= l’écrivain) et le metteur en scène domine les premières études de genèses, ce schéma se trouble assez vite, « texte et scène demeurant, à tous les moments de la création, interdépendants entre eux » (Grésillon, Thomasseau, 2005). L’antécédence absolue du premier est remise en question : qu’il travaille dans la solitude ou au bord du plateau, celui qui « écrit pour le théâtre » (Autant-Mathieu, 1995) n’est pas sans concevoir une aire de jeu virtuelle. Pour le metteur en scène, tout ne commence pas à la découverte du texte, comme on le pense en général. Le choix de celui-ci répond à une dynamique poétique préexistante, qui le définit lui-même comme artiste (c’est à cette logique qu’obéit la collection de référence « Les voies de la création théâtrale » dont les volumes sont consacrés à Brook, Meyerhold, Strehler…) Cependant, la figure du « stage director » démiurge se voit à son tour nuancée : l’observation généticienne éclaire la porosité des pratiques théâtrales (le scénographe, le créateur lumière, un comédien, l’auteur… peuvent constituer avec le metteur en scène des associations plus ou moins stables) ; elle montre le poids de la production, au sens économique et administratif. À côté des documents artistiques que sont les manuscrits, les cahiers de régie, les brochures d’acteurs ou les schémas d’implantation…, les dossiers génétiques accueillent des pièces juridiques et financières concernant le lieu – déterminant –, la construction du décor (commandes, factures), la distribution (contrats), les tournées… Elle montre l’œuvre progressant par écrits, par voix et par gestes. Le théâtre est parfois qualifié d’art « collectif », mais ce mot ne lui convient guère, tant il engage, à chaque étape, des subjectivités à vif. Lieu de la suspension identitaire, de l’intuition artisanale, des instants de grâce anonymes, il incarne, parfois drôlement, les troubles qui affectent toute instance auctorale.
B. La question de l’inachèvement. À l’inverse de la perspective classique, l’approche génétique souligne « la fragilité du modèle d’œuvre “achevée” » (Hay, 1986 ®inachèvement), quel que soit le champ artistique. Le théâtre, lui, s’inachève au fur et à mesure qu’il croît : a) le texte est doublement « troué » : sa part didascalique attend d’être réalisée, le « dialogue » doit être dit ; b) dans le mouvement du jeu, le texte est modifié (voir les manuscrits de souffleur, les enregistrements audio) ; c) aucune représentation n’étant identique, « “le spectacle”n’a pas de réalité » (Claude Régy) ; d) l’œuvre, jamais fixée, vit par ses spectateurs. « La seconde apparition du théâtre, remémoré, filtré, lavé dans le vécu de tous les jours, est son apparition véritable » (Matthias Langhoff). Les inachèvements se succèdent, situés dans des temps différents : celui qui précède la rencontre du spectacle avec le public ; celui qui suit immédiatement cette rencontre (les réactions des salles guident les praticiens) ; celui par lequel le spectacle vit ; celui, enfin, de la mémoire.
L’originalité du phénomène théâtral offre une occasion d’exercice à la pensée généticienne. Inversement l’entrée de la critique génétique dans les Études théâtrales contribue à faire bouger les lignes théoriques, à rapprocher les disciplines du texte et celles de la scène. Du fait de sa méthode d’archivage d’abord : ainsi, la « conduite lumière » rejoint les schémas de composition de l’œuvre dramatique, alors que la réplique devient un élément sonore dans les notes des assistants. Par sa ductilité programmatique surtout : « En ouvrant les portes de l’arrière-plan, le regard génétique […] donne accès à la dynamique d’ensemble qui sous-tend l’acte théâtral » (Grésillon-Thomasseau, 2005).
Quest. Comment archiver le théâtre ?
Parce que ses œuvres s’évanouissent, parce que son matériau est humain et fragile (l’acteur, les techniciens agissant a tempo), parce qu’il travaille sur l’intime, le théâtre allie la passion des archives à la crainte de l’archivage, qui peut perturber le travail, pire, prétendre le saisir. Après avoir intégré la rature, l’essai et la répétition dans ses sujets et dans ses formes, la scène moderne réagit à la menace de son propre enregistrement, soit en le rendant difficile, soit en l’organisant elle-même (Cixous, 2000). Dans les dispositifs conçus par les artistes, les observateurs sont tenus de mémoriser ce qu’ils voient.

→ MIMESIS, VOIX, SOUFFLE, PHONIQUE, ELOCUTIO, CANEVAS, SCENARIO, IMPROMPTU, ADAPTATION, DIDASCALIE, RÉPÉTITION, SOUFFLEUR (manuscrit de), CAHIER (de régie), BROCHURE (d’acteur), CROQUIS, PLAN

Auteur : Marie-Madeleine Mervant-Roux