I

Avec plus de 240 poèmes, le Divan occidental-oriental représente l’ensemble poétique le plus important de toute l’œuvre de Goethe. Au printemps 1814, après une longue période de stagnation de sa créativité poétique, le poète vit sa force d’inspiration « rajeunie »1 par la découverte d’un « matériau prodigieux »2 : la littérature orientale. En peu de temps prirent naissance des poèmes orientalisants, une moisson de « perles poétiques »3. Cette métaphore orientalisante, qui désigne des poèmes à la forme parfaite, Goethe l’a rencontrée dès le début de son travail dans le Diwan du poète persan Hafiz4. En 1814, cette œuvre fut en effet le facteur déclenchant, au véritable sens du terme, du Divan de Goethe. C’est donc une expérience de lecture qui, dans la genèse du Divan occidental-oriental, a représenté l’impulsion décisive.

Pour l’auteur du Divan, le lien créateur qui existe entre lire et écrire concerne non seulement la lecture des sources qui l’ont inspiré, comme ici le Diwan de Hafiz, mais également la relecture de ses propres poèmes. Cette relecture va occuper une fonction essentielle durant les principales étapes de la genèse du Divan, ces six regroupements de poèmes auxquels Goethe a procédé (voir fig. 1). À ses yeux, en effet, un poème peut assurément surgir en tant que forme isolée, mais, pour développer pleinement sa richesse de sens, il faut qu’il soit mis en rapport avec d’autres. Ces regroupements revêtent une énorme importance esthétique, car ils ont fonctionné simultanément comme bilan et comme catalyseur. Si pour Goethe les poèmes déjà composés se sont regroupés en une constellation aux rapports multiples, le fait de s’en occuper à nouveau a provoqué dans sa production un nouveau bond en avant5. Dans ce qui va suivre nous nous occuperons de Goethe comme créateur à partir de la lecture tant de la littérature orientale que de ses propres poèmes.

II

Le début de la genèse du Divan baigne dans l’atmosphère favorable du début de l’été 1814. Le premier voyage entrepris par Goethe après les guerres contre Napoléon a suscité en lui le sentiment libérateur d’un nouveau départ et d’un rajeunissement. La rencontre, en mai 1814, avec le Diwan du poète persan Hafiz joue le rôle d’une étincelle : les motifs centraux de Hafiz, l’amour, le vin et la poésie ressuscitent la triade de motifs qui avaient marqué le lyrisme anacréontique de la jeunesse du poète. Euphorique, le sexagénaire éprouve un « rajeunissement temporaire », qui se manifeste par une « productivité particulière »6. En quelques semaines c’est quasiment l’éruption de plus de trente poèmes, qu’il regroupe en juillet 1814 sous le titre de « poèmes à Hafiz » – regroupement chronologique dans un premier temps, selon la date de composition des poèmes (voir fig. 1).

En octobre 1814, de retour à Weimar, Goethe commence à élargir son horizon au-delà de Hafiz, en consultant d’autres œuvres de la littérature orientale. À la fin de l’année, il peut déjà rassembler plus de cinquante poèmes, qui maintenant ne sont plus dédiés à Hafiz, mais qui, sous le titre « Divan allemand », se présentent comme le pendant occidental du Diwan de Hafiz (voir fig. 1).

Ce second regroupement, que Goethe mentionne le 14 décembre 1814 dans son journal, permet de se faire une idée exemplaire de sa productivité en tant que lecteur de ses propres poèmes. Leur relecture incite Goethe à substituer progressivement au regroupement chronologique un regroupement systématique, qui tient compte « des ressemblances, des oppositions, des complémentarités, des relativisations, des gradations »7 ou des effets de miroir. Cela exigeait de toute évidence que soit placé en tête un poème introductif programmatique8. Le 24 décembre 1814, Goethe procéda à la copie au net du poème « Hegire » (Hégire9), qui décrit comment le « Je » du poète se détourne de l’Occident que les guerres ont fait « voler en éclats », pour se tourner vers le « pur Orient ». À vrai dire, le poète célèbre cette nouvelle orientation créatrice comme le début d’une époque : le titre « Hégire » renvoie à l’émigration de Mahomet de La Mecque vers Médine, en 622 après J.C., qui marque le début du calendrier islamique ; la date du 24 décembre renvoie, elle, à la naissance du Christ, qui marque le début du calendrier de l’Occident chrétien10. Qu’« Hégire » ait pour tâche d’introduire programmatiquement l’ensemble des poèmes du Divan se confirme encore des années plus tard, lorsque Goethe, annonçant en février 1816 son Divan dans le Morgenblatt für gebildete Stände (Journal des gens cultivés) par la première strophe d’« Hégire », ajoute : « Le premier poème, qui a pour titre "Hégire", nous fournit d’entrée de jeu des indications suffisantes sur le sens et les intentions de l’ensemble. »11

Le deuxième exemple que nous donnons ici de la productivité goethéenne provenant d’une relecture de ses propres œuvres porte sur la genèse de trois poèmes particuliers. Déjà en juin 1814, lors de sa lecture approfondie du Diwan de Hafiz, Goethe s’était inspiré de la préface du traducteur Joseph von Hammer pour composer le poème « Fetwa » (Fetva), qui reproduit sous forme poétique un jugement d’un mufti à propos du prétendu danger que représenterait la poésie de Hafiz. Mais « Fetva » n’en attribue pas la responsabilité au poète, elle la déplace sur son lecteur. Ce n’est qu’en décembre 1814, lors de la relecture de ce poème en vue du regroupement à opérer pour parvenir au « Divan allemand », que Goethe se voit amené à composer un second poème qui, sous forme de dialogue, répond à « Fetva », et il place les deux poèmes sur un même feuillet12. Dans « Der Deutsche dankt » (L’Allemand remercie), le poète allemand remercie le juge de « Fetva » pour son jugement avisé, qui protège Hafiz. Le rapport entre Hafiz et le poète allemand, qui est constitutif du Divan et qui est introduit dans les dernières strophes d’« Hégire », se voit renforcé maintenant par le dialogue entre « Fetva » et « L’Allemand remercie »13.

À partir de décembre 1814, Goethe se consacre pendant six mois à une étude intensive de la littérature orientale. Il raconte à son ami Knebel qu’il a l’intention d’« imiter […] ce matériau prodigieux » et de « faire ainsi siens le sens et la forme de ce type de poésie »14. Ce « matériau prodigieux », ou plus exactement les trouvailles qu’il fait au cours de ses considérables lectures, Goethe les a rassemblées sur de « feuillets multifonctionnels »15. Aujourd’hui le dossier génétique complet du Divan comprend ainsi plus de trois cents manuscrits16.

Grâce à ce travail acharné, le nombre des poèmes du Divan se retrouve multiplié par deux, si bien que, à la fin mai 1815, Goethe peut établir un troisième regroupement comprenant cent poèmes dans la « liste de Wiesbaden » (voir fig. 1).

Ces études intensives contribuèrent également à concentrer et à étayer ses connaissances orientalistes. De plus, c’est avec une exceptionnelle subtilité que Goethe a su les intégrer à sa vie d’homme et de poète – ainsi qu’il ressort de la phase suivante, celle qui débute dans l’été 1815. Au cours de son voyage de cette année-là, qu’il a consciemment organisé de façon que se répètent les conditions de production optimales de l’année précédente, il rencontra pour la seconde fois Marianne von Willemer. Si, lors de leur première rencontre, leur fascination réciproque était demeurée tout entière dans les limites de rapports amicaux et sociaux, un amour partagé va maintenant se développer entre le poète et la jeune femme, dont Goethe – cas unique dans son œuvre – intégrera les poèmes orientalisants dans le Divan. La coïncidence entre poésie et vie réelle entraîne la composition, au cours d’un seul mois, de vingt-quatre poèmes d’amour. Impossible de les intégrer parmi les cent poèmes du Divan de mai 1815. Goethe décide donc au début d’octobre 1815 de procéder à un quatrième regroupement, cette fois-ci selon treize livres thématiques17 (voir fig. 1).

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Fig. 1 : Chronologie de la genèse du Divan occidental-oriental

Goethe rentre à Weimar. C’est la séparation – d’ailleurs définitive – avec Marianne von Willemer. L’année 1816 n’apporte que quelques échos poétiques des travaux et des événements de 1815. C’est sans doute cette baisse d’intensité qui amène Goethe à penser à une publication du Divan. Il teste les réactions du public par l’avant-publication de plusieurs petits ensembles18 (voir fig. 1). Dans la mesure où ces réactions sont moins positives qu’on ne pouvait l’espérer, Goethe envisage d’adjoindre à ses poèmes « une introduction et quelques explications », donc un « ajout en prose »19. Mais l’énergie lui manque pour réaliser ce plan ainsi que l’impression des poèmes du Divan. Suit au contraire une pause de presque deux ans, pendant laquelle Goethe se tourne vers d’autres travaux20.

Ce n’est qu’en décembre 1817 qu’il commence à préparer la première édition des poèmes du Divan. Au cours d’un cinquième processus de regroupement Goethe répartit les poèmes en douze livres21 (voir fig. 1). La mise sous presse fut manifestement pour Goethe une incitation suffisante à mener enfin à bien son projet d’une partie explicative en prose. Celle-ci forme en quelque sorte le treizième livre, sous le titre « Besserem Verständniß » (Pour aider à l’intelligence du Divan). Dans le chapitre central « Divan futur », Goethe présente le Divan de la première édition comme inachevé et exprime son espoir de « lui donner peu à peu » dans un « Divan futur […] la forme complète qui lui revient »22. En effet, l’impression de la première édition n’était pas encore terminée que, dès le 28 juillet 1819, Goethe demandait à son secrétaire John de faire une copie de la totalité des poèmes du Divan, le « Nouveau Divan ». Ainsi, le regroupement en vue de la première impression, avec la relecture inévitable des poèmes, a lui aussi inspiré de nouvelles productions. Et jusqu’en 1823 Goethe devait rajouter encore quarante-trois poèmes au « Nouveau Divan ». C’est sous cette forme élargie que le Divan parut en 1827 dans le cadre de l’édition de dernière main (voir fig. 1). Elle comprenait cependant une partie en prose inchangée où était maintenue l’annonce d’un « Divan futur ». Cela devait donner l’impression que Goethe avait l’intention, encore après 1827, d’apporter de nouveaux compléments.

Cependant il n’en fut rien. Goethe délégua l’édition de dernière main, travail secondaire parmi d’autres, en bonne partie à ses collaborateurs. C’est ainsi qu’il avoue, précisément en 1827, que « les poèmes du Divan » n’ont « plus aucun lien » avec lui : « Tant ce qui s’inscrit dans le domaine oriental, que dans celui de la passion, a cessé de vivre en moi ; c’est resté au bord du chemin comme la peau d’un serpent après la mue. »23 L’histoire de la genèse du Divan était terminée. Cependant, laisser volontairement l’annonce d’un « Divan futur » entraîne un décloisonnement, qui confère au Divan l’aura de l’inachevé.

Le fait que Goethe ait néanmoins conservé, même après 1827, les pièces très hétérogènes destinées au Divan est lié à son intention « de conserver les témoignages de [s]on existence », qui « seront d’une grande aide aux amis qui voudront se charger de [s]on œuvre posthume »24.

III

Faisons comme ces amis et occupons-nous de l’œuvre posthume. Le dossier du Divan témoigne avant tout de la manière dont le voyageur parti pour l’Orient à travers les livres a réussi à s’approprier ce qu’il avait lu et à le transformer en une production poétique propre. On pourra montrer cela de façon exemplaire à partir de ces textes que Goethe a rassemblés, en janvier 1815, sur un seul feuillet multifonctionnel : le folio H 1/B1. 56b, sur lequel il a collé, en mai 1815, la bande de papier H 1_/B1. 56 et le quart de feuille H 1_/B1. 5625.

Il s’agit d’un feuillet multifonctionnel significatif pour le travail sur le Divan, comportant des ébauches de poèmes, des notes de lecture et des notations diverses, qui ont été portées là au cours de diverses campagnes d’écriture. La fonction de ce type de feuillet est de toute évidence de servir de réserve, de conserver diverses trouvailles faites au cours des lectures, et les ébauches spontanément suscitées par la lecture. Comme la lecture fait essentiellement partie du travail de Goethe pour le Divan, je voudrais l’expliquer plus précisément (les figures 2a et 2b reproduisent, dans la colonne droite, les diverses sources, numérotées de 1 à 15). Goethe a étudié soigneusement le Diwan de Hafiz ainsi que la préface du traducteur Hammer. Mais quand, à partir de décembre 1814, le volume des lectures se mit à croître démesurément, il changea sa manière de lire. Il procéda soit par orientation thématique, c’est-à-dire qu’il consulta des articles de dictionnaires, par exemple dans la Bibliothèque orientale (voir source 15), ou bien il choisit systématiquement de lire tel article ou tel chapitre d’un livre, dont le thème l’intéressait (voir source 2 : « Sur les talismans des musulmans », sources 13 et 14 : « Selon quelles règles on doit s’exprimer » et « Le comportement à avoir quand on boit du vin »). Mais plus fréquemment encore, Goethe s’est livré seulement à une lecture cursive, s’arrêtant à des détails qui attiraient son regard, par exemple des passages de texte placés en évidence (exergue, voir source 1), mis en valeur par la typographie (passages en caractères espacés, voir sources 8 et 9), ou détachés de la suite du texte (liste, proverbe et dialogue, voir sources 2, 6 et 10). Mais avant tout son attention était sollicitée par les notes de bas de page, sans doute parce qu’il en espérait des informations plus détaillées (voir sources 3, 4 et 11). À dire vrai, on pourrait caractériser Goethe comme un lecteur passionné de notes de bas de page. Un bon tiers des passages relatifs au Divan ou au dossier posthume se trouvent dans les notes des textes-sources.

IV

Si maintenant nous comparons le texte même des sources avec ce que Goethe en a fait, nous disposerons d’éléments plus concrets sur le rapport entre « lire » et « écrire », rapport où certains procédés intertextuels se révèlent comme des principes de travail essentiels de l’auteur du Divan26.

Sur le feuillet que nous nous proposons d’analyser,Goethe a commencé au début de janvier 1815 par l’ébauche du quatrain « Gottes ist der Orient… » (À Dieu est l’Orient…, l. 1-4) ainsi que du distique fragmentaire « Er der einzige Gerechte… » (Lui, le seul juste…, l. 5-6). L’ébauche du poème « Gottes ist der Orient… » supprime l’injonction aux croyants (« Sag : » / « Dis : ») présente dans sa source, la deuxième sourate du Coran27. Ce qui n’était qu’une formule de prière incantatoire devient dans le poème une constatation affirmative qui convient tout à fait à son caractère de maxime et qui, de plus, gagne en intensité du fait que la disparition de « Dis… » souligne mieux le parallélisme entre les deux premiers vers. Puis le poème fait éclater l’orientation Est-Ouest de la source et élargit la perspective au Nord et au Sud, donc à l’universel : « Le Nord comme le Sud aussi / Jamais son œil ne s’en est détourné. » Dans le même temps, les vers renoncent à célébrer, comme dans la source, l’arbitraire divin – « Il conduit qui il veut sur le droit chemin » – et mettent l’accent sur l’universalité de la protection divine. Lors de la publication Goethe a encore retouché ces vers :

Gottes ist der Orient !

Gottes ist der Occident !

Nord- und südliches Gelände

Ruht im Frieden seiner Hände.

À Dieu est l’Orient !

À Dieu est l’Occident ! 

Les contrées du Nord et du Sud

Reposent dans la paix de ses mains28.

Dans le poème imprimé, la protection divine, tout d’abord garantie uniquement de manière optique, devient tactile : « Les contrées du Nord et du Sud / Reposent dans la paix de ses mains. » Cette intensification du poème imprimé par rapport à l’ébauche est encore renforcée par divers détails. Alors qu’au départ le Nord et le Sud ne fonctionnaient que comme des ajouts (« aussi »), ils se trouvent placés sur le même plan dans le texte imprimé ; là où l’ébauche se contentait de nier une négligence (« jamais son œil ne s’en est détourné »), le texte imprimé se présente de manière affirmative (« Reposent dans la paix de ses mains ») ; là où l’ébauche indiquait un mouvement de l’œil et où le verbe au parfait renvoyait à une temporalité, le poème imprimé décrit une attitude immobile qui, renforcée par les verbes statiques au présent (« est », « est », « reposent »), acquiert une valeur supratemporelle.

L’ébauche qui suit « Er der einzige Gerechte… » (Lui le seul Juste..., l. 5-6) entretient un rapport textuel bien moins étroit avec sa source. Dans l’article de Joseph von Hammer, « Sur les talismans des musulmans », Goethe a trouvé une liste des « cent noms » d’Allah, parmi lesquels, à la vingt-neuvième place « Der Allgerechte » (Le Totalement-Juste). Cette seule notation a été une incitation suffisante à écrire cette ébauche, née d’un seul mouvement, en même temps que « Gottes ist der Orient… » / « À Dieu est l’Orient... ». Non seulement le pronom personnel « Lui » réfère sans équivoque au « Dieu » qui précède, mais, formellement, la seconde ébauche prend appui sur la première, car, afin de pouvoir conserver le trochée à quatre accents, Goethe a supprimé l’affixe « All » (totalement) au profit de l’absolu exclusif « einzig » (seul).

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Fig. 2a : Gottes ist der Orient... (feuillet H 1/B1. 56b, recto, Stiftung Weimarer Klassik, Goethe- und Schiller-Archiv, GSA 25 / W 945)

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Fig. 2b : Das Buch Kabus... (feuillet H 1/B1. 56b, verso, Stiftung Weimarer Klassik, Goethe- und Schiller-Archiv, GSA 25 / W 945) et Verhältniss (günstiges)... et Sunniten Orthodoxe... (deux bandes de papier, H1+H1, Stiftung Weimarer Klassik, Goethe- und Schiller-Archiv, GSA 25 / W 945)

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Fig.2b

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Et il reprend l’action de Dieu qui, dans le poème précédent, englobe l’univers, en mettant l’accent sur le fait que Dieu « veut pour chacun sa justice ». Puis l’ébauche s’interrompt, mais Goethe l’a biffée en diagonale en même temps que le poème précédent – signal, que la présente ébauche a été abandonnée et que Goethe a continué à travailler à ce poème. En effet, il l’a reprise dans le Divan, où « Er der einzige Gerechte… » se présente maintenant comme un quatrain complet :

Er der einzige Gerechte

Will für jedermann das Rechte.

Sey, von seinen hundert Namen,

Dieser hochgelobet ! Amen.

Lui, le seul Juste,

Veut pour chacun sa justice.

Qu’entre ses cent noms

Celui-ci soit loué ! Amen29.

Dans ses reformulations successives, Goethe a de nouveau recours à sa source : une des entrées de celle-ci – les « cent noms » de Dieu – devient un souhait emphatique renforcé par un « Amen », « Ainsi soit-il ». Nous trouvons ici un concentré de cette combinatoire occidentalo-orientale si caractéristique du Divan, à savoir la mise en relation des « cent noms », litanie propre à l’Islam, avec la formule de prière judéo-chrétienne « Amen »30. Goethe obtient ainsi un double résultat : ses deux poèmes à caractère de maximes y gagnent une aura sacrée et le poids d’une prière ; son public allemand, attiré par un élément connu (le « Amen »), est subtilement familiarisé avec l’inconnu (les « cent noms » de Dieu). Dans le Divan Goethe a regroupé les deux quatrains dans un groupe de maximes sous le titre « Talismane ». Ce titre est manifestement dérivé de celui de l’article sur les talismans des musulmans, et il confirme l’intention de ces maximes d’agir grâce à la force magique des talismans.

Ce feuillet à peine utilisé est repris par Goethe à la fin de janvier 1815. Il lui fait subir une rotation de 180° et note au verso des extraits de la première partie des Denkwürdigkeiten von Asien (Curiosités de l’Asie), volume comprenant des articles de l’orientaliste amateur berlinois, Heinrich Friedrich von Diez. Le feuillet consacré à des ébauches sert ainsi à recueillir des notes de lecture (l. 20-35) et témoigne de son rôle multifonctionnel.

Considérons maintenant les lignes 20 à 23 : « Le livre de Kabu / du roi Kjekjawus / en l’an de notre ère / 1080. » Il s’agit ici simplement d’un renvoi bibliographique au Buch des Kabus (Livre de Kabu), que Goethe a emprunté à l’article de Diez, « Bibel-Erklärung » (Explication de la Bible). Ce qui a sans doute attiré son attention, c’est que Diez attribue précisément au roi persan Kjekjawus la juste interprétation du proverbe de Salomon, 11,131. Ce renvoi sous forme d’extrait révèle avant tout comment Goethe procédait en janvier 1815 dans sa recherche de matériel et de lecture. Grâce à ce renvoi bibliographique, il se procura effectivement le Livre de Kabu, livre qui devait devenir non seulement une de ses lectures favorites, mais également une des sources les plus importantes de son Divan32.

Immédiatement après sa remarque sur le Livre de Kabu Diez raconte, dans son article « Bibel-Erklärung », l’histoire de Muhammed Paschmakdschi, grâce à laquelle Kjekjawus a exemplifié le proverbe mentionné. Muhammed a empêché le favori d’un calife de mourir de faim en jetant régulièrement du pain dans le Tigre, sur la rive duquel ce dernier, sur le point de se noyer, s’était caché dans une caverne. Le calife récompensa Muhammed, mais voulut connaître les raisons qui l’avaient fait agir. Muhammed aurait répondu :

« Ô Commandeur des croyants ! Un jour j’ai entendu quelqu’un dire : « Fais le bien, jette ton pain dans l’eau, un jour tu en seras récompensé. » Et pour mettre cette affirmation à l’épreuve je l’ai fait en me disant : je vais voir ce qu’il m’arrivera de bon en compensation du bien que j’ai fait à l’eau. » Et le calife : « O homme pieux ! cette eau t’apportera beaucoup de bien en compensation. »33

Et Diez donne l’explication suivante :

Quand le proverbe dit dans le texte hébreu : « Jette ton pain dans l’eau, car au bout d’un long temps tu le retrouveras », cela veut dire, partage ton pain avec tous les pauvres, connus ou inconnus, jette ton pain à l’eau, sans chercher à savoir vers où il voguera et à qui il profitera, […], car même de cette bonne action faite au hasard tu seras tôt ou tard récompensé par Dieu34.

À partir du proverbe de Salomon 11,1 et de l’explication de Diez, Goethe a composé spontanément son propre distique sur le même feuillet : « Wirf deine Fladen ins Wass[er] / Wer weis wer sie gen[iest] » (Jette tes galettes à l’eau / Nul ne sait qui les mangera, l. 24-25). Une fois de plus nous pouvons restituer la manière poético-intertextuelle qui est celle de Goethe : l’ébauche est linguistiquement plus achevée que son pré-texte – par exemple par l’allitération en « w » – et il prend ses distances vis-à-vis de la source par le choix des mots, par les suppressions et les substitutions. Ainsi, en éliminant l’instruction préliminaire « Fais le bien », il se libère d’un élément manifestement autoritaire et moraliste ; et, surtout, il remplace toute promesse d’une récompense par le vers, « Nul ne sait qui les mangera », inspiré probablement par l’explication de Diez, « sans chercher à savoir… ». Goethe comprime le pré-texte pour en faire une injonction, faisant appel à une aide spontanée, un acte, qui n’interroge ni sur celui qui sera avantagé, ni sur l’avantage qu’on peut soi-même en retirer. L’ébauche goethéenne se distingue essentiellement de sa source par la suppression du contexte sacré qui prévoit qu’on sera récompensé par Dieu. C’est précisément cet aspect central que Goethe renforcera encore lorsqu’il retravaillera l’ébauche, en décidant de faire précéder les deux vers existants par la question : « À quoi bon chercher / Où s’écoule la bienfaisance ? » :

Was willst du untersuchen

Wohin die Milde fließt.

In’s Wasser wirf deine Kuchen,

Wer weiß wer sie genießt.

À quoi bon rechercher

Où s’écoule la bienfaisance ?

Jette tes gâteaux à l’eau,

Nul ne sait qui les mangera35.

Ce poème instaure un jeu de questions-réponses – forme de dialogue propre à beaucoup de maximes du Divan – et parvient ainsi à atténuer le caractère autoritaire que marque encore l’injonction dans l’ébauche. Sur le plan formel également, il existe entre l’ébauche et le poème un saut qualitatif. La structure en rimes croisées exige que le « Brod » (pain) de la source, devenu « Fladen » (galettes) dans l’ébauche, soit remplacé par « Kuchen » (gâteau) dans le poème. L’allitération en « w » se retrouve non plus seulement dans les deux vers, mais dans les quatre, et l’ébauche au mètre irrégulier est maintenant devenue un poème iambique à trois accents36.

Cependant, l’ébauche montre déjà que la versification est un des procédés utilisés par Goethe pour parvenir à composer ses propres poèmes à partir de ses lectures. Ainsi a-t-il transformé les trois phrases originales, de longueur inégale, en deux vers de même longueur. On reconnaît cette même tendance à la versification dans les lignes qui suivent : « Wahrli[ch] es giebt bey Gott / Keine Religion / Ausser der wahren Religion. » (En vérité il n’y a en Dieu / Aucune religion / Sinon la vraie religion, l. 26-28). Le texte de la source (voir fig. 2b, source 10) est divisé par Goethe en trois vers provisoires. Ce début de transformation poétique n’était cependant pas suffisant pour l’engager à retravailler ces vers. D’autres fragments extraits des Denkwürdigkeiten von Asien (l. 30-35, voir fig. 2b, sources 11 et 12) subissent le même traitement37. Mais il faut ajouter que Goethe les a fait suivre par le renvoi aux sources « Denkwürdigkeiten » (l. 32, 35). Ce genre de renvois, il avait l’habitude de les porter sur des feuillets, afin de pouvoir, le cas échéant, se référer encore une fois à la source. On peut en déduire que sa manière de travailler relève d’une systématique assez approfondie.

Ce n’est qu’autour du 9 ou du 10 mars 1815 que Goethe reprit le feuillet partiellement rempli et nota au recto, dans une troisième campagne d’écriture, des extraits de la biographie de Mahomet par Johann von Rehbinder, Abul Casem Mohamed (l. 7-13). Mais tandis que le roi « Nuschirvan » ne fait l’objet d’une mention favorable que dans la partie en prose du Divan38, l’histoire des « quatre plus belles femmes » (l. 8-13) est l’une des plus complexes de la genèse du Divan. Elle vaut la peine d’y consacrer un chapitre particulier.

V

En comparant la liste des « quatre plus belles femmes » avec leur source (voir fig. 2a, source 4), on découvre une erreur fondamentale de Goethe – erreur riche de conséquences.

Mahomet dut le succès de ses armes principalement au courageux et impavide Ali. En reconnaissance des services rendus il lui donna pour épouse sa fille chérie Fatima. Elle était âgée de 15 ans, belle comme une tulipe quand elle ouvre son calice, et l’une des plus parfaites de son sexe*. […] [Note de bas de page] * Ahïa, épouse d’un roi égyptien, Miria (la vierge Marie), Cadisga et Fatima, l’épouse et la fille de Mahomet, sont considérées par les musulmans comme les femmes les plus parfaites qui soient39.

Rehbinder décrit la beauté de Fatima sans préciser suffisamment qu’il s’agit ici de beauté extérieure et intérieure. Ceci ne ressort qu’indirectement de la note de bas de page, qui parmi « les femmes les plus parfaites » mentionne la vierge Marie et Cadisga, personnages exemplaires de la foi et de la fidélité qui incarnent la perfection dans la morale. Au début, ce détail important a échappé à Goethe qui a identifié la perfection avec la beauté, puisque, dans son extrait, il évoque toutes les femmes mentionnées en parlant des « quatre plus belles femmes ».

À la mi-mars, Goethe ne s’était pas encore aperçu de son erreur. Il intégra l’extrait dans une ébauche au crayon, dont nous ne possédons qu’un manuscrit très abîmé : H 9 (voir fig. 3). Il ne nous offre que des rudiments des strophes sur « Souleika » et « Fatima », ainsi que de la strophe finale, « Diese werden nur bewund[ert]… » (Seules celles-ci sont admirées…), qui décrit l’élévation des femmes au paradis. L’ébauche a été biffée par un trait vertical, après avoir donné naissance au poème en huit strophes « Ferner sind alhier zu finden… » (En outre on peut trouver ici…). Sa copie au net porte, à l’encre rouge, le numéro « 97. » (voir fig. 4a), ce qui signale l’insertion du poème dans la fameuse « liste de Wiesbaden » (regroupement des poèmes du Divan en mai 1815, voir fig. 1). La comparaison de la copie au net de ce poème avec son ébauche permet de constater que Goethe ne s’y retrouvait pas toujours dans la suite des femmes. Dans l’ébauche, Souleika et Fatima se suivent, mais dans la copie au net, les strophes consacrées à Marie et à Aïcha viennent s’intercaler entre les deux. Ces hésitations dans la conception se manifestent également dans le fait que Goethe a ajouté une strophe en bas du folio, et que ce n’est qu’après coup qu’il a indiqué par une flèche (>) qu’elle venait à la deuxième place.

« Ferner sind alhier zu finden… » se fonde sur la liste des noms des « quatre plus belles femmes » et y ajoute (comme déjà dans l’ébauche) Souleika. En juxtaposant les exemples de quatre femmes, le poème suit le modèle poétique du « collier de perles »40. De ce fait, il est à mettre au nombre de « ce type particulier de poèmes du Divan qui énumèrent, qui alignent »41. On remarquera en outre que dès l’introduction le poème place les femmes au paradis (« alhier » / ici) et insiste de manière superlative sur le motif – erroné – de la beauté purement physique : « Vier, die allerschönsten Frauen » (quatre femmes, les plus belles qui soient). La prépondérance de ce motif a entraîné un important changement de personnages. Entre-temps Goethe s’était informé sur Cadisga, la première épouse de Mahomet, et avait bien dû constater que nulle part dans la tradition islamique ne lui est attribué le qualificatif de belle42.

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Fig. 3 : Fand der Ewigkeit verbunden... (quart de feuillet, H9, Stiftung Weimarer Klassik, Goethe- und Schiller-Archiv, GSA 25 / W 953)

C’est ainsi que, s’écartant de la liste des noms, le poème introduit à sa place la femme qui fut plus tard la préférée de Mahomet, la belle Aïcha. Et pourtant, c’est uniquement à propos de la première femme nommée, Ahïa, que, pendant deux strophes, est exclusivement célébrée son exceptionnelle beauté. Or, le trait de perfection morale commence à s’introduire : Aïcha est « fidèle et audacieuse dans la douleur et les difficultés » ; Fatima est « sans défaut » et son corps ressemble à un « corps doré comme le miel » qui enveloppe « l’âme du plus pur des anges » ; Miriam, bien qu’elle ait enfanté, « n’a, en récompense de la pureté de sa foi, rien perdu de sa valeur » (donc de sa virginité). Ici, le paradoxe selon lequel une virginité intacte lui reste ainsi garantie après une naissance se présente sous une forme camouflée. Elle s’insère dans une tendance plus générale à tempérer la raillerie blasphématoire qui se manifestait encore plus nettement dans les débuts du Divan43. Plus concrètement : dans « Ferner sind alhier zu finden… » on assiste à une désexualisation à travers un renversement de la conception du paradis. Selon la conception islamique, les « houris » (l. 3-4, 21-24, 31-32) habitent le paradis, offrent leurs services – y compris sexuels – aux bons musulmans et retrouvent leur virginité pendant la nuit44. L’idée de la virginité renouvelée des houris, à laquelle un poème du début du Divan faisait explicitement allusion45, est remplacée ici par la représentation – d’où toute connotation sexuelle est absente – d’une éternelle jeunesse (« se désaltèrent à la fontaine de jouvence », l. 22). De même, les complaisances sexuelles des houris, explicitement présentes dans le poème plus ancien, ne sont plus ici qu’un aimable accueil (« Cependant des centaines de femmes comme elles / Te réservent un accueil aimable au paradis », l. 31-32). Enfin, dans « Ferner sind alhier zu finden… », même la beauté des quatre femmes se voit désérotisée par leur entrée au paradis : contrairement aux houris, on les « admire », ce qui implique le respect d’une certaine distance (l. 29).

Cette tendance à la désérotisation devait s’affirmer encore plus nettement dans la deuxième version du poème, intitulée « Auserwählte Frauen » (Femmes élues), qui ne voit le jour que trois ans plus tard, en septembre 1818 (voir fig. 5).

En septembre 1818 Goethe, travaillant sous pression à la partie en prose, se replongea dans la lecture de textes orientalistes. Ces impressions de lecture engendrèrent de nouveaux poèmes, ce dont la deuxième version du poème des femmes a également profité. On peut affirmer avec certitude qu’en septembre 1818, la répartition en livres du Divan eut été achevée. Le poème devait donc s’intégrer dans la conception d’ensemble du « Livre du paradis ». On peut certes rencontrer dans le Divan un rapport à la fois polémique et ludique avec les doctrines religieuses de l’Islam comme du christianisme, mais en tout cas pas dans le « Livre du paradis » de 1818/1819. Selon l’annonce du Divan, ce livre contient « aussi bien les particularités du paradis mahométan que les traits sublimes, marques de la joie du croyant, traits qui se rapportent à la félicité future qui lui est accordée »46. La conséquence pour la deuxième version du poème des femmes fut que Goethe traita désormais la beauté physique comme accessoire et se fixa comme programme la ‹perfection› de ces femmes sur le plan de la morale et de la foi. Cette nouvelle disposition a sans doute pour origine des informations recueillies à partir de sources nouvelles, par exemple dans des passages de la Sunna, que Goethe a trouvés dans les Fundgruben des Orients / Mines de l’Orient (voir fig. 5). Mais cela ne pouvait lui suffire complètement à éclairer le problème, car manifestement, dans la tradition islamique, ni le nombre des « femmes élues » n’est fixé, ni il n’est dit sans équivoque qui en fait partie. Néanmoins, l’accent mis sur la perfection dans la morale et la foi a provoqué un nouveau changement parmi les personnages du poème. Ahïa qui n’était que belle, disparut, et Aïcha, la femme préférée de Mahomet, se vit préférer sa première femme Cadisga, qui se distinguait par sa fidélité.

Le déplacement d’accent eut d’autres conséquences, comme le total bannissement des houris, et donc, la désexualisation de plus en plus poussée. On ne parle plus de la virginité de Marie toujours intacte après une naissance : le superlatif « bénie entre toutes » renvoie simplement à la grâce divine qui lui a valu d’être choisie parmi toutes les femmes pour mettre Jésus au monde47, et cette naissance est mise strictement en perspective avec le destin de Jésus comme Sauveur (« le salut pour les païens »). Même dans la strophe consacrée à Fatima, qui n’a été que très légèrement modifiée, Goethe, par de minuscules reformulations et glissements syntaxiques, déplace le centre de gravité de la beauté extérieure vers la perfection intérieure et morale. La première version du poème offrait simplement une comparaison qui met sans équivoque la beauté extérieure au premier plan (Fatima est « Semblable au corps doré comme le miel / Enveloppant l’âme du plus pur des anges »). En revanche, la deuxième version utilise une apposition prédicative et, grâce à des modifications syntaxiques, met l’accent sur la vertu intérieure : Fatima est maintenant « l’âme angélique et pure / Dans son corps doré comme le miel. » L’angélisme et la pureté neutralisent a priori toute association érotique que le « corps doré comme le miel » serait susceptible de provoquer.

Dans un cas, cette désérotisation frappante est même accomplie de façon explicite : dans le cas de Souleika. La trajectoire du personnage de Souleika au cours de la genèse du poème des femmes est assez étonnante. Dans l’extrait de 1815, elle est absente (voir fig. 2a, l. 8-13) – ce n’est pas par hasard, car elle manque chez Rehbinder, l’Islam ne la comptant absolument pas au nombre des femmes « les plus parfaites qui soient ». Dans la première version du poème, elle sert tout d’abord de concurrente à Ahïa sur le plan de la beauté (voir fig. 4a, l. 9-10). Puis, s’écartant des conceptions islamiques, Goethe l’introduit dans la deuxième version du poème, la mettant même au premier plan : « D’abord Souleika, soleil de la terre… » (voir fig. 5, l. 6-9).

Personne n’ignore aujourd’hui que Souleika a servi de nom de plume pour la jeune Marianne von Willemer dont Goethe s’était épris à l’époque du Divan. Et pourtant, les choses sont plus compliquées, car Souleika existe déjà dans le système poétique du Divan, avant même que, quasiment sous le masque du nom orientalisant, se glisse la femme réelle. Souleika désigne à l’origine la femme de Putiphar. Elle reste anonyme dans l’Ancien Testament comme dans le Coran, et on lui attribue un désir irrépressible pour le beau Joseph/Youssouf.

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Fig. 4a : Ferner sind alhier zu finden... (feuillet H139/R11, recto, Stadtarchiv Hannover, Autographen Culemann, 662)

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Fig. 4b : Und Fatima dann die holde... (feuillet H139/R11, verso, Stadtarchiv Hannover, Autographen Culemann, 662)

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Ce n’est qu’une épopée du poète persan Gami, dont Goethe connaissait des extraits48, qui lui attribue le nom de Souleika et qui, de manière décisive, réoriente son désir vers le renoncement.

Dans deux poèmes du Divan qui se répondent de façon dialogique, les poèmes « Dass Suleika von Jussuff entzückt war… » (Que Souleika fut charmée par Youssouf) et « Da du nun Suleika heissest… » (Comme tu t’appelles désormais Souleika)49, Goethe a élaboré sa propre conception de Souleika, dans la mesure où il a certes considéré la passion amoureuse comme dominante, mais en a transféré l’objet du jeune et beau Joseph/Youssouf vers le poète vieillissant Hatem. Les deux poèmes où Souleika et Hatem sont introduits en tant que noms de plume datent de la fin mai 1815, donc d’avant la nouvelle rencontre décisive avec Marianne von Willemer et la série impressionnante des poèmes d’amour de l’automne 1815.

Cependant, le nom de plume ‹Souleika›, choisi au printemps 1815, sans doute dans un état de joyeuse espérance du revoir avec Marianne von Willemer, porte déjà en lui, souterrainement et de manière prémonitoire, le renoncement. Ce renoncement devait s’accomplir réellement avec le départ hâtif de Goethe, qui quitta Heidelberg pour Weimar, et se manifester poétiquement dans le motif de la séparation et de la remémoration mutuelle dans les poèmes de Hatem et Souleika, et ce, dès l’automne 1815.

Si, en septembre 1818 – soit trois ans plus tard – Souleika occupe une place aussi prééminente dans la deuxième version du poème des femmes, c’est que le « Livre du paradis », en tant que dernier livre poétique du Divan, avait une fonction de liaison et d’amplification par rapport aux livres du Divan qui le précèdent, donc également par rapport au « Livre de Souleika ». Ainsi la Souleika terrestre est-elle, lors de sa dernière apparition dans le Divan, définitivement désérotisée, et elle « brille comme le modèle du renoncement » afin de pouvoir être transfigurée et emportée50 vers les « délices du paradis » de l’au-delà.

VI

Sur le feuillet multifonctionnel, auquel nous revenons maintenant, l’érotisme et même le sexe semblent en revanche avoir joué un rôle prépondérant : immédiatement à la suite de la liste des « quatre plus belles femmes » Goethe a noté au printemps 1815 non seulement le mot « Augenlust » (plaisir des yeux), qui exprime l’effet érotisant de la fascination optique, mais également « Fleischeslust / Hoffartiges Wesen / Überall » (plaisir de la chair / conduite présomptueuse / partout, l. 14-17, voir fig. 2a). Dans la mesure où cela se trouve non loin de la liste des « quatre plus belles femmes », on serait en droit de penser que Goethe avait, au départ, voulu esquisser à leur intention une sorte de programme ‹sexualisé›. Mais ce n’est là qu’une spéculation. La seule chose qu’on puisse prouver est qu’il s’agit ici sans équivoque de prélèvements significatifs à partir de deux passages de la Bible, qui finalement n’ont pas été retravaillés (voir fig. 2a, source 5).

En revanche, le distique iambique qui suit sur le feuillet a été largement réutilisé (l. 18-19) : « Der Kessel straft den Ofentopf / Und rühmen alle beyde. » (La bouilloire se moque de la marmite / Et toutes deux se vantent.). Cela renvoie probablement à un proverbe du Buch des Oghuz (Livre d’Oghuz) dans les Denkwürdigkeiten von Asien de Diez : « 161. La peine dit à la peine : ton derrière est noir. Cela signifie que chacun reproche à l’autre un défaut qu’il possède lui-même. » (voir fig. 2a, source 6) Il est étonnant de constater à quel point le texte de la source et l’ébauche divergent ici. À vrai dire, la divergence s’explique, car elle résulte d’une compilation à partir de deux autres sources. D’une part, on peut penser au compte rendu du livre de Diez par Thomas Chabert51, où celui-ci propose une autre traduction : « Der Fleischtopf sagte dem Fleischtopfe, dein Hinterer ist schwarz. »52 (Le faitout dit au faitout : ton derrière est noir.) Mais il n’est pas impossible qu’une fois de plus la Bible ait été mise à contribution, car, dans Ézéchiel 24, à qui sont déjà empruntés les extraits sur le « plaisir des yeux » (l. 14-17), Goethe aurait bien pu tomber sur la parabole de la marmite rouillée (voir fig. 2a, source 7).

Comme on peut le voir à propos des mots « Ofentopf » dans l’ébauche et « topff » (marmite) posée sur le feu, Ézéchiel 24 peut avoir influencé ladite ébauche – ébauche qui fait bien ressortir un autre procédé intertextuel de Goethe, à savoir, l’influence de plusieurs lectures et la compilation de plusieurs sources. Il est vrai que la réutilisation s’est faite non pas dans le Divan, mais dans les Zahme Xenien53. On remarque ici une autre particularité importante de la manière de travailler de Goethe : la perméabilité des frontières de l’œuvre. Ainsi, ce qui a été lu ou retravaillé, et même rassemblé sur une même feuille, n’entrera pas forcément dans le contexte de la même œuvre, mais peut très bien servir à une autre œuvre.

Pour terminer nous en venons à la bande de papier (H 1_/Bl. 56_) et au quart de feuillet (H 1_/Bl. 56) que Goethe a collés sur le feuillet multifonctionnel pour assurer leur conservation.

Sur la bande, on trouve des mots que Goethe avait relevés en mai 1815 dans le Livre de Kabu (p. 445 et 419) qu’il s’était procuré entre-temps. Manifestement, en lui, c’est l’écrivain qui avait été attiré par le chapitre « Selon quelles règles on doit s’exprimer » et l’amateur de vin par le chapitre « Le comportement à avoir quand on boit du vin ». Voici les admonestations du roi Kjekjawus à son fils dans le Livre de Kabu :

Ne fréquente pas uniquement des jeunes gens, mais également des gens plus âgés, je veux dire, la présence de gens plus âgés est indispensable quand tu fréquentes des jeunes gens ; car lorsqu’ils sont jeunes les hommes sont ivres même sans avoir bu. […]

À cela s’ajoute que boire du vin est un péché. Mais si tu commets ce péché, commets-le au moins en l’honneur du meilleur vin ; car, sans cela, d’une part, tu commettrais un péché, et d’autre part, tu boirais du mauvais vin. Par Dieu ! Ce serait là le sommet de la débauche54.

Si l’on compare avec les extraits de Goethe, on s’aperçoit que, en notant « Verhältniss (günstiges) des Alters zur Jugend » (rapport [favorable] entre la vieillesse et la jeunesse), il a trouvé une formule frappante pour exprimer l’une des pensées principales de la source. Par contre, « Sünde Wein Sundigen um des besten Wille[n] »

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Fig. 5 : Auserwählte Frauen (feuillet de folio avec copie au net, Österreichische Nationalbibliothek Wien, Goethe-Hss. [Bestand Armbruster], NB 800.107-c. Photo : Bildarchiv, ÖNB Wien)

(péché, vin, pécher pour la meilleure cause) n’est que le relevé de quelques termes de la source. Aux yeux de Goethe, les deux notes semblent avoir été d’entrée de jeu en étroite connexion, car il les a utilisées pour deux poèmes du Divan qui se répondent :

Trunken müssen wir alle seyn !

Jugend ist Trunkenheit ohne Wein ;

Trinkt sich das Alter wieder zu Jugend,

So ist es wundervolle Tugend.

Für Sorgen sorgt das liebe Leben

Und Sorgenbrecher sind die Reben.

Da wird nicht mehr nachgefragt !

Wein ist ernstlich untersagt.

Soll denn doch getrunken seyn,

Trinke nur vom besten Wein :

Doppelt wärest du ein Ketzer

In Verdammniß um den Krätzer.

Ivres, nous devons tous l’être !

La jeunesse est l’ivresse sans vin ;

Si, en buvant, la vieillesse se refait une jeunesse,

C’est merveilleuse vertu.

La pauvre vie s’évertue à nous donner des soucis,

Chasser les soucis, c’est le fait du raisin.

On ne s’inquiète plus de cela !

Le vin est interdit pour de bon.

S’il faut néanmoins qu’on boive encore,

Ne bois du moins que du meilleur vin :

Tu serais doublement hérétique

D’affronter la damnation pour de la piquette55.

Pour le premier poème Goethe semble avoir composé spontanément une ébauche sur la même feuille, car, sur le bord inférieur de la bande découpée on peut distinguer encore des restes du dernier vers : « Und Sorgenbrecher sind… » (Chasser les soucis…). Quand d’ailleurs on compare le texte de la source, la pertinente note de Goethe et le poème, on ne peut se défendre de l’impression que, pour écrire son poème, il a encore une fois feuilleté le Livre de Kabu. En effet, dans son poème, il s’agit non pas du « rapport favorable entre vieillesse et jeunesse », mais essentiellement de ce que, comme l’explique le Livre de Kabu, l’homme dans sa « jeunesse est ivre sans boire de vin ». De cette explication Goethe tire l’affirmation apodictique : « La jeunesse est l’ivresse sans vin ». Son poème explicite donc non pas le rapport entre vieillesse et jeunesse, mais bien celui qui lie jeunesse et vieillesse au vin, lequel devient fontaine de jouvence.

Le geste emphatique et exubérant du premier vers du premier poème ci-dessus est caractéristique de l’auteur du Divan. Et les deux premiers vers du second poème qui y répondent semblent tempérer l’exubérance et prendre violemment le contre-pied. Ce qui se cache là-derrière est que, dans le Livre de Kabu, il est prononcé, conformément à l’interdiction islamique, que boire du vin est un péché – c’est ainsi que Goethe l’a noté. La deuxième moitié de sa note « pécher pour la meilleure cause » prépare, sur la base d’un conseil rusé du Livre de Kabu, la tournure raffinée prise par le poème à partir des vers 3 et 4. À l’interdiction absolue du vin s’oppose l’argumentation que c’est de boire de la « piquette » qui entraîne la « damnation »56. Ainsi le poème fait-il l’éloge de l’habileté du croyant, fût-il musulman, à détourner à son profit les interdictions.

Nous en arrivons maintenant aux derniers textes (l. 39-45). Les extraits se trouvent sur le quart de feuille collé (H 1_/Bl. 56), et portent sur un même thème : les conflits internes à l’Islam et autour de Mahomet. Les mots retenus par Goethe sont tous tirés du dictionnaire très complet de Barthélémy d’Herbelot, la Bibliothèque orientale, où il a consulté directement l’article « Alcoran »57 (voir fig. 2b, source 15).

Les mots notés par Goethe avaient manifestement une valeur mnémotechnique, car ils réapparaissent tant dans la partie poétique que dans la partie en prose du Divan, mais ce, de manière très différente. Commençons par la partie la plus simple : la note « Nasser ! contra Mahomet », sur deux personnages historiques, et la note « Asfendiar u Rostam », sur deux personnages mythologiques littéraires, portent témoignage de la confrontation de Goethe avec la façon de procéder de Mahomet ; celui-ci part en guerre contre des concurrents, en particulier parmi les écrivains, afin de faire admettre sans discussion auprès du public le Coran, y compris ses passages fabuleux. Goethe a d’ailleurs traité en détail la question des rapports problématiques entre prophète et poète dans le chapitre « Mahomet » de la partie en prose58.

En revanche les termes « Ungeschaffen[heit] » ou « Geschaffen[heit] » (non-création ou création) du Coran ont inspiré presque littéralement le poème suivant59 :

Ob der Koran von Ewigkeit sey ?

Darnach frag’ ich nicht !

Ob der Koran geschaffen sey ?

Das weiß ich nicht !

Daß er das Buch der Bücher sey

Glaub’ich aus Mosleminen-Pflicht.

Daß aber der Wein von Ewigkeit sey

Daran zweifl’ich nicht.

Oder daß er vor den Engeln geschaffen sey

Ist vielleicht auch kein Gedicht.

Der Trinkende, wie es auch immer sey,

Blickt Gott frischer ins Angesicht.

Le Coran fut-il de toute éternité ?

Je ne m’en informe pas !

Le Coran fut-il créé ?

Je ne le sais pas !

Qu’il est le livre des livres,

Je le crois, comme le doit un musulman.

Mais que le vin soit de toute éternité,

Je n’en doute pas ;

Ou qu’il ait été créé avant les anges,

Ce n’est peut-être pas non plus une fiction.

Le buveur, quoi qu’il en soit,

Regarde Dieu en face plus hardiment60.

En parfaite conformité avec le sens du conflit qui est à la base, le poème est lui-même bâti de manière dialogique ; dans les quatre premiers vers on a en effet affaire à un jeu de questions-réponses, qui vise manifestement à régler le plus rapidement possible l’épineuse question de savoir si le Coran a été ou non créé. Le « Je » refuse purement et simplement de discuter ou de réfléchir sur la question, et déclare que le seul devoir des musulmans est de croire dans le Coran comme « Livre des livres ».

Les choses se présentent très différemment dans la deuxième moitié du poème, qui a manifestement profité du fait que les termes qui l’ont déclenchée se retrouvent, sur le feuillet où ils figurent, à proximité des notes sur le vin. Car, de manière très rusée, le poème déplace le centre de gravité du Coran vers le vin qui va jusqu’à dépasser celui-là : le poème réclame pour le vin d’être incontestablement « de toute éternité » ou, du moins, placé avant les anges dans la création divine ; plus encore : le vin est présenté comme un atout face à Dieu. Que ce soit précisément le vin, interdit comme chacun sait par le Coran, qu’on fasse jouer ici contre le Coran est bien évidemment un joyeux blasphème. Ce genre d’attitude se retrouve fréquemment, tout particulièrement dans le « Livre de l’échanson ».

VII

L’un des résultats de notre étude est de pouvoir constater que la pluralité des tons, des thèmes et des motifs, souvent signalée à propos du Divan, se confirme ici aussi : une tendance à l’atténuation, à la purification ou à l’apothéose, caractéristique du « Livre du paradis », voisine sans problème avec les jeux plaisamment blasphématoires des poèmes du « Livre de l’échanson ». Une telle pluralité assure les croisements entre les traditions occidentales et orientales et produit cet amalgame spécifique qui s’annonce dès le titre de l’œuvre : Divan occidental-oriental.

En examinant le rapport entre lecture et appropriation, appropriation et production, notre étude a également montré avec quelle précision Goethe utilise ses sources et comment, à partir des informations qu’il a glanées, il a su – souvent de manière spontanée, et la plupart du temps par de légères et néanmoins très efficaces retouches – créer ses propres poèmes et parfois même opérer un complet déplacement d’accent. La genèse du Divan nous a également montré combien la relecture de ses propres textes, en particulier lors des regroupements, a pu inspirer le poète. Le Divan occidental-oriental nous propose ainsi une riche moisson poétique, celle que nous offre un Goethe, lecteur infiniment productif tant des autres que de lui-même.

Traduit par Isabelle Vodoz

1  Entretien avec Eckermann du 11 mars 1828, où le poète se remémore les débuts du Divan.

2  Lettre à Knebel du 11 janvier 1815.

3  Voir le poème « Die schön geschriebenen… », in : Johann Wolfgang von Goethe, Sämtliche Werke, Briefe, Tagebücher und Gespräche, 40 volumes, Frankfurter Ausgabe, Frankfurt/M., 1988 sq., dorénavant abrégé en FA. Ici FA 3.1 : West-östlicher Divan, édité par Hendrik Birus, Frankfurt/M., 1994, p. 82-84. Voir pour la traduction, Goethe, Divan occidental-oriental  West-östlicher Diwan, Introduction, traduction, notes par Henri Lichtenberger, collection bilingue, Paris 1950, p. 190-193 (désormais abrégé en Lichtenberger).

4  Der Diwan des Mohammed Schemsed-din Hafis. Aus dem Persischen zum erstenmal ganz übs. v. Joseph v. Hammer, 2 volumes, Stuttgart, Tübingen, 1812-1814 [repr. : Hildesheim, New York, 1973].

5  Seul a échappé à cet effet le dernier regroupement pour l’édition de dernière main (Ausgabe letzter Hand) de 1827. Sur le processus goethéen de regroupement, voir Anke Bosse, « ˝Ein wunderliches Ganzes˝. Zu Goethes West-östlichem Divan », in : Jattie Enklaar/Hans Ester (ed.) : Von Goethe war die Rede…, Amsterdam, Atlanta, 1999, p. 141-164 (= Duitse Kroniek 49/1999).

6  Entretien avec Eckermann du 11 mars 1828.

7  Telle est la description pertinente que Karl Eibl donne du processus goethéen de regroupement de poèmes (FA 1, p. 732 sq.).

8  L’ensemble des poèmes (plus de 50) du « Divan allemand » se laisse aujourd’hui encore largement reconstruire : Goethe a porté en haut à gauche de la copie au net, la plupart du temps à l’encre noire, un numéro qui fixe au poème sa place dans l’ensemble. Voirles illustrations 6 et 7 dans FA 3.1 ainsi que dans Goethe. West-östlicher Divan, édition et commentaire de Katharina Mommsen, 2 volumes, Frankfurt/M. 1996, vol. 1, ill. 4.

9  Ce poème ne peut avoir pris naissance que dans le cadre chronologique du « Divan allemand », plus exactement autour du 23 ou du 24 décembre 1814, parce que Goethe a emprunté peu avant et consulté le 23 décembre l’une de ses sources, le Reise nach Sheeraz d'Edward Scott Waring.

10  Voir l’illustration dans FA 3.1, op. cit., et Mommsen, West-östlicher Divan, op. cit.

11  Voir FA 3.1, p. 549.

12  Le Journal de Goethe mentionne effectivement le 18 décembre 1814 « Fetwa und Antwort » ; sur la copie au net des deux poèmes on trouve la double date significative : « Berka Juli [recte : Juni] / Jena décembre 1814 » Voir Mommsen, loc. cit., vol. 1, ill. 29 et 30.

13  Le rapport entre ces deux poèmes ainsi que leur élargissement en trilogie est expliqué dans Bosse,  « Ein wunderliches Ganzes… ».

14  Lettre à Knebel du 11 janvier 1815.

15  N.d.T. Nous traduisons ainsi le terme « Sammelblatt ». Il s’agit de feuillets où Goethe rassemble des notes de lecture, des bribes d’idées, de même que, notamment dans le cas du Divan, des ébauches de poèmes.

16  Ces feuillets ainsi que toutes les autres pièces du dossier du Divan viennent d’être édités et commentés exhaustivement in : Anke Bosse, « Meine Schatzkammer füllt sich täglich… » Die Nachlaßstücke zu Goethes « West-östlichem Divan ». Dokumentation  Kommentar, 2 volumes, Göttingen, 1999.

17  Livre du poète, Livre de Hafiz, Livre de l’amour, Livre des amis, Livre des sentences, Livre de la mauvaise humeur, Livre de Timour, Livre des maximes, Livre des paraboles, Livre de Souleika, Livre de l’échanson, Livre du parsi, Livre du paradis.

18  La plus importante de ces avant-publications dans le Taschenbuch für Damen auf das Jahr 1817 porte déjà le titre West-östlicher Divan.

19  Lettre à Cotta du 26 juin 1816.

20  Cette pause a très probablement été provoquée par l’humeur dépressive de Goethe après la mort de son épouse Christiane, le 6 juin 1816, et par l’échec d’un troisième voyage dont il attendait l’inspiration.

21  Livre du chanteur, Livre de Hafiz, Livre de l’amour, Livre des sentences, Livre de la mauvaise humeur, Livre de Timour, Livre des maximes, Livre des paraboles, Livre de Souleika, Livre de l’échanson, Livre du parsi, Livre du paradis.

22  FA 3.1, p. 215. « Je voudrais en particulier désigner ainsi mon Divan dont la présente édition ne peut être regardée que comme incomplète. […] C’est le fait que ce petit livre est là tel que je pouvais le communiquer présentement qui allume en moi le désir de lui donner peu à peu la forme complète qui lui revient. » (Lichtenberger, p. 384).

23  Entretien avec Eckermann du 12 janvier 1827.

24  Lettre à Sulpiz Boisserée du 27 janvier 1823, et Goethe, Archiv des Dichters und Schriftstellers (FA 21, p. 398).

25  Pour les datations et autres détails, voir loc. cit., vol. 1, p. 206-209.

26  Il n’est pas possible de revenir ici sur la totalité des procédés utilisés par Goethe pour passer de ses lectures à ses propres poèmes. Sur cette question, voir Bosse, « Meine Schatzkammer füllt sich täglich… », vol. 2, p. 1072-77.

27  Goethe decouvrit cette surate en tête des Fundgruben des Orients/Mines de l’Orient, adapté par une société d’amateurs, édité par Joseph von Hammer, 6 volumes, Vienne, 1809-18. La surate sert d’exergue aux vol. 1-4 (voir fig. 2a, source 1).

28  FA 3.1, p. 15, et Lichtenberger, p. 61.

29  Ibid.

30  Les contemporains ignoraient probablement que les prières musulmanes se terminent également de cette manière.

31  Voir fig. 1, source 8, d’après : Heinrich Friedrich von Diez, Denkwürdigkeiten von Asien in Künsten und Wissenschaften, Sitten, Gebräuchen und Alterthümern, Religion und Regierungsverfassung aus Handschriften und eigenen Erfahrungen gesammelt, 1re partie, Berlin, 1811, p. 109 sq.

32  Voir la publicité emphatique à laquelle Goethe se livre jusque dans le Divan pour le Livre de Kabu (FA 3.1, p. 273-277, et Lichtenberger, p. 426-429).

33  Denkwürdigkeiten von Asien, 1re partie, p. 114. Texte original : voir fig. 2, source 9.

34  Loc.cit., p. 115 sq.

35  FA 3.1, p. 64, et Lichtenberger, p. 161.

36  Il n’y a que dans le vers 3 que la structure iambique à trois accents est remplacée une fois par un anapeste.

37  L’extrait qui se réfère à Thomas Chabert, l’orientaliste viennois (l. 33-35), montre bien que Goethe s’intéressait également aux discussions au sein des études orientalistes de son temps. Dans le présent extrait, il retient l’attaque de Diez contre Chabert. De son côté, Diez, l’orientaliste amateur, a toujours été en butte aux critiques de Joseph von Hammer, l’orientaliste « professionnel » auprès de l’Académie orientaliste viennoise, où enseignait également Chabert. Les querelles entre Hammer et Diez étaient permanentes. Voir à ce sujet Katharina Mommsen, Goethe und Diez. Quellenuntersuchungen zu Gedichten der Divan-Epoche, Berlin, 1961 (= Rapports des séances de l’Académie des Sciences de Berlin. Classe de langues, littérature et art, n° 4), p. 246-259.

38  Voir FA 3.1, p. 182, et Lichtenberger, p. 359.

39  Johann von Rehbinder, Abul Casem Mohammed. Ein Beitrag zur politischen Menschengeschichte, Copenhague, 1799, p. 35.

40  Il est déjà fait allusion à ce motif dans les vers introducteurs du poème « Die schön geschriebenen… ».

41  West-östlicher Divan, édition et commentaires de Hans-J. Weitz, Frankfurt/M. [1974], 10eédition, 1991, p. 295. Deux autres poèmes du « Livre du paradis » suivent ce même principe : comme le poème des femmes, « Begünstigte Tiere » et « Berechtigte Männer » décrivent les animaux et les hommes admis au paradis islamique.

42  Elle avait déjà été mariée deux fois quand elle épousa Mahomet. C’est de ce mariage, qui dura vingt-cinq ans, que naquit entre autres leur fille Fatima. Il existe dans le monde arabe plusieurs histoires sur la fidélité de Cadisga et sa confiance inébranlable en Mahomet et sa mission prophétique (voir Lexikon der arabischen Welt, p. 386). Goethe pouvait grosso modo retirer ces informations de la biographie de Mahomet par Rehbinder (p. 8 sq.) et y lire également que Cadisga était âgée de 40 ans à l’époque de son mariage, alors que Mahomet avait 25 ans.

43  Pour une comparaison entre le poème « Jesus auch er darf da lehren… » de juillet 1814, qui se moque de façon blasphématoire de l’immaculée conception, et « Ferner sind alhier zu finden… », voir Bosse, « Meine Schatzkammer füllt sich täglich… », p. 142-146.

44  Cette information, Goethe la tient de la préface de Hammer au Divan de Hafiz, p. XXXVII : « Au-delà des étoiles, dans le paradis, les houris reposent sur de moelleux coussins, elles sont les Charites du ciel, aux yeux noirs et à la virginité inaltérable. »

45  Le poème « Jesus auch er darf da lehren… » joue de façon blasphématoire la virginité régénérée des houris contre la prétendue virginité intacte de Marie : « Le soir toujours elles sont des courtisanes / Et des vierges avec le retour du matin. » Voir Bosse, loc. cit.

46  FA 3.1, p. 551.

47  Voir le salut de l’ange de l’annonciation dans Luc 1,28.

48  Voir Fundgruben des Orients/Mines de l’Orient, vol. 1, p. 47-49, 313-316, 388-402 ; vol. 3, p. 295-308 ; vol. 4, p. 173-178 et vol. 5, p. 327-330.

49  FA 3.1, p. 74 sq., et Lichtenberger, p. 174-177.

50  Voir dans le « Livre du paradis » le poème « Höheres und Höchstes » (Comparatif et superlatif), où s’accomplissent une élévation et une assomption qui rappellent la fin de Faust (FA 3.2, p. 1392 sq.).

51  Voir Mommsen, Goethe und Diez, p. 254-259.

52  Jenaer Allgemeine Literaturzeitung, janvier 1813, p. 60.

53  FA 2, p. 627. Sur le possible lien avec le poème « Zum Kessel sprach der neue Topf… » (La marmite neuve dit au chaudron…) du Divan, voir Bosse, « Meine Schatzkammer füllt sich täglich…», p. 212 sq. (voir fig. 2b, sources 13 et 14).

54  Buch des Kabus, p. 419, 444 sq.

55  FA 3.1, p. 105, et Lichtenberger, p. 233.

56  Sur le rôle du vin dans le Divan et en particulier dans les deux poèmes ci-dessus,  voir Anke Bosse,  « Der Wein in Goethes West-östlicher Divan », in : Nikolaus-Cusanus-Förderpreis. Preisschriften 1991-1993, Bernkastel Kues 1997, p. 35-76.

57  [Barthélémy d’Herbelot], Bibliothèque Orientale ou Dictionnaire Universel Contenant Généralement tout ce qui regarde la connoissance des Peuples de l’Orient […] Par Monsieur d’Herbelot [de Molainville], [édité par Antoine Galland], Paris, 1697, p. 85 sq.

58  FA 3.1, p. 157-161, et Lichtenberger, p. 339-342.

59  Ce conflit est l’une des raisons du schisme entre chiites et sunnites.

60  FA 3.1, p. 104 sq., et Lichtenberger, p. 231 et 233.