All. Narratologie ; Angl. Narratology ; Ar. ? ; Chin. ? ; Esp. Narratologia ; It. Narratologia ; Jap. ? ; Port. Narratologia ; Rus. ?

• La narratologie, science des formes narratives, classiquement fondée sur la distinction entre « récit », « histoire » et « narration », est une des disciplines les plus anciennement et les plus fructueusement mises à contribution par la critique génétique.

Hist.La narratologie (terme proposé par Todorov 1969) prend ses racines dans le Formalisme russe et le New Criticism, voire chez Aristote, mais c’est avec le structuralisme français, à la fin des années soixante et au début des années soixante-dix, qu’elle a connu son essor, c’est-à-dire au moment même où naissait la critique génétique moderne. Si les premiers travaux génétiques portaient plutôt sur des poètes (Heine, Milosz), les romanciers (Flaubert, Zola, Proust, Joyce) n’ont pas tardé à passer au premier plan. La narratologie, notamment la taxinomie élaborée par G. Genette (1972), s’est révélée un outil précieux pour analyser ces corpus. Alors que les premiers narratologues s’efforçaient de produire une théorie permettant de « décrire et classer l’infinité des récits » (Barthes 1966 : 169), les études de genèse se sont plutôt orientées vers l’étude des spécificités de chaque écriture narrative, quitte à dégager des régularités et à définir des types. En se situant « à la croisée stratégique des études littéraires modernes que sont la critique génétique et la narratologie » (1988), R. Debray Genette a joué un rôle fondateur dans la constitution d’une « poétique spécifique des manuscrits » (1988 : 18) où le narratologue « voit se défaire en pièces détachées la belle machine dont il commentait l’ordonnance des rouages, sur texte achevé » (1988 : 29). Dans la même lignée flaubertienne, É. Le Calvez a parlé d’une « narratologie des brouillons » (2002), proposant d’appliquer aux avant-textes les principes d’analyse habituellement consacrés aux textes dits définitifs.
Théor.L’étude peut porter sur des unités textuelles de différentes grandeurs et sur les modalités narratives de leur mise en place dans les brouillons : étude microgénétique de la formation et des transformations qui ont donné jour à un segment narratif singulier ou approche macrogénétique d’une scène, d’un épisode, voire de tout un chapitre. Si l’ambition est principalement théorique, la perspective est renversée. Les narratologues qui visent à construire une poétique génétique des manuscrits ont plutôt tendance à considérer les avant-textes dont ils disposent comme des exemples à partir desquels ils vont analyser le fonctionnement de concepts narratologiques, et éventuellement les infléchir ou les déplacer. On étudiera ainsi les fluctuations des différentes composantes de la narration, la focalisation, la modalisation, les voix (il est intéressant par exemple d’apprendre que le fameux « nous » qui ouvre Madame Bovaryn’est imaginé qu’après la fin de la rédaction, dans une correction marginale sur le manuscrit du copiste), les problèmes de temporalité, d’ellipses, bref, les multiples facettes qui constituent les innombrables éléments d’un récit. Le généticien est particulièrement bien placé pour observer les phénomènes de catalyse (Barthes 1966) ou de simplification pratiqués par la plupart des écrivains. Ainsi les brouillons, dactylogrammes et épreuves d’Ulyssepermettent de voir comment, par expansions successives, Joyce a transformé deux lignes de dialogue en une « Scène messianique » de vingt pages. Dans le cas d’une œuvre inachevée comme la Recherche du temps perdu, c’est bien par une étude de narratologie génétique qu’on peut rendre compte d’éventuelles incompatibilités entre versions coprésentes (Mauriac Dyer 2005).
Parmi les développements plus récents de la narratologie, certains, par exemple le recours à la logique des mondes possibles (Ferrer 1998), l’approche cognitive des mécanismes narratifs, ou l’intérêt pour des discours non littéraires et non fictionnels (histoire, droit…), promettent d’être fructueux pour la génétique de demain.
Quest.On reproche souvent à la narratologie classique de reposer sur une illusion jamais vraiment remise en cause : elle fait comme si le récit de fiction donnait accès à une histoire préexistante, alors que c’est évidemment le récit qui donne existence à l’histoire. En se plaçant du point de vue de l’écriture, le généticien évite de tomber dans le même piège : il voit l’histoire naître sur la page manuscrite à partir du récit, ou plutôt se constituer et s’ajuster progressivement à partir d’une multitude de récits de natures diverses (notes laconiques, plans, scénarios développés, rédactions provisoires, récapitulations…).
Au lieu d’étudier la constitution progressive du récit tel qu’il apparaîtra dans le texte définitif, la narratologie génétique peut étudier en tant que telles les formes de récit propres aux avant-textes. Ainsi, les ébauches de Zola constituent des documents très originaux dont le statut narratologique mérite d’être creusé et confronté à d’autres modèles. On peut aller jusqu’à se demander si les documents de genèse, même quand ils revêtent la forme extérieure d’un récit, ont jamais un statut véritablement narratif puisqu’ils constituent un protocole, par nature prescriptif, en vue de la fabrication d’un texte (Ferrer 2005).

-> DESCRIPTION, FOCALISATION, MANUSCRIT, MICRONARRATOLOGIE, NARRATAIRE, NARRATEUR, POÉTIQUE, POINT DE VUE, RÉCIT

Auteurs :

Daniel Ferrer

Eric Le Calvez