Les hommes sont trompés dans la connaissances des choses visibles, à peu près comme Homère qui fut plus sage que tous les Grecs, car c’est lui que trompèrent les enfants qui tuaient des poux, en lui disant : « Tout ce que nous avons vu et saisi, cela, nous le laissons ; tout ce que nous n’avons ni vu ni pris, cela, nous l’emportons ». Héraclite1

Et quand on ne pense pas à son propre plaisir, on en trouve même à constater les lois en vertu desquelles ce qu’on croyait pouvoir garder nous est ravi [...] Et l’intérêt des lois en vertu desquelles, par contre, nous sont finalement apportées les choses sur lesquelles nous n’aurions jamais cru pouvoir compter. Marcel Proust2

Il n’y a peut-être pas de jours de notre enfance que nous n’ayons si pleinement vécus que ceux que nous avons cru laisser sans les vivre, ceux que nous avons passés avec un livre préféré. Marcel Proust3

Voici trois noms, Proust, Nietzsche, Héraclite, trois explosions, trois univers. Juxtaposition artificielle ? On pourrait avancer comme point commun majeur leur prétendue obscurité, la difficulté de lire leurs œuvres. Un des obstacles ne serait-il pas que le lecteur hésite à les classer sous l’appellation « philosophe » ou « poète » ? « Suis-je philosophe ? » dit Nietzsche4, « Faut-il faire un roman, une étude philosophique, suis-je un romancier ? »5 se demande Proust, Héraclite n’avait pas besoin de se poser la question, rien ne séparait encore la poésie de la philosophie. Ainsi ce qui rapproche ces trois penseurs c’est un langage où la philosophie et la poésie s’unissent. Ce qui reproduit la vérité c’est le style, ce qui importe c’est la métaphore. Nous disons : « Proust et Nietzsche »6, non pour le plaisir gratuit de faire une liste érudite, ni pour « l’écho séduisant »7 de la conjonction de ces deux noms, mais parce qu’ainsi nous avons :

des choses qui ne s’étaient jamais rencontrées brusquement mises en présence, éclairées et saisies dans leur rapport8...

Ou encore, selon les mots de Proust :

la vérité ne commencera qu’au moment où l’écrivain prendra deux objets différents, posera leur rapport, [...] et les enfermera dans les anneaux nécessaires d’un beau style.[...] il dégagera leur essence commune en les réunissant l’une et l’autre pour les soustraire aux contingences du temps, dans une métaphore9.

On ne peut pourtant mettre en rapport deux éléments s’ils ne s’éclairent pas mutuellement. Mais parfois la bizarrerie d’une analogie est justement ce qui permet de voir. La pensée proustienne procède ainsi par de surprenantes métaphores :

de même que prendre des leçons au manège donne envie d’avoir un cheval à soi, à force de louer des livres, peut-être finira-t-on par en acheter, sinon par en lire10.

Cependant Nietzsche nous met en garde contre certaines juxtapositions :

Ce que je ne peux pas entendre, c’est un « et » de mauvaise aloi : les Allemands disent : « Goethe et Schiller », je craindrai qu’il disent « Schiller et Goethe »... Il y a des « et » encore plus fâcheux [...]11.

Proust n’aura aucun scrupule a réunir avec cette conjonction, ou avec une simple virgule, le nom de Nietzsche avec tant d’autres : Wagner, Proudhon, Romain Rolland, Goethe, Ruskin, Tolstoï, Ibsen, Comte, et même Prométhée et Nabuchodonosor12 !

Quant à nous, nous aborderons la conjonction entre Proust et Nietzsche par le biais de la lecture nietzschéenne des Présocratiques en ce qu’elle rejoint les idées de Proust sur la lecture.

On connaît l’importance du rôle des amis de Proust comme intermédiaires pour ses rencontres avec des auteurs. Dans le cas de sa découverte de Ruskin en particulier l’intervention de plusieurs amis à la fois est attestée. Nous n’avons aucune preuve que Proust ait lu les œuvres de Nietzsche, mais il est peu probable13 que Proust ait basé son opinion de Nietzsche uniquement sur les travaux de Daniel Halévy. Il est vrai que ce camarade de Condorcet fit beaucoup pour promouvoir la pensée de Nietzsche en France14. Mais il y eu aussi d’autres amis de Proust, tels que Bertrand de Fénelon et Robert de Billy, grands amateurs de littérature allemande ; mais surtout aussi Fernand Gregh et Robert Dreyfus, avec qui Proust collabora a la revue Le Banquet, où justement, Nietzsche était activement défendu15. Mais Proust a aussi pu lire les nombreux articles qui, à partir de 1893, font que Nietzsche devient à la mode16. On peut penser par exemple qu’il a été assez intrigué par le titre d’un article de Michel Bréal (célèbre philologue, qu’il cite pour ses travaux sur Homère, et qui était de plus un lointain cousin) : Les étymologies du philosophe Nietzsche17. En tout cas la correspondance de Proust, et certaines notes de ses carnets18, confirment, malgré ses fréquentes dénégations, qu’il lisait attentivement les articles de ses amis19.

Proust avait-il connaissance des idées originales de Nietzsche sur les Présocratiques ? Si ses premiers textes tournent surtout autour de l’analyse nietzschéenne de Wagner, Halévy semble informé des travaux sur les penseurs grecs. Halévy remarque que la réflexion de Nietzsche sur les Présocratiques le mène à une remise en question du statut de philosophe20. Il est probable que, déjà au Lycée Condorcet, Halévy et Proust aient entendu au moins les critiques que porte Nietzsche sur Platon. En effet, on sait que, dans ses cours de philosophie, Darlu défendait Platon contre Nietzsche, et raillait même ce dernier en le comparant à Calliclès, du Gorgias21. Pourtant, si Proust a lu Ecce homo, il a pu être heureux de voir que son professeur de la Sorbonne, Victor Brochard, était le seul helléniste à être loué22.

Peut-être influencé par son professeur de philosophie, Proust à son tour, attaquera et se moquera de Nietzsche, lorsqu’il s’agira de défendre Wagner23. En effet dans la Recherche Proust cite le nom de Nietzsche six fois: quatre fois simplement comme représentant d’un auteur à la mode parmi les intellectuels ; deux fois pour critiquer la louange nietzschéenne de l’amitié. Bien qu’au fond Proust rejoigne Nietzsche dans une même contradiction entre la théorie la pratique24. Proust critique aussi Nietzsche, mais de façon déguisée, en conférant à Saint-Loup une grande admiration pour ce philosophe allemand. La correspondance de Proust nous éclaire sur la signification de cette attribution : Proust s’oppose à Bertrand de Fénelon, un des modèles possibles de ce personnage, en exprimant le regret de n’avoir pas les mêmes admirations littéraires, en particulier concernant Nietzsche25. De même, il trouve ridicules les jugements littéraires de Nietzsche26. Pourtant dans d’autres textes27, les rares mentions directes à propos de Nietzsche ont surtout trait à sa fin tragique, sa descente dans la folie. Le lecteur sent plutôt de la douceur et du respect dans ces allusions à la démence. Proust devait être particulièrement sensible à ce sujet, connaissant celles de Nerval et de Ruskin. De plus, son œuvre et sa correspondance attestent un intérêt poussé pour les définitions et les analyses de son temps des troubles mentaux, en particulier dans leurs rapports avec le génie poétique. Proust semble d’accord avec ses amis nietzschéens pour accorder au philosophe du génie. En effet, quand il se réfère à Nietzsche, même lorsqu’il le critique, il dit « [...]des hommes de quelque génie, et par exemple un Nietzsche [...] »28, et « c’est une caractéristique de notre temps que ses “sages” ont tous été plus au moins fous, d’Auguste Comte à Nietzsche »29  et en utilisant pour son propre compte le titre Humain, trop humain, il dit : « ces mots insolents et sublimes »30.

Il est vrai que dans ses lettres Proust reste assez critique à l’égard de Nietzsche et, – faute révélatrice31 ? – se trompe régulièrement sur l’orthographe de son nom32 ! Cela ne l’empêche pas d’utiliser à deux reprises, l’expression nietzschéenne « égoïsme sacré », comme souvent, sans en signaler l’origine. Kolb remarque que Proust l’a probablement trouvée dans la Vie de Nietzsche de Daniel Halévy33. Ceci ne reflète peut-être que la vogue, à l’époque, d’adopter des mots de Nietzsche. Mais c’est aussi une notion, qu’en tant qu’artiste, Proust pouvait partager.

Il y a peut-être une autre allusion à cette biographie dans un passage de la Recherche : Saint-Loup fait part au héros de ses réflexions sur la guerre, qu’il observe d’un point de vue esthétique, comparant les aviateurs allemands aux Walkyries et les sirènes des bombardements à la musique de Wagner. Puis, tous deux s’amusent à commenter avec ironie le spectacle des mondains se sauvant en pleine nuit dans les rues de Paris lors d’un raid de Zepppelins :

Reconnu : la duchesse de Germantes superbe en chemise de nuit, le duc de Guermantes inénarrable en pyjama rose et peignoir de bain, etc. etc34.

En écrivant cette remarque de Saint-Loup, Proust se souvenait peut-être, fort à propos pour ce personnage caractérisé par son admiration pour Nietzsche, d’un incident dans la vie du philosophe allemand, lors du tremblement de terre à Nice, en 188735 :

Réveillé, Nietzsche descendit dans les rues soudain peuplées d’êtres épouvantés, d’errants arrachés à leurs lits. [...] Nietzsche observa une curieuse différence entre les mondains et les malades : les malades gardaient une tenue descente, les mondains perdaient la tête. Lettre du 9 mars à Péter Gant : « Jusqu’ici, parmi ces milliers d’êtres en folie, j’ai vécu avec un sentiment d’ironie et de curiosité froide. Mais on ne peut répondre de soi ; peut-être serai-je demain aussi déraisonnable que le premier venu »36.

Dans Jean Santeuil nous trouvons une allusion, très voilée, au Zarathoustra de Nietzsche :

Car ce n’est pas que dans les montagnes solitaires qu’[a] retenti le cri d’amour, de puissance et de joie de l’homme solitaire et bienheureux37.

Proust semble tenté de citer, quitte à en détourner le sens, les titres des œuvres de Nietzsche, en particulier Humain, trop humain38 et Ainsi parlait Zarathoustra39. Ce qu’il dit à propos des titres de Balzac nous éclaire sur ce que ceux-ci pouvaient représenter en général : de la « poésie philosophique »40. Dans un tout autre contexte Proust révèle sa façon de lire, son plaisir de trouver des titres, et donc aussi de les citer, en les dissimulant. Il écrit à Gide :

en lisant La Bruyère, dans une maxime, qui d’ailleurs ne peut nullement (comme il arrive au contraire si souvent) servir d’agréable illusion, j’ai trouvé le mot « Les Nourritures » employé dans un sens juridique. Mais comme c’est au pluriel et en italique, comme si on citait le nom de votre livre, j’ai pensé comme La Bruyère l’aurait aimé et cela m’a été doux comme si je vous embrassais41.

Nous pouvons donc supposer que Proust a lu Nietzsche attentivement, d’autant plus qu’en 1909 il avait le projet de faire un pastiche de ses aphorismes42. Bernard Brun démontre bien le lien étroit qui existe chez Proust entre la lecture, le pastiche et sa propre écriture43. Le pastiche dépend, tout d’abord, d’une lecture réceptive de l’auteur à pasticher. Proust a justement une oreille « plus fine et plus juste que bien d’autres »44 qui ressemble à celle recherchée par Nietzsche. L’important est d’entendre la musique, particulière à chaque écrivain, derrière les mots.

Si d’un côté nous pouvons trouver dans les écrits de Proust des références à Nietzsche, plus au moins directes, il est aussi possible de trouver des aspects nietzschéens dans l’oeuvre de Proust. Ceci n’est d’ailleurs pas une postulation nouvelle45 :

Non sarebbe difficile raccogliere inumerevoli testi proustiani affini allo spirito di questo Nietzsche [celui des Considérations Inactuelles]46.

Nous pouvons en effet chercher des échos, tels que ceux qui surgissent naturellement de certaines ressemblances biographiques, comme leurs problèmes de santé et leur solitude. On peut citer des préoccupations communes, la principale étant de chercher la solitude pour accéder à la vie intérieure : il faut savoir parfois « s’emmurer soi-même »47 dit Nietzsche, ce qui nous fait penser à Proust s’enfermant dans sa chambre aux murs de liège. Nietzsche : « C’est la maladie qui me ramena à la raison »48 ou « ma maladie me détacha de tout »49, et Proust : « La maladie [...] m’avait rendu service »50. On discerne un même rejet du soi-disant réalisme, une valorisation de la vie intérieure :

Ne jamais observer pour observer ![...] D’instinct un psychologue-né se garde bien de voir pour voir : il en va de même du peintre-né. Il ne travaille jamais « d’après nature » : il charge son instinct, sa camera obscura, de filtrer et d’exprimer le « cas particulier »[...]51.

Et de son côté Proust écrit :

Ce qu’on prend en présence de l’être aimé n’est qu’un cliché négatif, on le développe plus tard, une fois chez soi, quand on a retrouvé à sa disposition cette chambre noire intérieure dont l’entrée est « condamnée » tant qu’on voit du monde52.

Mais, nous l’avons dit, ce qui nous intéresse ici c’est leur attitude envers la lecture. A ce sujet Anguissola remarque :

É possibile rilevare una concordanza non superficiale tra il pensiero espresso da Proust in Journées de lecture ed alcuni attegiamenti del Nietzsche di Ecce homo. Le pagine proustiane sono tutte un ammonimento contro i pericoli che possono nascondersi nelle lettura e nei libri [...]53.

En fait, comme le remarque Duncan Large, Proust et Nietzsche semblent se contredire lorsque dans leurs oeuvres ils censurent la lecture, et dans leur vie ils lisent énormément54. Cependant la contradiction n’est peut-être qu’apparente, ce qu’il faut définir c’est justement la lecture. Nous trouvons que Proust rejoint Nietzsche, lorsque celui-ci renverse la lecture traditionnelle des Présocratiques. Proust et Nietzsche : contre la lecture des érudits.

Il est utile ici de relever les points principaux de l’interprétation moderne que fait Nietzsche de la philosophique grecque. Nietzsche cherche tout d’abord à retrouver la pensée vivante des Présocratiques qui a été trop longtemps étouffée par la glose et les fausses interprétations. Conséquence de cette exigence : il faut opérer un radical renversement des valeurs, renverser la suprématie de la pensée conceptuelle sur la pensée poétique. En ceci Nietzsche s’attaque surtout à Hegel et aux histoires traditionnelles de la philosophie. Nietzsche n’est d’ailleurs pas le seul à remarquer une falsification due à un anachronisme qui est l’introduction de scissions métaphysiques (corps/âme, etc.) dans une pensée non-conceptuelle. Diès, un helléniste français, dénoncera lui aussi le fait qu’au moins jusqu’à Zeller, « les histoires sorties de cette école [hégélienne ...] jugent trop souvent de la science antique d’après des idées métaphysiques qui se sont développées à une époque postérieure »55.

Nietzsche, contrairement à Hegel, déplore la perte de textes, l’oubli de la portée de la philosophie de ceux qu’il nomme les « maîtres » A cause de ce gouffre surgi entre les « pré » et les « post » socratiques, par un destin malveillant plutôt que par hasard, nous n’avons plus su lire les premiers penseurs. Proust a-t-il cet exemple en tête lorsqu’il imagine un pareil sort pour la littérature soumise au jugement de Sainte-Beuve ?

[...] il est bien clair que si tous les ouvrages du XIXe siècle avaient brûlé sauf les Lundis, et que nous dussions nous faire une idée des rangs des écrivains du XIXe siècle, Stendhal nous apparaîtrait inférieur [à] Charles de Bernard, [à] Vinet, [à] Molé, [à] Mme de Verdelin, [à] Ramond, [à] Sénac de Meilhan, [à] Vicq d’Azyr, à combien d’autres, et assez indistincts, à vrai dire, entre d’Alton Shée et Jacquemont56.

La philosophie présocratique a été considérée comme « l’enfance de la philosophie », donc comme une pensée inachevée, déficiente et obscure. Selon une lecture aristotélicienne, qui pour Nietzsche est réductrice, le langage métaphorique est comme le langage de l’enfant, un balbutiement. L’écriture métaphorique est donc le signe d’un manque de maturité, d’un état d’inachèvement. Ce langage est une matière indéterminée, qui attend d’être formée par le concept. Mais si la métaphore est imparfaite elle contient tout de même, en puissance seulement, le concept. Puisque selon Aristote tout ce qui se dit par métaphore est obscur, c’est là justement que réside le travail de l’historien de la philosophie : mettre en lumière la vérité enfouie chez les prédécesseurs et à l’articuler en l’élevant. Aristote s’abrite derrière les prétendues obscurité et enfance des Présocratiques. Il en est de même de la lecture que fait Hegel d’Héraclite. Hegel veut surmonter l’obscurité d’Héraclite en le traduisant dans le langage de la raison spéculative. Or, selon Nietzsche, cette entreprise d’éclaircissement est en fin de compte obscurcissante.

Aristote et Hégel n’ont pas su lire les Présocratiques parce qu’ils n’ont pas reconnu la valeur de cette autre façon d’écrire. Ce qui sépare les deux camps, c’est l’écriture : il y a une écriture métaphorique d’une part et une écriture conceptuelle de l’autre. Par métaphore Nietzsche ne désigne pas la simple figure de rhétorique. En réhabilitant la métaphore Nietzsche choisit la valeur esthétique d’un texte philosophique comme critère de jugement. Ainsi il classera Héraclite au-dessus d’Aristote, car ce qui est important ce n’est pas la démonstration par des preuves :

Le fait qu’une philosophie indémontrable ait encore une valeur et cela plus, la plupart du temps, qu’une proposition scientifique, provient de la valeur esthétique d’un tel philosopher, c’est à dire de sa beauté et de sa sublimité. Le philosopher est encore présent comme œuvre d’art, même s’il ne peut se démontrer comme construction philosophique [...] La philosophie peu démontrée d’Héraclite a une valeur d’art supérieure à toutes les propositions d’Aristote57.

Ainsi, chez Nietzsche la philosophie devient de la poésie :

Nietzsche inaugure un type de philosophie usant délibérément de métaphores au risque d’être confondu avec la poésie. Confusion qui ne serait pas, pour Nietzsche, regrettable : l’opposition de la philosophie et de la poésie relève de la pensée métaphysique ; elle repose sur la séparation fictive du réel et de l’imaginaire [...]58.

Voilà un mot, « l’imaginaire », auquel Nietzsche accorde une importance capitale pour toute pensée philosophique et que les Présocratiques nous remettent en mémoire :

Qu’est-ce donc qui porte si rapidement la philosophie à son but ? Se distingue-t-elle peut-être de la pensée qui calcule et évalue seulement par son vol rapide qui franchit les grandes distances ? Non, car ce qui rend son pas ailé, c’est une force étrange, illogique : l’imagination. Portée par elle, la philosophie progresse par bonds, de possibilités en possibilités qu’elle prend un moment pour des certitudes. Ici et là, elle saisit même au vol quelques certitudes ; un pressentiment génial les lui indique et elle devine de loin qu’à tel endroit se trouvent des certitudes démontrables. Mais la force de l’imagination est particulièrement puissante quand il s’agit de saisir en un éclair et de mettre en lumière des analogies. La réflexion apporte par après ses critères et ses stéréotypes, et cherche à substituer des équivalences aux analogies et des liens de causalité à ce qui a été perçu comme juxtaposé59.

Proust aussi choisit l’imagination comme voie d’accès à la vérité60. Mais l’imagination de Proust c’est celle qui intervient lors d’une expérience de mémoire involontaire, et qui réunit ainsi deux choses habituellement séparées. Elle lui permet de flotter entre le passé et le présent et de toucher à l’intemporel, donc d’échapper au temps :

Et ce plaisir profond, en justifiant que nous donnions à l’imagination la première place, puisque nous comprenons maintenant qu’elle est l’organe qui sert l’éternel, nous relève peut-être aussi nous-mêmes si heureux dès que nous sommes dégagés du présent, comme si notre vraie nature était hors du temps, faite pour goûter l’éternel et, mécontente du présent, attristée du passé, tressaillait tout à coup quand du choc du présent et du passé jaillissait quelque chose qui n’est ni aujourd’hui ni hier, cet aujourd’hui conservé sans modification de substance, mais qui est hors du temps, essence réelle de notre vie61.

Ainsi que Nietzsche, Proust différencie les analogies intuitives et celles de la réflexion. À propos des phrases musicales de Vinteuil, le narrateur critique d’avance les comparaisons que trouveraient des érudits :

Ces phrases-là, les musicographes pourraient bien trouver leur apparentement, leur généalogie, dans les œuvres d’autres grands musiciens, mais seulement pour des raisons accessoires, des ressemblances extérieures, des analogies plutôt ingénieusement trouvées par le raisonnement que senties par l’impression directe62.

Proust semble ici nous parler directement et nous mettre en garde contre ce genre de comparaison dans la lecture de son roman.

On doit lire les Présocratiques, selon Nietzsche, non pour y voir des vérités, au sens scientifique du terme, mais pour trouver une affirmation de la vie. C’est grâce à cette surabondance de vie que le lecteur sent vivre l’esprit des philosophes anciens. User de métaphores, c’est affirmer la vie et la personnalité. Nietzsche s’attache au Vies Illustres de Diogène Laërce (que Proust appréciait) justement parce que celui-ci présente chaque philosophe présocratique dans l’originalité de sa personnalité. Par ce choix de sources, Nietzsche se démarque de ses collègues. Le premier critère est de retrouver la vie dans cette pensée ensevelie :

Qui délivrera par exemple l’histoire des philosophes grecs des vapeurs soporifiques qu’y ont répandu les travaux savants mais peu scientifiques et déplorablement ennuyeux de Ritter, Brandis et Zeller ? Pour ma part, j’aime mieux lire Diogène Laërce que Zeller ; chez le premier au moins, je sens vivre l’esprit des philosophes anciens alors que chez le second, je ne retrouve ni cet esprit ni aucun esprit63.

En ceci Nietzsche s’oppose encore une fois à une histoire de la philosophie traditionnelle, linéaire, qui supprime la vie des philosophes au profit de la philosophie :

À une histoire « évolutionniste », Nietzsche substitue une lecture typologique [...] Le résumé efface la personnalité comme le concept la métaphore. Entre les deux “effacements” il n’y a pas un simple rapport analogique : l’oubli de la métaphore est effacement de la personnalité64.

Lorsque Nietzsche s’attarde sur la vie des premiers philosophes, ce n’est pourtant pas comme le ferait Sainte-Beuve. Ce qu’il considère c’est leur personnalité, qui est une avec leur philosophie, car « une stricte nécessité régit le lien qui unit leur pensée et leur caractère »65. Ainsi les grands penseurs de la Grèce, et de fait tous les « vrais » penseurs, surgissent comme des unités individuelles dans la masse de l’humanité :

Ils forment ainsi, à eux tous, ce que Schopenhauer, par opposition à la République des savants, a appelé une République des génies. Les géants s’interpellent à travers les intervalles désertiques de l’histoire et, sans qu’il soit troublé par les nains insouciants et bruyants qui continuent à ramper au-dessous d’eux, leur sublime dialogue se poursuit66.

Proust partage cette idée de contemporanéité de tous les grands artistes, parce qu’il aperçoit sous la multiplicité apparente, l’unité fondamentale du génie :

Mais tous les grands écrivains se rejoignent par certains points, et sont comme les différents moments, contradictoires parfois, d’un seul homme de génie qui vivrait autant que l’humanité67.

Dans un texte sur Baudelaire, il reprend cette vision de la continuité dans le changement et choisit pour l’illustrer plus amplement, l’image du visage et, comme Nietzsche, l’idée d’un dialogue :

C’est à cette époque de sa vie que Baudelaire avait ses grands cheveux blancs qui lui donnaient, l’air, disait-il, « d’un académicien (à l’étranger!) ». Il a surtout sur ce dernier portrait une ressemblance fantastique avec Hugo, Vigny et Leconte de Lisle, comme si tous les quatre n’étaient que des épreuves un peu différentes d’un même visage, du visage de ce grand poète qui au fond est un, depuis le commencement du monde, dont la vie intermittente, mais aussi longue que celle de l’humanité, eut en ce siècle ses heures tourmentées et cruelles, que nous appelons : vie de Baudelaire, ses heures laborieuses et sereines, que nous appelons : vie de Hugo, ses heures vagabondes et innocentes, que nous appelons : vie de Gérard et peut-être de Francis Jammes, ses égarements et abaissements sur des buts d’ambition étrangers à la vérité, que nous appelons : vie de Chateaubriand et de Balzac, ses égarements et surélévations au-dessus de la vérité, que nous appelons : deuxième partie de la vie de Tolstoï, comme de Racine, de Pascal, de Ruskin, peut-être de Maeterlinck, et dont les chants, contradictoires parfois, comme il est naturel dans une si grande œuvre, malgré tout au sein d’« une ténébreuse et profonde unité », se relient, se comprendraient l’un l’autre si les parties se connaissaient entre elles et, dans nos cœurs qui les ont reçus et s’y reconnaissent, « se répondent »68 !

Quand Nietzsche rejette une vision téléologique de la philosophie et préfère une lecture typologique et différentielle, il suggère qu’il n’y aurait alors pas de philosophie mais des philosophes. Ainsi, en imaginant le « dialogue » des génies et en postulant que le génie grec a déjà tout trouvé, ou du moins que « tous les grands problèmes ont été posés avant Socrate »69, il s’oppose à l’idée courante d’un progrès de la pensée humaine. Les premiers penseurs grecs sont toujours d’actualité : « Ils ont en effet inventé les grands types de l’esprit philosophique, et la postérité tout entière n’a plus rien inventé d’essentiel qui puisse y être rajouté »70. On trouve un écho de cette idée chez Proust, mais à propos de l’époque classique : « cette simplicité des Grecs qui nous ont montré à peu près toutes les idées vraies et ont laissé aux scrupules modernes le soin de les approfondir71. » De plus, Proust aussi malmène l’érudition, tout en l’accordant aux véritables artistes. Mais il faut alors, lorsqu’un grand poète travaille, que « son érudition se subordonne à son génie »72.

Quant à la question d’un progrès en général on ne peut que constater une affinité avec la conception proustienne, elle aussi contraire à l’idée d’évolution. L’histoire de la littérature ou de tous les arts, est l’histoire de chaque « génie » qui refait seul le chemin de la pensée :

Or, en art il n’y a pas (au moins dans le sens scientifique) d’initiateur, de précurseur. Tout [est] dans l’individu, chaque individu recommence, pour son compte, la tentative artistique ou littéraire; et les œuvres de ses prédécesseurs ne constituent pas, comme dans la science, une vérité acquise dont profite celui qui suit. Un écrivain de génie aujourd’hui a tout à faire. Il n’est pas plus avancé qu’Homère. Mais les philosophes qui n’ont pas su trouver ce qu’il y a de réel et d’indépendant de toute science dans l’art, ont [été] obligé de s’imaginer l’art, la critique, etc. comme des sciences où le prédécesseur est forcément moins avancé que celui qui le suit73.

Selon Nietzsche, connaître par intuition et connaître par concept ne renvoient pas à deux modes de connaissance dont l’un serait supérieur à l’autre. Le concept n’est pas opposé à la métaphore, il est un condensé de métaphore oublié. Les termes concept/métaphore sont donc tous deux illogiques, et il n’y a plus d’opposition logique/illogique. Ces deux modes de connaissance renvoient à deux perspectives différentes, à deux évaluations différentes du monde. Ainsi l’obscurité des Présocratiques, et en particulier la célèbre obscurité d’Héraclite, est à imputer à la distorsion entre deux points de vue ou, selon les métaphores de Nietzsche, entre deux goûts, deux odorats ou encore deux oreilles qui ne peuvent entendre sans malentendus, sans que s’établisse un dialogue de sourds.

La bonne entente dépend de la finesse de l’oreille. Nietzsche remarque que Dionysos parle aux oreilles fines des femmes, car les femmes aiment le masque, la vie et ses énigmes, elles ne cherchent pas à fouiller derrière les apparences. Cette oreille c’est l’oreille-artiste, l’oreille noble. On a besoin d’une telle oreille pour discerner la distance entre l’oreille d’Héraclite et celle des Métaphysiciens. Si le texte d’Héraclite était tombé dans l’oreille d’un sourd, il aurait été moins malentendu et moins vulgarisé. Proust avance essentiellement le même argument lorsqu’il déplore la déformation subie par l’œuvre de Nerval :

Le dirais-je pourtant, Sylvie est admirée aujourd’hui si à contre sens à mon avis, que je préférerais presque pour elle l’oubli où l’a laissé Sainte-Beuve et d’où du moins elle pouvait sortir intacte, dans sa miraculeuse fraîcheur. Il est vrai que même de cet oubli qui l’abîme d’avantage, qui le défigure sous des couleurs qu’[il] n’a pas, un chef-d’œuvre a tôt fait de sortir, quand une interprétation vraie lui rend sa beauté74.

Proust reprend cette idée et l’étend à tous les arts :

La sculpture grecque a peut-être été plus déconsidérée par l’interprétation de l’Académie, ou la tragédie de Racine par les néo-classiques, qu’elles n’auraient pu l’être par un oubli total. Il valait mieux ne pas lire Racine que d’y voir du Campistron. Mais aujourd’hui il a été nettoyé de ce poncif et se montre à nous aussi original et nouveau que s’il avait été inconnu. Ainsi de la sculpture grecque. Et c’est un Rodin, c’est-à-dire un anticlassique, qui montre cela75.

On peut donc penser que Proust aurait davantage apprécié la sympathie, le vivant, de la lecture nietzschéenne des Présocratiques que la lecture certes érudite mais sans vitalité de la plupart des historiens de la philosophie grecque. Un même type de lecture semble à l’œuvre lorsqu’il reproche à Sainte-Beuve d’être choqué par l’expression « Homère ... vivait en concubinage avec la Muse. » (où Balzac manquerait de respect envers les auteurs anciens)76. Proust a une tout autre conception de l’approche que doit faire un moderne d’une œuvre ancienne :

Mais en réalité, il ne peut y avoir d’interprétation des chefs-d’œuvre du passé que si on les considère du point de vue de celui qui les écrivait, et non du dehors, à une distance respectueuse, avec une déférence académique. [...] On est plus près de comprendre les grands hommes de l’antiquité en les comprenant comme Balzac que comme Sainte-Beuve77.

Cette façon vivante de lire, en se plaçant de plain-pied avec l’auteur, en supprimant ainsi la distance temporelle, est une « bonne » leçon de Ruskin :

[...] quand Ruskin dit : « Je suis seul, à ce que je crois, à penser encore avec Hérodote. » [...] Ruskin vit dans une espèce de société fraternelle avec tous les grands esprits de tous les temps, et comme il ne s’intéresse à eux que dans la mesure où ils peuvent répondre à des questions éternelles, il n’y a pas pour lui d’anciens et de modernes et il peut parler d’Hérodote comme il ferait d’un contemporain. Comme les anciens n’ont de prix pour lui que dans la mesure où ils sont « actuels », peuvent servir d’illustration à nos méditations quotidiennes, il ne les traite pas du tout en anciens78.

Il pousse cette attitude irrévérencieuse jusqu’au comique avec la description de la servante de Beulier, le professeur de philosophie de Jean (où se manifeste à nouveau le plaisir proustien de citer des titres dans un contexte inhabituel) :

Mariette [...] lui apportait aussi ses livres, ses revues, [...] et possédait dans son étroite cervelle, [..] à côté des mots sans gloire de fourneau, de lessive ou de soupe, les noms plus nobles et non moins usuels pour Mariette de Platon, Hegel et de Denys d’Halicarnasse.[...] C’est ainsi qu’il disait toujours « Mariette, le Novum Organum, ; Mariette, La Critique de la raison pure » et si, pendant qu’à genoux devant les bûches elle soufflait le feu, elle entendait un élève matinal [...] prononcer le nom auguste mais familier pour elle de Spinoza, sans se relever mais déposant son soufflet elle demandait à M. Beulier : « Est-ce que Monsieur veut l’Éthique ? »79.

En fin de compte Proust oppose le lecteur seulement érudit au lecteur-écrivain :

[...] les classiques n’ont pas de meilleurs commentateurs que les « romantiques ». Seuls, en effet, les romantiques savent lire les ouvrages classiques, parce qu’ils les lisent comme ils ont été écrits, romantiquement, parce que, pour bien lire un poète ou un prosateur, il faut être soi-même, non pas érudit, mais poète ou prosateur. Cela est vrai pour les ouvrages les moins « romantiques ». Les beaux vers de Boileau, ce ne sont pas les professeurs de rhétorique qui nous les ont signalés, c’est Victor Hugo80.

Nous retrouvons ici, sous une autre forme certes, la critique même de Nietzsche faite à Aristote. Proust, en critiquant la lecture de Sainte-Beuve, rejoint de la sorte tous les lecteurs des Présocratiques après Nietzsche, qui amasseront des reproches sur des lectures anachroniques, récupératrices, et réductrices. Tout créateur s’approche d’un texte avec son imagination et sa sensibilité, alors que l’érudit y applique son intelligence. Pour Proust, comme il y a plusieurs mémoires il y a aussi plusieurs intelligences. La lecture du poète se situe à un autre niveau, le poète retrouve la magie incantatoire, la puissance à l’œuvre dans les mots et les noms. Ainsi l’on pourrait dire qu’il rejoint l’âge des Présocratiques où, selon Clémence Ramnoux, dans son livre magnifique, La Nuit et les enfants de la nuit, « la sagesse ne bavardait pas »81. C’est ce bavardage qui sépare le poète du simple érudit, comme le définit aussi Flaubert, avec une véhémence toute nietzschéenne :

Il y a des jours où je donnerais toute la science des bavards passés, présents, futurs, toute la sotte érudition des éplucheurs, équarrisseurs, philosophes, romanciers, chimistes, épiciers, académiciens, pour deux vers de Lamartine ou de Victor Hugo [...]82.

C’est le même écart qui existe entre la lecture proustienne et la lecture ruskinienne. Proust définit la lecture comme une activité née dans la solitude et le silence83, le livre ne devant pas être perçu comme le récipient qui contiendrait la vérité et qu’il suffirait de saisir comme l’on se saisit d’un livre sur une étagère de bibliothèque84. La lecture authentique permet « de descendre dans les régions profondes de soi-même où commence la véritable vie de l’esprit »85. Ainsi la lecture est avant tout une activité créatrice et personnelle86. Par opposition, Ruskin conçoit la lecture comme une conversation, certes avec des génies87, mais celle-ci, selon Proust, reste à la surface, se réduisant à l’activité, idolâtre et passive, d’un lettré88. Ici Proust fait une distinction supplémentaire et subtile entre « l’historien ou l’érudit » et le lettré. Le premier doit trouver des « vérifications » qui permettront à son esprit de s’élancer. Alors que le lettré dénature dangereusement la lecture, et « communique une dignité factice » aux pensées puisées dans le livre. Ainsi, lorsque, dans ses articles sur Baudelaire et Flaubert, Proust s’excuse à l’avance d’erreurs dans ses citations, arguant qu’il cite de mémoire, il se démarque en fait de la précision des érudits.

Il est parfois légitime de trouver « des morceaux de Turner dans d’œuvre de Poussin, une phrase de Flaubert dans Montesquieu »89. Nous espérons que les rapprochements effectués ici entre les mots de Proust et ceux de Nietzsche sont comme les analogies « senties par l’impression directe » qui ont la profondeur des ressemblances « dissimulées, involontaires »90, contrairement aux ressemblances superficielles, parce que « voulues », de l’intelligence. Ou, selon les mots d’Héraclite : « L’ajustement non apparent est plus fort que l’ajustement apparent »91.

1  Héraclite, Fragments, texte établi, traduit et commenté par Marcel Conche, PUF, 1991, fr. 28 (DK 56).

2  Lettre de Marcel Proust à la Princesse Bibesco, citée dans Au Bal avec Marcel Proust (1928), Paris, Gallimard, coll. « L’Imaginaire », 1989, p. 85.

3  Marcel Proust, Sur la lecture (1906), éd. Antoine Compagnon, Bruxelles, Complexe, 1987, p. 39.

4  Cité dans Daniel Halévy, Nietzsche (1944), Paris, Hachette, coll. « Pluriel », 1986, p. 548.

5  Marcel Proust, Le Carnet de 1908, établi et présenté par Philip Kolb, Gallimard, 1976. p. 61.

6  Depuis la parution de cet article, en 1998, d’autres études sur ce sujet ont été publiées, en particulier : David Case, « The Vocation of Nietzsche and Proust », International Studies in Philosophy, Atlanta, 1998, Vol. 30, No. 4, pp. 11-22 ; Duncan Large, Nietzsche and Proust : A Comparative Study, Oxford University Press, Oxford Modern Languages and Literature Monographs, 2001 ; Jacques Le Rider, « Proust et Nietzsche », Essaim, No. 7, Mise en pages de la psychanalyse, Eres, 2001 ; et « Proust und Nietzsche », Marcel Proust und die Belle Époque, Marcel Proust Gesellschaft, Köln, 2002, p. 158-188 ; Joshua Landy, « Accidental Kinsmen : Proust and Nietzsche », Philosophy and Literature, Johns Hopkins University Press, Baltimore, 2003, Vol. 27, No. 2, p. 450-455.

7  Paul-Laurent Assounn, Freud et Nietzsche, PUF, coll. « Philosophie d’aujourd’hui », 1980, p. 6.

8  Friedrich Nietzsche, Ecce homo : comment on devient ce que l’on est, texte établi par G. Colli et M. Montinari, trad ? J.-C. Hémery (1974), Gallimard, coll. « Idées », 1978, p. 76.

9  Marcel Proust, À la recherche du temps perdu, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, nouvelle édition en quatre volumes dirigée par J.-Y. Tadié, 1987-1989 (Abréviation : rtp), t. IV, p. 468.

10  Marcel Proust, [Sur les cabinets de lectures], Contre Sainte-Beuve (Abréviation : CSB), Gallimard, coll. « Pléiade », p. 606.

11  Nietzsche, Le Crépuscule des Idoles, « Ce que les Allemands sont en train de perdre », Aphorisme 16. Qu’aurait-il pensé des Archives « Goethe-Schiller-Nietzsche » ? !

12  RTP, t. I, p. 425 ; t. II, p. 92 ; t. IV, p. 334 et 358 ; CSB, p. 439, et 443 ; Marcel Proust, Correspondance (Abréviation : Corr.), texte établi présenté et annoté par Philip Kolb, Plon, (21 volumes, 1970-1993), t. IV, p. 38.

13  Contrairement à ce qu’affirme Duncan Large, « Proust on Nietzsche : The Question of Friendship », The Modern Language Review, July 1993, 88 : 3, p. 621.

14  Daniel Halévy, La Revue de Paris, 15 novembre 1897, « Nietzsche et Wagner, I : 1869-1876 » ; 1er décembre 1897, « Nietzsche et Wagner II » ; 15 février 1907, « L’enfance et la jeunesse de Nietzsche I » ; 15 mai 1907, « L’enfance et la jeunesse de Nietzsche (fin) » ; « Nietzsche et l’empire allemand », 1908. Dans d’autres revues aussi : « Les Œuvres posthumes de Nietzsche », Cahiers de la Quinzaine, 1902 ; « Le Travail de Zarathoustra », Cahiers de la Quinzaine, 12e cahier de la Xe série, 1909 ; « Sur un ami de Frédéric Nietzsche », L’opinion, 10 avril 1920 ; « Mlle de Meysenbug et Frédéric Nietzsche », Le Journal des débats, 18 août 1909 ; La Vie de Frédéric Nietzsche, Paris, Calmann-Levy, 1909 (qu’il remaniera en 1944 et intitulera Nietzsche). Avec Fernand Gregh : « Frédéric Nietzsche », Le Banquet, avril 1892. Avec Robert Dreyfus il traduit : Le cas Wagner, Paris, A. Schulz,1893 ; et avec Fernand Gregh des extraits de Au-delà du bien et du mal, dans Le Banquet, n°2, avril 1892.

15  Robert Dreyfus, « La Philosophie du marteau », Le Banquet, n°3, mai 1892 ; « Frédéric Nietzsche et Peter Gast », Le Banquet, n°6, novembre 1892. André Gide, écrit un article sur Nietzsche dans « Lettres à Angèle », L’Ermitage, 10 décembre 1898, (repris dans Prétextes, 1903).

16  Pour ne citer que quelques uns : Nietzsche, A travers l’œuvre de Nietzsche, Paris, A. Schulz, 1893 ; Aphorismes et fragments choisis, Paris, 1899 ; Henri Lichtneberger, « La France et l’Allemagne jugées par Nietzsche » La Revue de Paris, 1er octobre 1900 ; « Le Testament philosophique de Nietzsche », La Revue de Paris, 1902 ; La Philosophie de Nietzsche, Paris, Alcan, Bibliothèque de philosophie contemporaine, 1899 ; Theodor de Wyzewa (dont l’interprétation de Nietzsche est plusieurs fois attaquée dans Le Banquet), « Nietzsche », Ecrivains étrangers, Paris, Perrin, 1896 ; Dr. Paul Michaut « Le début de la maladie de Nietzsche : manifestations littéraires de la période lucide de la paralysie générale progressive », Paris, Orsini, 1903, extrait de La Clinique générale de chirurgie, N° 47 ; etc.

17  Michel Bréal, Les Étymologies du philosophe Nietzsche, Paris, Imprimerie Nationale, 1896. (Extrait des Mémoires de la Société de Linguistique, t. IX, p. 457-459.)

18  Carnet de 1908, ffos 38r-40r.

19  Voir aussi Robert Dreyfus, Souvenirs sur Marcel Proust, Grasset, 1926, en particulier p. 109, 155-166, 185, 188, 238.

20  Daniel Halévy, Nietzsche, éd. citée, p. 174-185.

21  Henri Bonnet, Alphonse Darlu (1849-1921) : le maître de philosophie de Marcel Proust, Paris, Nizet, 1961, p. 35.

22  Ecce homo, éd. citée, p. 43. Compliment qui est remarqué par N. Klugmann et B. Latzarus, Frédéric Nietzsche et la pensée grecque, Paris, Édition du « Livre Mensuel », 1920, p. 26.

23  Antoine Compagnon, Proust entre deux siècles, Éditions du Seuil, Paris, 1989, p. 45-46.

24  Voir sur ce point Duncan Large, article cité.

25  Corr., t. III, p. 156 ; t. XIV, p. 73.

26  Corr., t. VI, p. 353.

27  « John Ruskin » et « Pèlerinages Ruskiniens en France », CSB, p. 439 et 443 ; voir aussi Corr., t. IV, p. 38.

28  RTP, t. II, p. 688.

29  CSB, p. 443.

30  CSB, p. 480.

31  Faute commune à l’époque, même chez un « spécialiste » de Nietzsche tel que T. de Wyzewa, et que Le Banquet dénonçait sévèrement d’ailleurs (voir le n° 4, juin 1892, « Varia »). Proust semble avoir ignoré ces remontrances, mais il faut aussi noter qu’il faisait souvent des fautes d’orthographe, même lorsqu’il s’agissait d’auteurs qu’il aimait, il écrivait, par exemple, Saint Marks [sic] Rest (Voir CSB, p. 726).

32  Corr., t. IV, p. 38-39 ; t. VI, p. 353.

33  Ibid., t. XVII, p. 270 ; t. XIX, p. 101.

34  RTP, t. IV, p. 338.

35  Proust se souvenait en tout cas de l’anecdote concernant la réaction de Nietzsche à la nouvelle de la destruction du Louvre durant la guerre de 1870. Voir RTP, t. II, p. 689 et sa note dans le Carnet de 1908, p. 38.

36  Daniel Halévy, op. cit., p.489-490.

37  Marcel Proust, [Un officier philosophe], Jean Santeuil (Abréviation : JS), Gallimard, « Pléiade », 1971, p. 637-638.

38  Dans un compte rendu d’un livre sur Ruskin, CSB, p. 480.

39  Cahier 40, fo 45r (cité comme Esquisse XV, RTP, II, p. 1126) ; Cahier 74 et Cahier XVIII, fo 87 (Esquisse IX, RTP, p. 1377 et p. 1249).

40  [Sainte-Beuve et Balzac], CSB, p. 269.

41  Lettre du 24 décembre 1914, Autour de la Recherche : Lettres (Marcel Proust / André Gide), Bruxelles Complexe, 1988.

42  Corr., t. IX, p. 75.

43  Bernard Brun, « Roman critique, roman philosophique ou roman », Bulletin Marcel Proust, 39, 1989, p. 40.

44  [Notes sur la littérature et la critique], CSB, p. 303.

45  Voir en particulier : Alberto Beretta Anguissola, Proust inattuale, Roma, Bulzoni, 1976 ; Paul de Man, Allegories of Reading, New Haven, Yale University Press, 1979 ; Alexandre Nehemas, Nietzsche : la vie comme littérature, PUF, coll: « Philosophie d’aujourd’hui », 1994 ; Kimberly Carter-Cram, « Marcel Proust : Nietzschean (Kunstler)-Ubermensch », Paroles Gelées, UCLA French Studies, LA, 1994, 12, 47-59 ;Duncan Large, « Proust on Nietzsche : The Question of Friendship », The Modern Language Review, July 1993, 88 : 3, 614-24.

46  A. Beretta Anguissola, op. cit., p. 134.

47  Nietzsche, Ecce homo, « Pourquoi je suis si avisé », éd. citée.

48  Ibid.

49  Ibid., « Humain, trop Humain ».

50  RTP, t. IV, p. 621.

51  Nietzsche, Crépuscule des idoles, « Morale à l’usage des psychologues ».

52  RTP, t. II, p. 227.

53  A. Beretta Anguissola, op. cit., p. 189.

54  Ducan Large, article cité, p. 624.

55  A. Diès décrit l’originalité de la méthode de Tannery par rapport à l’approche hégélienne, dans sa préface à P. Tannery, op. cit., réimpression de la 2e éd, de 1930, 1990, p. XX.

56  CSB, p. 223. Et pour la même idée, en mineur, voir CSB, p. 578. Proust pensait certainement à la célèbre bibliothèque d’Alexandrie qui aurait contenu plus de 700 000 livres, dont beaucoup auraient brûlé lors de l’incendie de 391. Mais l’ampleur de cette mythique dévastation est maintenant contestée.

57  Nietzsche, cité dans S. Kofman, Nietzsche et la métaphore (1972), Paris, éditions Galilée, coll. « débats », 1983, p.34.

58  Sarah Kofman, op. cit., p. 30-31.

59  Nietzsche, La Philosophie à l’époque tragique des Grecs, suivi de Sur l’avenir de nos établissements d’enseignement, textes et variantes établies par G. Colli et M. Montinari, trad. fr. de J.-L. Backes, M. Haar et M. B. de Launay (1975), Paris, Gallimard, 1995, p. 21.

60  JS, p. 397.

61  Ibid., p. 401-402.

62  La Prisonnière, RTP, t. III, p. 760.

63  Nietzsche, Considérations Intempestives, III, 8, cité dans Sarah Kofman, Nietzsche et la métaphore (1972), Paris, éditions Galilée, coll. « débats », 1983, p. 37.

64  Ibid., p. 37.

65  Nietzsche, La Philosophie à l’époque tragique des Grecs, édition citée, p. 15.

66  Nietzsche, Ibid.

67  [Sainte-Beuve et Balzac], CSB, p. 276.

68  Ibid., p. 262.

69  Nietzsche, Les Philosophes préplatoniciens,textes établis d’après les manuscrits par Paolo D’Iorio, trad. N. Ferrand, Combas, Éditions de l’Éclat, coll. « polemos », 1994, p. 78.

70  Nietzsche, La Philosophie à l’époque tragique des Grecs, éd. citée, p. 15.

71  Proust, note dans sa traduction de Sésame et les lys, p. 63. Pour une variante de cette idée, voir p. 113.

72  Ibid., p. 149.

73  CSB, p. 220.

74  CSB, p. 233.

75  CSB, p. 233. On retrouve d’ailleurs ce même commentaire sur Rodin dans Sur la lecture : « Rodin [...] le véritable commentateur de la statuaire grecque. », édition citée, p. 90.

76  Ibid, p. 278.

77  Ibid.

78  Pastiches et mélanges (dans CSB), p. 119.

79  JS, p. 265-266.

80  Sur la lecture, éd. citée, p. 89-90.

81  Clémence Ramnoux, La Nuit et les enfants de la nuit dans la tradition grecque (1959), Paris, Flammarion, coll. « Champs », 1986, p. 84.

82  Gustave Flaubert, Lettre du 24 Juin 1837, Extraits de la correspondance ou Préface à la vie d’écrivain, présentation et choix de G. Bollème, Paris, Seuil, coll. « Pierres vives », 1963, p. 22-23.

83  Proust, Sur la lecture, éd. citée p. 62-63.

84  Ibid., p. 72-73.

85  Ibid., p. 71.

86  Ibid., p. 72-77.

87  Ibid., p. 60.

88  Ibid., p. 77.

89  RTP, t. III, p. 211.

90  RTP, t. III, p. 760.

91  Héraclite, DK 54, trad. Conche, éd. cit., p. 430.