Depuis ses premiers écrits, lettres, articles, projets de poèmes ou de pièces de théâtre, Zola aime réfléchir la plume à la main. Cette pratique devient habitude à partir de 1867‑1868, lorsqu’il songe à écrire une vaste fresque qui concurrencerait La Comédie humaine de son maître et modèle, Balzac. Il a ainsi rédigé environ 10.000 folios de notes préparatoires aux Rougon‑Macquart, qui sont conservés à la Bibliothèque Nationale de France, département des Manuscrits, Nouvelles Acquisitions Françaises. Il a procédé de la même manière pour Les Trois Villes, 4.233 folios conservés à la Bibliothèque Méjanes d’Aix‑en‑Provence, et pour les Évangiles, 3.158 folios conservés avec les notes pour les Rougon‑Macquart. Une partie du dossier du Docteur Pascal se trouve en Suisse, à la Bibliothèque Bodmer, à Cologny.

Cette édition offre pour la première fois dans leur intégralité ces travaux préparatoires en très grande partie encore inédits. Elle ne s’adresse pas qu’aux seuls spécialistes de Zola. Ceux qui souhaitent pénétrer les secrets de la création romanesque, plus largement, de l’écriture, y trouveront un très grand intérêt, de même que, pour d’autres raisons, sociologues et historiens, ou, plus simplement, ceux qui s’intéressent aux modes de vie du XIXe siècle, à la société de l’époque et aux problèmes divers qui s’y posaient. De plus, voir les manuscrits, même en fac‑similé, émeut, procure un réel plaisir esthétique, informe. Zola a une belle écriture, il aime calligraphier les titres, il sait utiliser harmonieusement l’espace de la page, ses plans des lieux disent immédiatement ses intentions. Son écriture tout comme les zigzags dont il fait suivre certains paragraphes, sortes de Z, dans lesquels on peut voir autant de signatures, révèlent souvent le plaisir qu’il a pris à imaginer certaines scènes, à laisser aller son imagination, à satisfaire ses fantasmes.
Zola n’a jamais édité ces dossiers préparatoires. À la différence de ce qu’a fait Victor Hugo, pour ce qu’on trouverait de lui à sa mort, il ne les a pas légués à la Bibliothèque nationale. C’est son épouse, Alexandrine, qui a pris cette initiative après sa mort. Mais, le soin avec lequel il les a conservés, le fait qu’il les ait souvent évoqués devant des amis ou des journalistes, qu’il en ait recopié certains folios pour les donner à des correspondants privilégiés comme le critique Jacques Van Santen Kolff, qu’il ait laissé publier, en 1884, par Jules Lermina, dans son Dictionnaire universel et illustré, biographique et bibliographique de la France contemporaine, les premiers plans et l’arbre généalogique donnés à l’éditeur Lacroix en 1868, qu’il ait, aussi, approuvé le passage en vente publique, le 16 janvier 1890, lors de la dispersion de la collection de Louis Ulbach, d’un manuscrit de 56 pages intitulé « Une histoire d’amour »1, montre le grand intérêt qu’il leur portait.
En montrant ses dossiers préparatoires, Zola voulait répondre aux critiques qu’on ne cessait de lui faire, en donnant de lui l’image d’un romancier sérieux, ne se contentant pas d’une documentation hâtive et superficielle, travaillant avec logique et méthode, s’appuyant sur les dernières découvertes scientifiques et visant à la vérité, souhaitant, en un mot, imposer une esthétique nouvelle opposée aux formes romanesques à la mode  : roman romanesque, roman « honnête », roman‑feuilleton. C’est, du moins, la vision qu’il a voulu imposer et, qu’après lui, on reprend très souvent, alors qu’elle est loin de correspondre à la réalité, comme on le verra à la lecture de ses dossiers. C’est là le premier grand intérêt de cette publication : elle nous fait pénétrer aux sources mêmes de la composition et de l’écriture zoliennes, nous permettant de les réévaluer, de sortir Zola de la gangue d’idées toutes faites dans laquelle on l’a enfermé et dans laquelle il est toujours enfermé. Plus largement, ces dossiers nous font pénétrer dans les arcanes  de toute création.
On trouvera, d’abord, les réflexions générales faites par l’écrivain, au fil de la plume, sur la conception de la fresque projetée. Ces notes, comme celles qui suivent, révèlent un trait dominant de son caractère et de sa manière d’écrire : le soliloque avec lui‑même, le besoin de se barder de théories et  de consignes, qui tient sûrement moins à une conception du roman qu’à des zones profondes du moi de doute, d’angoisse, de faiblesse. N’avoue‑t‑il pas à Albert Wolff le 23 décembre 1878 :

Je passe des semaines à me croire idiot et à vouloir déchirer mes manuscrits. Il n’y a pas un garçon plus ravagé que moi par le doute de lui‑même. Je ne travaille que dans la fièvre, avec la continuelle terreur de ne pas me satisfaire.

Doute, tourment qui reviennent en leitmotiv dans la correspondance et que l’écrivain Sandoz, son double, exprime dans L’Oeuvre.
Ces premières notes générales sont l’aboutissement des réflexions menées par Zola depuis 1860 dans ses lettres, dans des dizaines d’articles sur le roman, le théâtre, la peinture, et d’une déjà longue pratique de l’écriture : outre ses nombreux articles, il a composé des contes, cinq romans et il s’est essayé au théâtre. Elles constituent une mise au point, à la fois retour sur le passé, sur les œuvres déjà écrites, en particulier Thérèse Raquin et Madeleine Férat, sur les critiques et les conseils reçus de Sainte‑Beuve et Taine, et projection vers l’avenir. Zola définit son projet par rapport aux modèles qu’il s’est choisis : Balzac, qu’il est en train de relire, et duquel il lui faut se différencier, Stendhal, Flaubert, les Goncourt, auxquels il se réfère nommément pour faire entendre une voix originale et se frayer une voie personnelle.
Ce premier travail de mise au point fait, une première liste de dix projets de romans étant établie, suivie, bientôt, d’une deuxième de dix‑sept ou dix‑huit idées, Zola se met à écrire le « roman initial » de la fresque, qui en comportera finalement vingt. Il met peu à peu au point sa méthode de travail, on le verra au fil des volumes. Les deux premiers dossiers, ceux de La Fortune des Rougon et de La Curée sont peu développés (92 folios et 19 folios classés dans d’autres dossiers pour le premier, 260 et 9 folios réunis au manuscrit 10280 pour le second). Ils ne comportent pas de sections nettement définies, sont très désordonnés et répétitifs. Les suivants deviennent, au fil des années et des sujets, de plus en plus importants, celui de Germinal comporte 953 fos, celui de La Débâcle 1250.
Ils obéissent à un classement en sections, toujours les mêmes, portant les mêmes titres, écrits avec soin et un véritable souci esthétique, en pleine page  : « Ebauche » (mise en place générale de l’intrigue),  « Personnages » (une fiche par personnage, y compris pour les animaux), « Plans » (deux par chapitre). S’ajoutent une série de sections documentaires (notes diverses prises au cours de visites sur le terrain, sur des ouvrages spécialisés, ou à la suite de conversations, articles de journaux, plans des différents lieux des romans de la main de l’auteur, lettres de correspondants, etc., et, dans le dossier d’Une page d’amour, une photographie, une vue panoramique de Paris, prise du haut de l’église Saint‑Gervais, derrière l’Hôtel de Ville, après 1871, qui a servi aux cinq descriptions de la ville qui terminent les cinq parties de l’œuvre. Bien que Zola ait découvert la photographie en 1888 et qu’il ait pris des milliers de clichés, il n’a pas utilisé cet art, qui pourtant l’a passionné et dans lequel il excellait, pour la documentation de ses romans. Les dossiers contiennent donc essentiellement deux types de documents : des informations sur le sujet choisi, une réflexion sur la mise en place de l’intrigue.

L’intérêt de la documentation

Dans une interview de février 1891, Zola précise qu’il s’entoure de trois sortes de documents : les « documents instructifs », c’est‑à‑dire ceux qui lui sont donnés par différentes personnes appartenant au monde qu’il a l’intention de décrire; les « documents directs », qu’il prend un peu partout ; les « documents écrits », qu’il trouve dans tel ou tel ouvrage spécialisé. Donc, une documentation variée qui présente, en schématisant, un double intérêt : elle est intéressante pour les connaissances qu’elle apporte sur l’époque, très diverses, précises, souvent de première main, et pour la possiblité qu’elle offre de reconsidérer la notion de réalisme, particulièrement de réalisme zolien.
Zola prend des notes sur des livres spécialisés, pendant ou à la suite de conversations ; il rassemble des précisions envoyées par des correspondants à sa demande. Il a un réseau d’informateurs : Gabriel Thyébaut, surnommé « le jurisconsulte des Rougon‑Macquart » pour les questions juridiques, Henry Céard pour les questions médicales, musicales, et toute autre sorte de sujet, Paul Alexis pour ce qui touche au socialisme... Il conserve des documents divers, catalogues, tracts publicitaires, coupures de journaux, qu’il commence à garder parfois plusieurs années avant de se mettre au roman. Il va sur le terrain. L’ immersion dans le milieu à décrire, semble être l’enquête la moins contestable. De fait, on le sait et on s’en est souvent moqué sans bien mesurer l’apport, à l’époque, de cette façon de faire, Zola s’est rendu pendant dix jours dans le Valenciennois, il a visité des corons, est descendu dans un puits une mine à moins 476 mètres, il est allé en Beauce, il a suivi le trajet du 7ème corps dans la région de Sedan, il a fait le voyage Paris‑Mantes sur une locomotive haut‑le‑pied, est allé à Lourdes, à Rome... Il a rapporté 110 feuillets de « Notes sur Anzin », autant de son « voyage à Sedan », une centaine sur la vie diurne et nocturne, les mœurs, les bruits, les couleurs, les odeurs, l’agitation, la faune colorée, l’architecture, les alentours des Halles de Baltard, monde aujourd’hui disparu, plus de 300 sur le fonctionnement des grands magasins autour de 1880, leur architecture novatrice, le travail et la vie de leurs employés, hommes et femmes, le comportement des acheteuses, les méthodes de vente, etc., etc. Au cours de ces enquêtes sur le terrain il dresse les plans des lieux qu’il visite et dont il s’inspirera pour construire son espace romanesque, ou, le plus souvent, qui lui apportent les éléments correspondants à ce qu’il a imaginé dans ses premières réflexions.
La matière de ces reportages pris sur le vif des êtres et des choses – à la différence des fiches de lecture, « rédigés à toute volée, dans le sillage même de l’exploration et de la découverte », explique Henri Mitterand, qui les compare aux carnets de croquis des peintres, est importante, variée et, soulignons‑le, d’un intérêt évident pour qui s’intéresse à l’époque. Zola, qui a vécu pendant des années au contact de peintres comme Manet, Cézanne, Monet, Guillemet, Pissarro, Sisley, Renoir, et dont la plume s’est longtemps exercée à l’école du journalisme, sait voir, saisir, tous les sens en éveil, le détail, la couleur, l’odeur, le volume, le geste, l’attitude, le mot, restituer une atmosphère, noter, sans aucun souci de style, par petites touches juxtaposées, ses impressions multiples, au fur et à mesure qu’il les ressent, brutes, fugitives, rendant la vie dans son jaillissement, son fouillis de sensations de tous ordres, ce qu’admire Huysmans dans les premières pages de L’Assommoir, où « retentit un (…) vacarme de voix qui s’élèvent, d’omnibus qui cahotent, de pas qui sonnent sur les pavés. »
Zola est habile à capter le vécu quotidien des divers groupes sociaux qu’il prend pour sujets, à Paris comme en province. Il s’intéresse à leur cadre de vie habituel, à leur travail, leurs horaires, leurs loisirs, leurs coutumes, leurs habitudes en matière de nourriture, de vêtements, de fêtes, faisant de véritables enquêtes sociologiques. Lorsqu’il visite une maison dans un coron ou les installations de la mine, par exemple, il porte un regard méticuleux, méthodique sur les lieux et les gens, que nous restitue ses notes.
Certes les dossiers ne nous permettent pas de connaître toute la documentation utilisée par Zola : il possédait des livres ; il a renvoyé à des correspondants des documents qu’ils lui avaient prêtés (c’est le cas des Journaux tenus par des soldats du rang pendant la guerre de 1870, dont il s’est abondamment servi, ce qui donne à La Débâcle son ton authentique). Il faut aussi songer au savoir énorme qu’il possédait, à la fois sur les formes, schémas, procédés divers, types de personnages, et sur les contenus qu’il a engrangé pendant des années comme critique littéraire, dramatique, artistique, chroniqueur, journaliste, au « su », mémoire intellectuelle, sensorielle, passionnelle dont nous ne connaissons pas grand chose. Comment évaluer, par exemple, ce qui, dans L’Assommoir, vient de son passé ? L’œuvre est, pour une grande part, le résultat d’expériences personnelles que nous ne pouvons que soupçonner, d’essais déjà publiés, de thèmes déjà abordés qui tiennent au cœur de l’écrivain, de réactions, d’impressions, de sensations, d’odeurs — celle, si importante dans le roman parce que si présente dans la mémoire, de l’oignon frit qui se répand dans les couloirs et les escaliers de la grande maison ouvrière —d’émotions, de sentiments porteurs, dynamiques.
Entrent aussi en jeu le « vécu » du temps même de l’écriture, le quotidien avec ses charges de tous ordres, ses ruptures — encore que Zola soit un écrivain qui s’est terriblement protégé —, les conversations avec des amis au cours de réunions, de repas, qu’elles soient volontairement centrées sur un sujet, un roman en train d’être écrit, et inquisitrices – ce dont Edmond de Goncourt, accusant Zola de piller ses idées, ne cesse de se plaindre – ou pas. Pensons également à des événements lointains ou récents  : comment évaluer avec exactitude l’influence qu’ont eue sur le romancier de Germinal les grèves de la Ricamarie, la Commune, ou les incidents de Montceau‑les‑Mines? Quoi qu’il en soit, les dossiers offrent des ensembles documentaires importants et de premier intérêt : 350 fos pour Germinal, 380 pour Au Bonheur des dames, 663 pour La Débâcle.
Outre leur grande valeur documentaire, ces notes renseignent aussi sur les choix opérés par Zola : sources utilisées parmi celles disponibles sur le sujet traité, informations retenues dans ces sources, interprétation, mise en récit... autant de sélections qui font sens. Les dossiers permettent donc de s’interroger avec plus de validité sur une des questions fondamentales du récit réaliste/naturaliste : le statut de la documentation, les rapports entre réel et histoire, les écrans qui s’interposent entre réalité et récit à des niveaux divers. De plus, la lecture des dossiers le prouve, Zola identifie, trie, enregistre, interprète en même temps. Création romanesque et recherche de la documentation, loin d’être deux étapes distinctes, sont menées de front, s’engendrent l’une l’autre dans un va‑et‑vient constant. La charge symbolique l’emporte sur l’exactitude de la reconstitution, la fiction sur la mimesis. A quoi s’ajoute la question de l’utilisation de cette documentation, de sa mise en fiction.

Mise en place de l’intrigue et réflexions théoriques

Outre leur intérêt documentaire et la possibilité qu’ils offrent de mieux jauger la validité de la documentation retenue par le romancier, les dossiers préparatoires contiennent aussi, au fil de l’Ebauche et des Plans, des réflexions sur le roman en train de se faire et, plus largement, une réflexion critique sur le roman et les problèmes de la fiction, sur l’écriture et les problèmes qu’elle pose. Elles sont souvent neuves et complètent les nombreux articles publiés à partir de 1865. Mêlant étroitement réflexion théorique et mise en pratique, dépourvus du schématisme et de la violence polémique des textes visant à imposer une esthétique contre le roman à la mode, les ébauches et les plans sont d’abord un travail sur la mise en place de schémas narratifs. Zola ne cherche pas à innover. Il se sert de ce que la tradition lui offre, en explore les possibilités, choisit, au terme d’essais  successifs, ceux qui lui semblent les plus efficaces. « Je n’invente rien », peut‑il avouer. L’essentiel est de « faire rendre ». La lecture des dossiers nous renseigne sur cette mise en œuvre.
Zola utilise toutes les ressources du roman populaire, dont il s’est nourri dans son adolescence, et surtout celles du mélodrame, puissante machine à émotions simples, primaires, fortes, dont, il le confie, il est imprégné : il a vu au théâtre d’Aix‑en‑Provence, dans sa jeunesse, le répertoire du Gymnase, de l’Ambigu et de la Porte‑Saint‑Martin. Il part toujours, dans l’ébauche, de ce matériel banal et usé qui lui est familier. Il choisit ces schémas pour leur charge émotionnelle et leur efficacité visuelle. Il vise alors à accroître ce poids de l’image et du geste tout en travaillant à transformer ces stéréotypes. Son originalité réside dans la manière dont il les revivifie en les investissant de toutes parts de ses obsessions, de ses fantasmes, dans la liberté laissée finalement à l’imagination et aux mots. Car, c’est essentiellement par l’écriture que le conventionnel est métamorphosé, dans une étape ultérieure de la création que ne nous révèle guère les dossiers. Ils ne contiennent, en effet, que quelques pages de brouillons et au verso des feuillets de très nombreux débuts de rédaction, que cette édition donne, un matériau inédit, à explorer.
Zola réfléchit, aussi, au cours de la mise en place de son intrigue, sur la question de la « distribution » de la description (selon son expression), de l’insertion des informations rassemblées, ce qui le conduit à une réflexion sur le personnage, son rôle, son statut dans l’économie du récit, le personnage « servant » à « poser », « donnant » (mots qu’il utilise fréquemment) tel milieu, telle situation.
Il réfléchit encore sur les moyens de créer l’illusion réaliste, de rendre le récit vraisemblable et logique, mais aussi efficace. Il vise, nous l’avons vu, souvent, à l’effet, en cherchant à frapper l’attention du lecteur et à la retenir. Il préfère donc, à la description, la scène, qui lui permet de « dramatiser », il recherche les systèmes d’oppositions, de parallélismes, les rappels, les leitmotive, qui rendent le récit facilement lisible et aisément mémorisable. Il est encore très attentif au rythme de l’ensemble, à l’équilibre des chapitres les uns par rapport aux autres, ou à celui des séquences à l’intérieur de chaque chapitre. Les dossiers sont, en un sens, autant de manifestes de la littérature nouvelle que veut imposer Zola.
Leur lecture est riche d’enseignements. Ils nous font assister au double travail d’une logique et d’une imagination, ils nous permettent de suivre les efforts d’une intelligence tâtonnant pour résoudre les difficultés d’une construction, les projets successifs de scénarios et de personnages, les rejets, les suppressions, les remords, les barrières que s’impose l’écrivain ou ses laisser‑aller, mais aussi ce qui, exprimé clairement dans le travail préparatoire, se masque dans le texte définitif. Certaines intentions ne sont lisibles que grâce à la connaissance de l’avant‑texte qui permet d’en suivre les traces d’où, en définitive, de mieux lire l’œuvre, en ses points de tiraillement.
On est frappé, à lire les dossiers, par la constante affirmation de la volonté de puissance, par « la prégnance, dans l’Ebauche, d’un discours volontariste, planificateur, et la présence massive, opaque, d’un sujet régisseur et raisonneur. Le contraire, apparemment, de l’improvisation et de la dérive »2. En fait, il ne s’agit là que de la première phase du travail. Quand on y regarde de près, on s’aperçoit que rien n’a été aussi simple, aussi facile, que les tiraillements, les indécisions, les hésitations ont été nombreux. Et c’est un grand apport de cette lecture que de mieux évaluer l’art de Zola. Concluons par cet aveu de l’écrivain dans une lettre à Huysmans du 20 mai 1884, qu’il convient d’accepter sans nuance : « Moi, je tâche de travailler le plus tranquillement possible, mais je renonce à voir clair dans ce que je fais, car plus je vais et plus je suis convaincu que nos œuvres en gestation échappent absolument à notre volonté. »

1  Nouvelle parue dans Le Figaro du 24 décembre 1866 sous le titre « Un mariage d’amour » et qui est à l’origine de Thérèse Raquin.

2  Henri Mitterand, « Programme et préconstruit génétiques : le dossier de L’Assommoir », Esais de critique génétique, Flammarion, 1979, p. 199 et 201.