Honoré de Balzac serait-il l’un des plus grands écrivains ratés de l’histoire de la littérature ? Expliquons-nous tout de suite, avant d’attirer les foudres des spécialistes. C’est que l’analyse de l’imposant fonds des manuscrits balzaciens, conservé à la Bibliothèque de l’Institut, dévoile une quantité impressionnante de projets inaboutis, d’œuvres fantasmées dont il ne reste le plus souvent que quelques pages, voire quelques lignes – des commencements avortés –, ou tout simplement un titre1. La trace éphémère de ces échecs témoigne de la difficulté du commencement pour l’écrivain, et achève de démolir, si besoin en était, l’image du Balzac « forçat de la plume », auteur à l’écriture rapide et peu soignée. D’autre part, l’abondance de ces tentatives inabouties de rédaction permet d’avancer l’hypothèse d’une écriture « à processus », qui semble démarrer sans avoir de plan préalable, ne fixant son « programme » qu’en cours de route, une fois dépassé le seuil inéluctable du commencement2.

Cette étude se propose d’affronter la question de l’entrée en écriture chez Balzac, en suivant les actes « matériels » qui la concrétisent (inscription du titre, rédaction du commencement), afin d’examiner les différentes étapes de l’approche de l’espace textuel. Dans une première partie, largement inspirée par l’article d’Isabelle Tournier paru dans cette même revue3, il sera question de ce « plaisir » balzacien du titre, à la fois marque d’appropriation de l’œuvre à venir et concentration d’un désir infiniment réitéré. Ensuite, par la présentation d’une ébauche inédite déchiffrée au verso du manuscrit de Ferragus – constituée de trois brefs fragments, et dont le titre principal est Souffrances secrètes –, l’analyse portera sur les échecs de l’écriture du commencement chez Balzac, ainsi que sur les relations possibles, d’un point de vue macrogénétique, entre cette ébauche abandonnée et d’autres projets contemporains. Enfin, la dernière partie sera consacrée à l’examen de cet abandon, dont les raisons seraient d’ordre essentiellement poétique : l’échec de Souffrances secrètes semble en effet lié au changement radical des formes d’exorde, dans l’œuvre balzacienne, autour des années 1832-1833.

Le plaisir du titre

Marque d’invention de l’œuvre à venir, le titre se caractérise dans les manuscrits balzaciens par sa puissance d’ouverture – d’une idée, d’un projet, d’un champ de travail, d’une rédaction –, sa fonction génétique étant ainsi très proche de celle de l’incipit. Force est de constater qu’aucun texte balzacien ne peut s’amorcer, au niveau du premier jet de l’écriture, sans avoir de titre : comme si cette inscription était nécessaire afin de résumer un projet et d’en lancer la rédaction. Le titre est donc, à la fois, une ouverture génétique et une marque d’appropriation, dont les différentes formes dessinent un mouvement vers l’espace de l’œuvre.

Dans les manuscrits balzaciens, il existe au moins trois modes d’inscription du titre qui correspondent à autant d’étapes décisives de la genèse. D’abord, ce que l’on pourrait appeler le titre-projet, c’est-à-dire la première trace génétique d’une œuvre à écrire – ou la trace creuse, parfois, d’une œuvre restant à penser. Ensuite, la page de titre, qui est à la fois couverture et frontispice du manuscrit, où le titre est calligraphié en grandes lettres. Enfin, l’inscription du titre, accompagnée parfois du titre du premier chapitre, sur la « page de départ » du manuscrit où commence la rédaction de l’œuvre4.

La première étape dans ce parcours génétique est donc celle du titre-projet, à la fois annonce de l’œuvre à venir et obligation d’écriture. On retrouve cette trace dans l’espace privé de la correspondance, qui donne souvent des renseignements essentiels sur les œuvres en question, et surtout dans les célèbres plans de travail balzaciens, le plus souvent chimériques5 ; les délais de rédaction de l’œuvre annoncée y sont établis d’une manière péremptoire, tout comme l’ampleur du texte, déjà pensée en termes « livresques », et les sommes d’argent que la vente du volume pourrait rapporter (voir fig. 1, Lov. A 202 f° 7 r°).

Or, face à cette précision, il est toutefois étonnant de constater que ces titres désignent parfois des espaces vides : des œuvres qui ne seront jamais écrites, même si leur marque de titre résiste dans tous les plans de travail successifs ; ou des projets tellement vagues que les titres deviennent interchangeables, pouvant s’appliquer à différentes ébauches ou faisant l’objet d’une variation incessante pour coller enfin, selon les mécanismes du montage balzacien, à un texte déjà écrit, à une partie du roman, à un chapitre. Ce foisonnement semble ainsi témoigner d’un véritable plaisir du « titrage » : celui d’inscrire une marque d’appropriation – une sorte de libido dominandi –, ainsi que celui de vendre cette « marque » aux éditeurs, alors que la rédaction n’est pas amorcée, que l’œuvre n’est même pas envisagée.

Mais c’est aussi le statut particulier des pages où se concentrent les listes de titres qui incite à une lecture voyeuriste, de l’ordre du plaisir. Il s’agit en effet de pages « vécues », qui dévoilent l’étroite relation entre la vie et l’œuvre, sous la forme d’un chiasme infini : non seulement l’œuvre à venir, figurée par son titre, est pensée en termes de temps existentiel (celui de la rédaction), d’espace virtuel (celui du livre imprimé) et d’argent à gagner ; mais surtout, dans de nombreuses pages, l’inscription du titre côtoie d’autres éléments disparates jusqu’à être submergée par une multitude de traces écrites qui renvoient à la vie, à ses préoccupations, ses passions, ses désirs. Emblématique, de ce point de vue, est le dossier A 202 du fonds Lovenjoul, étonnant recueil de fragments et de « rejets » de l’œuvre, où l’on retrouve des pages de titre – on y reviendra – et plusieurs listes d’œuvres à faire. Pour ne citer qu’un exemple, le folio 3 recto du recueil, reproduit par Isabelle Tournier dans l’article cité (p. 48), présente dans la partie haute de la page un plan de travail très précis (il s’agit des œuvres à écrire pour La Presse, L’Artiste, Le Siècle et d’autres à corriger ou à terminer) ; mais sous ce plan ordonné s’ouvre un espace tout différent, composé de fragments au caractère extraordinairement hétéroclite : des maximes, des réflexions, des calculs (les « comptes dramatiques » de Balzac), des croquis (un nu féminin, deux visages à peine esquissés, de profil), d’autres dessins moins déchiffrables (un petit cœur, peut-être), ou encore le menu de la semaine6.

À côté des projets d’écriture, c’est donc un concentré de passions que ces pages-carnet nous dévoilent, ces mêmes passions que l’auteur stigmatise sans cesse dans son œuvre : l’or et le plaisir, figurés ici par les omniprésents calculs, par le dessin de la femme nue, par l’évocation des jouissances de la chair et des plaisirs de la gourmandise ; et lorsqu’on s’aperçoit que d’inévitables traces de café sont présentes sur cette page, voilà que toutes les passions de l’auteur semblent être résumées – à l’exception peut-être d’une fameuse canne, dont le dessin se retrouve ailleurs, là aussi dans une page préparatoire, une page de brouillon de César Birotteau7.

La figure du chiasme est également pertinente à la deuxième étape d’inscription du titre, celle de la page de titre, et donc de la couverture du manuscrit, qui marque cependant un passage essentiel vers l’espace de l’œuvre. Ces pages célèbres, plusieurs fois reproduites et commentées8, portent en général un titre calligraphié dans leur tiers supérieur ; mais, dans ce cas aussi, la page se transforme en agenda, en carnet d’écriture, au moyen d’une constellation d’inscriptions hétéroclites : calculs, croquis, réflexions, jeux9, plans de travail, listes des personnages ou des chapitres, plan de relais, etc. (voir fig. 2, Lov. A 3 f° 1 r°). Il faut cependant remarquer que l’état « primitif » de ces pages, c’est-à-dire lorsque le titre seulement y était inscrit, rappelle de toute évidence le graphisme du livre imprimé : ce qui frappe est en effet la grandeur et la beauté de l’écriture, de cette inscription calligraphiée qui, par son emplacement, semble vraiment vouloir reproduire la page de titre du livre imprimé, ou plus précisément la page de faux-titre, celle qui suit le frontispice10.

Avant de commencer la rédaction, Balzac rêve déjà d’un espace livresque : la preuve en est donnée par une page de titre à la précision étonnante, qui prend la forme d’un véritable frontispice, voire d’une couverture de livre imprimé. Voici la transcription de cette page, conservée dans le dossier Lov. A 202, folio 2 verso (voir fig. 3) :

Image1

Il s’agit de la Monographie de la vertu, titre d’un projet d’étude analytique dont la première occurrence date de 1831, lorsque Balzac vend une première fois l’ouvrage sans l’avoir rédigé : titre « creux », donc, qui résistera pourtant dans tous les plans de La Comédie humaine, jusqu’au catalogue de 1845. Cette œuvre – projetée, annoncée, vendue plusieurs fois – n’a donc jamais été écrite ; et l’on comprend aisément que la rédaction d’une telle page ne pouvait avoir pour l’écrivain d’autre motivation que celle de cristalliser un rêve, par l’image de la couverture fictive d’un livre qui reste sans éditeur, mais dont l’aspect graphique est figuré précisément. La rédaction d’une telle page relève donc d’un plaisir visuel : mise en forme intime et jouissive, par les lettres manuscrites, du sceau de l’œuvre à venir, elle dévoile en même temps une visée publique, voire publicitaire, comme c’était déjà le cas du prospectus des Études anatomiques datant de 1834 (voir fig. 4, Lov. A 202 f° 4 r°). Mais il faut aussi souligner qu’une telle page concentre un espoir, celui du commencement : elle affirme en effet la force du titre, la puissance symbolique d’une inscription qui devrait lancer l’écriture, par la construction, imaginaire et graphique à la fois, de l’espace du livre imprimé.

Tel est aussi le rôle de la troisième forme d’inscription du titre, celle qui figure sur la page de départ du manuscrit. Là aussi – dans ces pages toujours numérotées en haut à gauche, par un geste inaugural qui semble donner l’espoir d’un commencement de l’écriture – le titre est calligraphié en haut de la page, et suivi éventuellement du titre du premier chapitre.

Le soin graphique apporté à ces pages est évident, en raison d’un détail sans doute significatif : entre le titre et le texte, Balzac insère régulièrement une marque de séparation, sous la forme d’un bref tiret horizontal ou, le plus souvent, d’une petite ligne ondulée (voir fig. 5, Lov. A 202 f° 16 r°).

On peut considérer ce dernier élément graphique comme un simple ornement discret, qui témoignerait en tout cas de l’attention portée par Balzac à l’aspect matériel de la page manuscrite. Mais on pourrait aussi y voir un signe symbolique, si l’on se souvient de l’épigraphe de La Peau de chagrin, à savoir le dessin d’une ligne sinueuse – clin d’œil à Tristram Shandy de Sterne11 –, qui se situe exactement entre le titre et le texte, et dont la signification a été explicitée par Balzac, lorsqu’il évoque, par le biais de la voix de Philarète Chasles, dans l’« Introduction » aux Romans et contes philosophiques, « la vie avec ses ondulations bizarres, avec sa course vagabonde et son allure serpentine12 ».

Ainsi, ce détail graphique pourrait finalement constituer un emblème : non seulement de la « vie », mais aussi de l’écriture, une écriture qui semble, à son commencement, chercher son propre parcours, par des ondulations, des répétitions, des échecs, en l’absence de tout tracé prédéfini.

 Les Souffrances secrètes d’Honoré de Balzac : une ébauche inédite

Si l’inscription du titre procède donc d’une jouissance – comme marque d’appropriation, sceau de l’œuvre à venir, ouverture d’un projet –, la rédaction du commencement du texte semble en revanche relever d’une véritable angoisse liée à l’entrée en écriture, à la mise en forme du projet même, voire à la concrétisation du désir de l’écrivain. En effet, force est de constater que, dans les pages manuscrites de Balzac, les titres gardent leur statut et restent bien visibles avec leurs volutes graphiques, alors que les commencements inaboutis sont soigneusement raturés, notamment en ce qui concerne les « faux départs », c’est-à-dire les multiples versions du début d’une œuvre. Et cet effacement volontaire de la trace écrite pourrait être le signe d’un acte d’exorcisme par lequel l’auteur dissimulerait ses difficultés ainsi que ses échecs. Car l’écriture du commencement chez Balzac procède par balbutiements incertains, hésitations multiples, « tâtonnements inutiles » – telle est la formule même de l’auteur dans une lettre à Madame Hanska13. Autant de tentatives qui peuvent préluder à la « trouvaille » du bon commencement, ou bien se solder par un abandon.

Or, cette difficulté propre au commencement chez Balzac vient aussi, me semble-t-il, d’une écriture non-programmée, d’une écriture qui se cherche tout en assignant au début de la rédaction une fonction inaugurale. En effet, si les traces des commencements inaboutis abondent dans les manuscrits balzaciens, les plans des œuvres y sont pratiquement absents, à l’exception de brefs résumés narratifs (notamment dans l’album Pensées, sujets, fragments, dossier Lov. A 182) ou de certains plans de relais que l’écrivain a manifestement dressés en cours de rédaction : l’entrée dans l’écriture paraît donc s’effectuer dans le noir, le début de la genèse coïncidant avec la genèse du début14. Et une telle hypothèse est également appuyée par l’étonnant retour des mêmes motifs et topoi liminaires dans plusieurs œuvres du premier Balzac de la période 1829-1832 – nous y reviendrons dans la dernière partie de cette étude. Or, ces incipit semblent souvent puiser à un répertoire thématique d’inspiration romantique, à une sorte d’intertexte personnel : l’écrivain chercherait ainsi l’ouverture de son nouveau texte par la reprise, voire la répétition de ses commencements antérieurs ; même si, dans certains cas, ni les modèles formels ni les leitmotive thématiques ne suffisent à lancer l’écriture.

De ce point de vue, la brève ébauche dont il sera ici question présente un double intérêt : un intérêt d’ordre génétique, parce que ces trois fragments sont à ce jour inédits ; et d’ordre poétique, car il s’agit, notamment dans le cas du fragment le plus étoffé, du dernier retour d’une forme d’incipit que l’écrivain abandonne, si bien que l’échec de cette ébauche pourrait représenter un véritable tournant dans l’écriture du commencement chez Balzac.

Voici donc la description et la transcription de ces trois feuillets, dont le texte a été déchiffré sous d’épaisses ratures. Les feuillets en question sont reliés dans le dossier du manuscrit de Ferragus (Lov. A 99), où ils portent les numéros 17, 18 et 19 (selon la numérotation de Georges Vicaire). Ils proviennent en réalité du manuscrit de la Théorie de la démarche, dont la rédaction est contemporaine de celle de Ferragus (février 1833). En effet, une fois arrivé à la page 12 ter de Ferragus (numérotée 14 par Vicaire, et partiellement utilisée au verso), Balzac écrit sur un bout de papier la note suivante destinée à l’imprimeur : « Vous prendrez cette partie de la composition à la fin du 3e et au commencement du 4e placard de la Théorie de la démarche15. » Deux pages des épreuves de la Théorie de la démarche (composée à la Revue de Paris, selon une note de la main de Lovenjoul) sont donc insérées : elles portent les numéros 15 et 16 (Vicaire), la première page étant collée à la note manuscrite de Balzac. Les feuillets 17, 18 et 19 présentent donc, au recto, le manuscrit du texte composé dans les deux pages précédentes (le feuillet 19 donne aussi la suite du texte).Au verso de ces trois pages, on peut lire les textes suivants (toutes les pages sont numérotées 1, dans le coin en haut à gauche) :

Folio 17 verso (voir fig. 6)

Au recto, le feuillet a été coupé en haut, pour retrancher les premières lignes de la page et pour assurer ainsi l’enchaînement avec le texte du manuscrit de Ferragus. Au verso, la page est donc coupée en bas, dans sa partie vide, puisque le feuillet a été utilisé tête-bêche (pratique courante chez Balzac, lorsqu’il réemploie ses pages au verso). Le feuillet présente plusieurs taches d’encre, en haut, ainsi que des traces de cire rouge à cacheter. Le titre et chacune des onze lignes du texte sont couverts de ratures en dents de scie très serrées. Certains mots sont aussi chargés de ratures en boucles, certainement antérieures : ils seront ici signalés par des caractères barrés. Les astérisques indiquent les lectures conjecturales. Les ajouts qui se trouvent en marge sont intégrés au texte, et donnés en italique.

Souffrances secrètes

Il se rencontre dans la vie humaine des heures

mystérieuses, pleines de sentimens profonds, char-

gées de pensées inconnues où nous so et pendant

lesquelles nous sommes plongés tombons au

fond d’un gouff*re ;* *plus notre âme* chacun

a ses souvenirs dont il est le seul histo-

rien possible : ce sont des fantaisies douces ou terribles

. Elles renaissent qui souvent le soir, au gré des rêveries capricieuses,

et s’élèvent du se réveillent dans le cœur où elles sont ense-

velies, où elles  réveillées par  où elles et s’y

rendorment toujours moins [un mot illisible]

Folio 18 verso (voir fig. 7)

L’ensemble du texte, titres compris, est barré à traits très épais. Les premiers mots sont chargés de ratures en boucles.

Les secrets entre nous et Dieu

(1er article)

Chacun a des souvenirs Tout homme a des sou-

venirs dont il est le seul historien possible

Folio 19 verso (voir fig. 8)

Ce feuillet est le fruit du montage de deux feuillets coupés à moitié, et collés ensemble : la partie supérieure provient du manuscrit de la Théorie de la démarche ; la partie inférieure donne la suite du texte. Le titre ici reproduit se trouve au verso de la partie inférieure, et semble donc être postérieur aux deux fragments précédents. Ce feuillet ne présente donc qu’un titre, centré :

Les Secrets

Quelques considérations sur ces trois fragments : le voisinage des feuillets dans le dossier manuscrit, ainsi que la ressemblance des titres, prouvent qu’il s’agit manifestement du même projet d’écriture, et que ces trois pages ont été rédigées au même moment, à une date sans doute très proche du début de la rédaction de Ferragus – vers la fin de 1832 ou au tout début de 1833 –, en raison du collage du dernier feuillet. L’ordre chronologique des fragments reste cependant difficile à déterminer. En effet, l’analyse matérielle du manuscrit, notamment en ce qui concerne le montage des feuillets décrit plus haut, semblerait indiquer que le folio 19 verso, qui présente uniquement un titre, est le dernier de la série : après deux tentatives inabouties de commencement, le dévoilement de ces « secrets » promis aurait donc tourné court.

Quant aux deux fragments les plus étoffés, leur ordre ne peut également qu’être conjectural. Soulignons pourtant que le deuxième texte ici présenté (f° 18 v°) s’ouvre par la reprise presque littérale d’une phrase du premier fragment, que Balzac corrige par un glissement significatif du particulier au général : « chacun a des souvenirs » devient « tout homme a des souvenirs ». Cette variante permet donc d’imaginer que Souffrances secrètes est probablement le premier texte de la série ; la numérotation du manuscrit au recto serait ainsi en accord, sans doute par hasard, avec l’ordre de rédaction des feuillets.

Mais la variante en question témoigne aussi d’un changement radical, d’ordre stylistique, que confirme la transformation du titre : le très balzacien Souffrances secrètes cède la place à un titre plus étrange, Les secrets entre nous et Dieu, qui établit un lien entre le particulier et le collectif, l’intime et le divin ; pour reprendre des termes chers à l’écrivain, le premier titre semble évoquer les « effets » (les souffrances), alors que le second renvoie plutôt aux « causes », voire aux « principes16 ». Si l’on voulait extrapoler un peu – la brièveté des fragments oblige à se livrer à des hypothèses –, la première ébauche serait à cataloguer parmi les « études de mœurs », et notamment dans les « scènes de la vie privée », tandis que Les secrets entre nous et Dieu fait plutôt songer à une « étude philosophique », voire à une « étude analytique » s’ouvrant sur un « premier article » sous la forme d’axiome général. Balzac semble hésiter même en ce qui concerne le statut générique de son projet…

Titres croisés

Il faut d’ailleurs avouer que, du point de vue de la genèse, le secret qui enveloppe ces fragments est en parfaite adéquation avec leurs titres, dont on ne retrouve aucune trace nulle part ailleurs sous la plume de Balzac, ni dans les plans, ni dans les catalogues, ni dans la correspondance. Et il est même étonnant de constater que ce véritable mot clé de l’univers balzacien, le secret, n’a fourni qu’un seul titre à l’écrivain – Les Secrets de la princesse de Cadignan17 –, exception faite des ébauches raturées et secrètes dont il est ici question. Il en va autrement pour le mot « souffrance » et ses synonymes, dont on compte plusieurs occurrences dans la titrologie balzacienne : par exemple, Les Souffrances de l’inventeur est le titre d’un projet romanesque de 1832 destiné à retracer l’existence de Bernard Palissy18, avant que Balzac ne le réemploie onze ans plus tard comme titre définitif de la troisième partie d’Illusions perdues ; et Les Souffrances du prêtre est le titre primitif du Curé de village, lors du contrat signé en 1836 avec Delloye et Lecou19. Bien évidemment, ces textes n’ont aucun rapport avec nos ébauches.

En revanche, dans l’album Pensées, sujets, fragments on retrouve la mention d’un projet inabouti dont le titre semble en relation avec ceux des ébauches présentées : il s’agit de Souffrances confiées à Dieu. Et voici le sujet imaginé par Balzac : « Une mère mourante soignée par ses deux fils, elle n’est pas mariée. Son enterrement20 ». Ce bref sujet, entièrement barré et précédé de la mention « Premier volume », se présente à l’intérieur d’un plan qui renvoie sans doute aux Conversations entre onze heures et minuit, recueil qui aurait dû intégrer d’autres ouvrages déjà publiés, et auquel Balzac songe en 1832, probablement au milieu de l’année21. L’idée de cet ouvrage paraît donc légèrement antérieure à la rédaction de nos brèves ébauches ; rien ne prouve cependant leur relation. D’ailleurs, ces souffrances d’une mère – sujet qui ressemble à un Père Goriot à l’envers – annoncent également le titre d’un autre projet resté à l’état d’ébauche : Douleurs de mère, texte dont les premières pages seulement furent écrites, à une date incertaine entre février 1833 et avril 183422. Mais il s’agit dans ce cas d’une nouvelle italienne qui évoque l’amitié, non dépourvue d’ambiguïté, entre deux jeunes femmes, l’une mariée par calcul et volage, l’autre veuve et retirée : cette ébauche n’a manifestement rien à voir avec le sujet précédent.

Bref, en dépit des titres, aucune relation ne semble lier ces différents projets. Au contraire, ce véritable chassé-croisé de titres auquel se livre l’écrivain suggère que Balzac utilise des titres ressemblants pour des projets très différents et totalement autonomes. En confirmation de cette hypothèse : il existe dans l’œuvre balzacienne un texte dont le titre se rapproche étrangement de celui de la première ébauche présentée, à laquelle je voudrais consacrer la dernière partie de cette étude : il s’agit de « Souffrances inconnues », c’est-à-dire la deuxième partie de La Femme de trente ans, rédigée en été 1834 au moment du montage en un seul texte des cinq récits parus antérieurement. Dans l’architecture de cet ouvrage à la genèse si complexe, la rédaction de cette partie assure la liaison entre le premier et le troisième récit ; surtout, elle contribue de manière capitale à la cohésion globale du texte, en comblant un hiatus temporel dans l’histoire et en conférant une épaisseur nouvelle au personnage légendaire de la femme de trente ans23. L’héroïne, retirée dans un château à l’écart de la société parisienne, se livre à une longue confession à un vieux prêtre de campagne, dans laquelle elle dévoile ses peines ainsi que ses fautes : mariée sans amour et adultère, elle ne peut ressentir aucun attachement pour sa fille, enfant du devoir.

On connaît l’importance que Balzac assignait à cette partie de La Femme de trente ans, au point d’affirmer n’avoir « jamais été tant remué par une œuvre24 ». Inévitable retour du refoulé, l’histoire retrace le traumatisme enfantin de l’écrivain, mais selon le point de vue de la mère ; et le commentaire de Félix Davin, sans doute inspiré par Balzac, est éloquent : « Les Souffrances inconnues sont une œuvre désespérante. Jamais aucun auteur n’avait osé plonger son scalpel dans le sentiment de la maternité. Ce passage de l’œuvre est un gouffre où tombe une femme en jetant un dernier cri25. »

Il reste à savoir si l’on peut considérer les Souffrances secrètes ébauché plus d’un an auparavant comme un avant-texte des « Souffrances inconnues » de La Femme de trente ans. Encore une fois, rien ne le prouve. Et si la brièveté de l’ébauche ne permet pas de trancher sur le fond, il faut tout de même souligner qu’il n’est jamais question, dans cette partie de La Femme de trente ans, d’« heures mystérieuses », de « fantaisies douces ou terribles » ou de « rêveries capricieuses ». Bien au contraire, « Souffrances inconnues » est un long cri de douleur extrêmement lucide, « un horrible cri, comme le dit Balzac, sans prétention au drame26 », la révolte d’une femme contre le devoir de la maternité et contre le mariage qu’elle définit – formule dont on connaît la fortune – comme une « prostitution légale ». Dans l’espace d’un an, le jeune écrivain adepte de fantasmagories romantiques cède la place à l’historien des mœurs, secrétaire de la société de son temps.

Enfin, ce qui semble confirmer l’indépendance des deux textes est la présence, dans la première ébauche, de certaines marques stylistiques propres au dispositif d’ouverture de romans antérieurs. C’est à ce bouleversement dans la poétique balzacienne du commencement que je voudrais consacrer la dernière partie de cette étude.

Du temps incorporé au temps historique : les raisons d’un échec

L’ébauche intitulée Souffrances secrètes, comme je l’ai déjà signalé, présente un certain nombre de motifs et de topoi liminaires que l’on retrouve dans d’autres œuvres du premier Balzac. On peut même supposer l’existence d’un véritable modèle de commencement qui serait de l’ordre de la contemplation romantique : un début « intimiste » qui évoque la relation du sujet au monde selon une harmonie presque extatique, et à des instants particuliers propices à la méditation. « Rêverie » est d’ailleurs le mot clé de ce genre d’incipit, terme auquel Balzac semble assigner un rôle essentiel, en tant que point de passage et de fusion entre la réalité et l’imagination, l’observation et la fantaisie.

Un premier exemple nous en est fourni par le commencement du Centenaire, roman de jeunesse datant de 1822, dont la description lyrique reste ouvertement liée aux modèles du roman noir : il s’agit de l’évocation de ce « vague ossianique » produit par des « nuits dont le spectacle est imposant, et dont la contemplation nous plonge dans une rêverie pleine de charme27 ». D’autres exemples suivent : le début d’El Verdugo, conte philosophique rédigé en octobre 1829, nous présente un jeune officier français qui « paraissait abîmé dans une contemplation profonde » devant le spectacle nocturne et fantasmagorique de la ville espagnole de Menda28. Le commencement inabouti du Dernier bienfait de Melmoth, qui remonte à l’automne 1830, relate la promenade nocturne d’un « étranger » plongé dans une « rêverie profonde » à la vue des monuments du quartier parisien de l’Observatoire, qui lui apparaissent tantôt comme des fantômes, tantôt comme des ombres29. Le narrateur de Sarrasine – caché dans l’embrasure d’une fenêtre d’où il contemple le bal dans un salon splendide, ainsi que le morne spectacle nocturne du jardin de l’hôtel de Lanty – est également « plongé dans une de ces rêveries profondes qui saisissent tout le monde30 » ; et l’on sait que dans ce conte philosophique, paru en novembre 1830, la rêverie du narrateur est une véritable clé de voûte de la structure d’opposition sur laquelle repose le récit, permettant la jonction entre les termes de l’antithèse : ombre et lumière, froid et chaud, mort et vie. Enfin, le commencement de La Bourse, nouvelle publiée en mai 1832, évoque cette « heure délicieuse » du passage entre le jour et la nuit où la « lueur crépusculaire favorise une rêverie qui se marie vaguement aux jeux de la lumière et de l’ombre » ; heure de magie chère « aux artistes qui se recueillent », comme c’est le cas du jeune peintre que le narrateur décrit s’abîmant « dans une de ces méditations qui ravissent l’âme31 ».

De toute évidence, le commencement inabouti de l’ébauche Souffrances secrètes réalise une sorte de condensé des thèmes communs à cette forme d’incipit intimiste qui relève de la sensibilité romantique, et dont l’isotopie du mystère va à l’encontre de la puissance de dévoilement propre au statut énonciatif et au rôle du narrateur balzacien. Mais c’est surtout sur le plan de l’évocation du temps qu’une telle forme de début s’oppose au véritable modèle de commencement chez Balzac, à cet incipit fortement structuré qui construit l’univers fictionnel par la détermination exacte des coordonnées spatio-temporelles de l’histoire ; la date, on le sait, est l’élément prioritaire de cette forme de début référentiel que l’on retrouve déjà dans Les Chouans, en 1829, mais dont l’emploi se généralise à partir de 1832, notamment avec Le Curé de Tours.

L’opposition dans la mise en place du temps romanesque entre les deux types de commencement est claire. Dans le premier cas, le texte renvoie à un temps indéfini que le sujet perçoit à travers ses sens (la contemplation nocturne, ou le son des cloches, dans El Verdugo et Sarrasine) : il s’agit d’un temps intime, intérieur, en quelque sorte incorporé. Alors que dans le second cas, le début fait référence à un temps historique, figé par la date, et donc extérieur au sujet. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la métaphore principale de l’incipit contemplatif, cette fois-ci d’ordre spatial, est celle de la profondeur, du repli du sujet sur lui-même – il suffit à ce propos d’observer le réseau sémantique formé par des termes qui reviennent comme autant de leitmotive : plonger, abîme, gouffre, ensevelir, etc. En revanche, la deuxième forme d’incipit – le modèle balzacien – relève de l’horizontalité, de la surface et du passage : à l’espace de l’intériorité se superpose celui de l’extériorité, du monde social, de l’univers incommensurable que l’écrivain bâtit.

Pour revenir à La Femme de trente ans, le commencement de « Souffrances inconnues » – qu’il faut considérer comme un véritable incipit, les récits étant distincts dans l’édition de 1834 – est de ce point de vue exemplaire : le château où l’héroïne se retire, emblème de la clôture et de l’espace intime, se situe en effet au milieu d’un désert, d’une vaste et morne plaine que le personnage ne peut d’abord que contempler de sa fenêtre ; pour ensuite franchir le seuil, et rentrer enfin dans l’espace social, une fois sa confession terminée.

Profondeur et surface, verticalité et horizontalité : autant de métaphores symboliques, au début du texte, en raison de leur rôle d’implication, de leur puissant appel à ce lecteur qui doit entrer dans l’univers romanesque et, tout comme les personnages, scruter au fond de soi-même ou traverser des seuils. Autant de métaphores sensuelles, en ce qu’elles renvoient aussi à une idée de pénétration, passive ou active : être pénétré, ouvrir les espaces du corps, ou pénétrer le monde, franchir les passages. La poétique du commencement du premier Balzac, jusqu’à l’ébauche qui a été ici présentée, semble privilégier une forme de pénétration intime du sujet. Ensuite, cet espace-temps incorporé se double d’un temps historique à appréhender et d’un espace social à pénétrer, à l’exemple de l’histoire de Julie d’Aiglemont, et de sa révolte contre les mœurs et les lois de son époque racontée dans la deuxième partie de La Femme de trente ans.

En revanche, les Souffrances secrètes du personnage inconnu de notre ébauche ne seront jamais dévoilées, car elles ne pouvaient plus être écrites selon le mode de la contemplation ; et encore une fois, les chemins secrets de l’écriture ratée nous dévoilent une poétique in fieri. Dans ces sentiers de la création qui bifurquent incessamment, Balzac abandonne ici sa rêverie romantique : armé de son scalpel et de ses instruments de dissection, il achève de se transformer en analyste des mœurs et en chirurgien de la société de son temps.

C’est peut-être à ce moment-là qu’il devient l’auteur de La Comédie humaine.

1  La plupart des ébauches ont été publiées dans l’édition de la Pléiade, sous la direction de P.-G. Castex, de La Comédie humaine (vol. XII, 1981) et des Œuvres diverses (vol. I, 1990 et vol. II, 1996) : il s’agit de nos éditions de référence. Pour ces titres « vides » dont les manuscrits sont constellés, il suffit de voir la liste dressée par le vicomte Spoelberch de Lovenjoul dans son Histoire des œuvres d’Honoré de Balzac (Paris, Calmann-Lévy, 1879, réimpr. en fac-similé Genève, Slatkine, 1968), qui mentionne les nombreux projets de Balzac n’ayant jamais paru.

2  Sur ce point, je me permets de renvoyer à mon article « Le ressassement éternel. Interruptions, faux départs, réouvertures », à paraître dans les actes du colloque Balzac. L’éternelle genèse, aux P.U.V. Sur la pratique balzacienne des « plans de relais », on peut consulter l’étude de Roland Chollet intitulée : « À travers les premiers manuscrits de Balzac (1819-1829). Un apprentissage », Genesis, n° 11, 1997, p. 29 sq.

3  Isabelle Tournier, « Titres et titrage balzaciens. Autour d’un dossier peu connu du fonds Lovenjoul », Genesis, n° 11, 1997, p. 41-60.

4  Ces deux dernières formes d’inscription du titre ont été analysées par Isabelle Tournier qui, à la fin de son article consacré notamment au dossier A 202 du fonds Lovenjoul, distingue les « pages de titre » et les « pages de départ » (Isabelle Tournier, art. cit., p. 57-59).

5  Que l’on pense par exemple à l’« Ordre du jour » manuscrit (Lov. A 202, f° 28 r°), que Pierre Barbéris date de 1822 (Aux sources de Balzac. Les romans de jeunesse, Paris, Les Bibliophiles de l’Originale, 1965, p. 132), ou au « Catalogue des ouvrages que contiendra la Comédie Humaine », que Balzac dresse en 1845 et publie dans L’Époque du 22 mai 1846.

6  Isabelle Tournier voit dans le nu féminin – façon « Vénus de Milo » – l’image de Sarah Guidoboni-Visconti, dont la présence hante les quelques pages réunies dans ce dossier : il suffit de voir l’inscription calligraphiée « Sarah » ou encore l’étrange lipogramme « Macarasarah » du folio 27 recto, à côté d’une liste de titres, bien évidemment… (art. cit., p. 49-50). Quant au menu – « très carné », remarque Isabelle Tournier – en voici la transcription (soulignons aussi que l’absence d’indications, pour deux jours de la semaine, fait plutôt penser à une liste d’achats) : « lundi gigot / mardi / mercredi filet / vendredi côtelettes / samedi aloyau / dimanche filet petit ».

7  On peut voir la reproduction de la page, accompagnée d’un commentaire séduisant et subtil, dans le livre de Lucien Dällenbach, La Canne de Balzac, Paris, Corti, 1996, p. 109 et 215.

8  Voir par exemple le remarquable dossier iconographique de l’ouvrage de synthèse de Gérard Gengembre, Balzac. Le Napoléon des lettres, Paris, Gallimard, coll. « Découvertes », 1992.

9  Un exemple de jeu est présenté par la page de titre de L’Ambitieux malgré lui (voir fig. 2) – brève ébauche qui se rattache à la genèse du Député d’Arcis (voir l’histoire du texte dans l’édition de la Pléiade de La Comédie humaine, vol. VIII, p. 1587-1601) – où Balzac trouve plusieurs anagrammes de son nom, d’abord en brouillant les lettres (Czareobhoedlnae), pour arriver ensuite à de noms fantaisistes : E. César Bolhanode, Le Czar Noé Bohade, Le Czar de Bohanoé, Cezar de Bolha-Noé, E. César de Bohla-Noé. Or, ces anagrammes sont presque toujours erronées, parce qu’il y a un e, voire deux, de trop (marque du féminin ?) ; et il est aussi surprenant, et peut-être significatif, de voir surgir, dans une page qui porte un titre pareil, des noms qui évoquent des figures de pouvoir, d’ailleurs liées étymologiquement (César et Czar) ; sans parler enfin de l’omniprésence du S/Z, marquée par l’hésitation orthographique César/Cézar – signe d’une destinée particulière inscrite dans ces deux lettres, si l’on se souvient d’une histoire onomastique qui conduit de Balssa à Balzac, et si l’on connaît la querelle moderne engendrée par le livre de Roland Barthes…

10  Isabelle Tournier souligne également le caractère soigné et « inaugural » de la graphie balzacienne dans les pages de titre, où l’auteur – ancien clerc d’avoué et « bon ouvrier en livres » – « trace son italique avec un plaisir manifeste […] et pose ses volutes graphiques comme clef de sol sur une partition » (art. cit., p. 42 et 56).

11  Il s’agit en effet du dessin tracé en l’air par le bâton du caporal Trim, au chapitre CCCXII de Tristram Shandy de Sterne, où la ligne est cependant placée en vertical.

12  Voir l’édition de la Pléiade de La Comédie humaine, vol. X, p. 1235. La même explication revient, de manière encore plus explicite, dans l’« Introduction » aux Études philosophiques de 1834, par Félix Davin (ibid., p. 1213).

13  La lettre en question, datée du 29 décembre 1846, est enveloppée dans un feuillet manuscrit qui présente effectivement un commencement inabouti, celui de « L’Initié », deuxième épisode de L’Envers de l’histoire contemporaine (voir l’histoire de ce texte dans l’édition de la Pléiade de La Comédie humaine, vol. VIII, p. 1362).

14  Je rejoins donc l’hypothèse macrogénétique de Stéphane Vachon, qui souligne que Balzac, réduisant à son minimum la phase prérédactionnelle, pratique à la fois une écriture à processus et à programme (voir l’article intitulé « Les enseignements des manuscrits d’Honoré de Balzac. De la variation contre la variante », Genesis, n° 11, 1997, notamment p. 77). On peut à ce propos consulter la première partie de mon article, déjà cité : « Le ressassement éternel. Interruptions, faux départs, réouvertures ».

15  Voir, dans l’édition citée de la Pléiade, l’histoire du texte de Ferragus (vol. V, p. 1411-1413) et de la Théorie de la démarche (vol. XII, p. 952-955).

16  Il s’agit bien entendu de la tripartition sur laquelle Balzac fonde, à partir de 1834, la structure de La Comédie humaine.

17  Tel est le titre que Balzac donne, dans l’édition Furne en 1844, au roman qui avait paru en 1839 sous le titre Une princesse parisienne. Soulignons aussi une autre occurrence du mot dans le titre Les Secrets des Ruggieri, récit publié en feuilleton en 1836-1837 ; le texte sera finalement intégré à Sur Catherine de Médicis, et son titre modifié en La Confidence des Ruggieri.

18  L’album Pensées, sujets, fragments présente une variante de ce titre, mentionné comme Les Souffrances du créateur.

19  Voir l’édition de la Correspondance de Balzac, par Roger Pierrot, Paris, Garnier, 1960-1969, vol. III, p. 176.

20  Pensées, sujets, fragments, f° 18. La transcription de cet album est donnée dans les Œuvres complètes de Balzac, édition établie par la Société des Études balzaciennes, sous la direction de Maurice Bardèche, Club de l’Honnête Homme, 1955-1963, vol. XXVIII (p. 671 pour notre citation).

21  Après avoir publié en janvier 1832 une série de courtes histoires sous le titre Une conversation entre onze heures et minuit, en tête du volume anonyme des Contes bruns, c’est en effet en juin 1832 que Balzac vend à Louis Mame un recueil intitulé Conversations entre onze heures et minuit, qui ne sera jamais écrit.

22  La transcription de ce texte, conservé sous le dossier A 61 du fonds Lovenjoul, est donnée dans l’édition citée du Club de l’Honnête Homme, vol. XXVIII, p. 611-613 (voir également la présentation de Raffaele de Cesare et Pierre Laubriet dans L’Année balzacienne de 1961).

23  Soulignons que dans l’édition de 1834, lors du montage des cinq récits antérieurs et de la nouvelle partie en un texte unique intitulé Même histoire, les personnages féminins de chaque partie restent distincts : la protagoniste de « Souffrances inconnues » est d’ailleurs anonyme. Ce n’est qu’en 1842 que Julie d’Aiglemont devient l’héroïne unique du roman, intitulé alors La Femme de trente ans (voir l’histoire du texte dans l’édition citée de la Pléiade, vol. II, p. 1584-1590).

24  Honoré de Balzac, Lettres à Madame Hanska, édition établie par Roger Pierrot, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1990, vol. I, p. 188. La lettre en question date du 26 août 1834.

25  La citation est extraite de l’« Introduction », par Félix Davin, aux Études de mœurs au xixe siècle de 1835, reproduite dans l’édition de la Pléiade, vol. I, p. 1165.

26  Voir la lettre à Madame Hanska du 26 août 1834, citée plus haut.

27  Honoré de Balzac, Le Centenaire, ou les deux Béringheld, dans Premiers romans, 1822-1825, édition établie par André Lorant, Paris, Laffont, coll. « Bouquins », 1999, vol. I, p. 857.

28  Honoré de Balzac, El Verdugo, dans La Comédie humaine, édition citée, vol. X, p. 1133.

29  Voir, dans l’édition de la Pléiade, l’histoire du texte de Melmoth réconcilié, vol. X, p. 1374-1375. La différence radicale entre cette ébauche et l’incipit « physiologiste » du récit Melmoth réconcilié, écrit en 1835, est une confirmation ultérieure de la transformation des formes de commencement chez Balzac autour des années 1832-1833.

30  Honoré de Balzac, Sarrasine, dans La Comédie humaine, édition citée, vol. VI, p. 1043.

31  Honoré de Balzac, La Bourse, dans La Comédie humaine, édition citée, vol. I, p. 413-414.