Séminaire Manuscrits francophones : René Maran / 2021

12/03/2021, Visio conférence (Pour obtenir les identifiants, écrire à Claire.riffard@cnrs.fr)

(©Agence Meurice, disponible sur Gallica)

Cette intervention porte sur un aspect de l’œuvre de René Maran qu’il nous invite à interroger par l’insistance avec laquelle il y revient. En effet, dans les bibliothèques des personnages de ses romans, comme dans les lettres échangées avec Manoel Gahisto, René Maran cite des auteurs qui traitent des recherches, nombreuses et fructueuses dans ce moment du XX° siècle, portant sur le fonctionnement de la  conscience. Parmi les nombreuses références mises à notre disposition, et dans le cadre de cet exposé, nous avons retenu quelques exemples, portant sur la notion d’instinct. Les philosophes de la conscience, comme les psychiatres et psychanalystes, ont recours à cette notion pour rendre compte, d’une façon nouvelle, des modalités de la connaissance. Ils prennent acte de l’existence d’un lieu de la pensée inaccessible au langage spontanément. René Maran fait siennes ces approches scientifiques pour construire son œuvre littéraire.

Le personnage de L’homme pareil aux autres, lorsqu’il quitte la France pour rejoindre son poste en Afrique, emporte avec lui quelques livres. Parmi ceux-ci, figurent le titre de Havelock Ellis La périodicité sexuelle et l’Auto-érotisme, ainsi que Le chemin de velours de Rémy de Gourmont. Ces deux mêmes auteurs sont cités dans l’inventaire de la bibliothèque du personnage de L’homme qui attend,  avec cette fois le titre de Physique de l’amour de Rémy de Gourmont et l’œuvre entière de Havelock Ellis (c’est-à-dire les six tomes de La sexualité comme fait psychologique.) Le même personnage « lit » également Nietzsche, Humain trop humain. Par ailleurs, dans la lettre envoyée à Manoel Gahisto, le 11 janvier 1916, de Bordeaux, René Maran écrit :

L’animalité me plait autant qu’elle pouvait agréer à Rémy de Gourmont. Comme vous, au risque, j’essayais d’y ramener tous les faits humains.

Rémy de Gourmont (1858-1915), l’auteur de Physique de l’amour, contemporain de René Maran, reprend dans son petit essai les analyses de Darwin dont il critique la frilosité :

Darwin est venu, et il a inauguré une méthode utile, mais ses vues sont trop systématiques, son but trop explicatif, son échelle des êtres, avec l’homme en haut, somme de l’effort universel, d’une simplicité trop théologique. L’homme n’est pas au sommet de la nature ; il est dans la nature, une des unités de la vie, et rien de plus.

Il s’agit donc, selon Rémy de Gourmont, de tirer les conclusions des travaux de Charles Darwin qui s’imposent : l’instinct, moteur du vivant, est à l’origine et décide de la vie humaine comme de toute autre forme de vie. René Maran, prenant appui sur les analyses de Rémy de Gourmont, s’empare à son tour de la notion d’instinct, pour rendre compte d’une certaine représentation du réel comme de son vécu intérieur, l’un et l’autre inextricablement en relation, mêlés et se modifiant réciproquement. Nous proposons d’illustrer cette affirmation par des exemples, choisis pour cette séance :

  •        L’approche de la nature africaine : lettre du 19 juin 1911, envoyée de Diouma à Manoel Gahisto
  •        Instinct, une théorie de l’Humain : lettre du 11 janvier 1916, envoyée de Bordeaux à Manoel Gahisto
  •        La femme : lettre du 16 février 1922, envoyée de Koumra à Manoel Gahisto
  •        La relation de Jean à Clarisse dans Un homme pareil aux autres. Edition de 1947

L’exploitation de ces extraits de textes doit nous permettre de considérer l’importance de la notion d’instinct dans la construction des personnages qui « transportent » dans l’œuvre romanesque les réflexions élaborées dans la correspondance. Nous posons ainsi le problème suivant : Plutôt que de l’écriture de soi, ne faudrait-il pas évoquer une écriture du Soi ? Nous attendons de cette distinction qu’elle nous permette de rendre compte de ce qui, par définition, échappe à la relation et la construit tout en même temps, dans la complexité de l’écriture. Dans cette perspective, l’analyse du cheminement, entre le « non-dit » et le « dit », entre le silence et ce qui advient dans le langage, éclairerait, sous un angle particulier, la construction de la figure de l’auteur.

Discutants : Tina Harpin, Nimrod, Hervé Sanson.