Le titre du quatrième tome d’À la recherche du temps perdu, Sodome et Gomorrhe, affiche une symétrie entre homosexualité masculine et homosexualité féminine. La construction même du volume semble la confirmer : le récit s’ouvre sur la découverte de la « race des tantes », avec la « conjonction » de Charlus et de Jupien, et se referme sur la révélation du saphisme d’Albertine. Néanmoins, la localisation de ces deux coups de théâtre à chaque extrémité du roman manifeste une différence fonctionnelle.

En effet, sur le plan romanesque, la levée du secret sexuel du baron constitue le point d’aboutissement d’un long jeu de piste, entrepris dès Du côté de chez Swann : depuis le début de son itinéraire, le héros se heurte régulièrement au « secret que ne portaient pas en eux les autres hommes et qui [lui] avait déjà rendu si énigmatique le regard de M. de Charlus » (II, p. 120)1. Lors de leur première rencontre, à Combray, Marcel décrit le baron, qu’il ne connaît pas, comme « un monsieur » qui « fixait sur [lui] des yeux qui lui sortaient de la tête » (I, p. 140). Le sens de cette œillade enflammée est dévoilé au héros dans Sodome et Gomorrhe I, où le jeu de regards fixes, attentifs et intenses échangés par Charlus et Jupien parle le langage muet du désir. Sur le plan de la recherche proustienne des vérités, la découverte liminaire de Sodome et Gomorrhe donne au héros l’accès à un savoir de l’inversion masculine, immédiatement mis en pratique lors de la soirée chez la princesse de Guermantes, où Marcel débusque infailliblement les sodomites. En revanche, la révélation finale d’Albertine inaugure pour le héros une enquête et un doute sans fin sur les goûts érotiques de la jeune fille : même les témoignages d’Andrée, après la mort d’Albertine, dans Albertine disparue, ne sauront apporter la moindre certitude au héros.

Il semble donc que, par un premier déséquilibre, Sodome se présente comme une énigme possible à percer et Gomorrhe comme un mystère impénétrable. Or, à ces secrets érotiques explicitement présents dans le texte, la critique proustienne s’est ingéniée à en ajouter un autre. De façon générale, on n’a pas manqué de noter les nombreuses invraisemblances de la Recherche, concernant l’évolution inattendue de certains personnages, leurs relations entrecroisées, leurs rencontres perpétuelles ou encore les coïncidences improbables et les rencontres inattendues. Mais c’est surtout le traitement de l’inversion qui a provoqué la perplexité de la critique : non seulement la mise en scène des épisodes de voyeurisme homosexuel – les ébats de Mlle Vinteuil et de son amie, la conjonction de Charlus et de Jupien, la flagellation du baron dans l’hôtel de Jupien2 – a pu paraître rocambolesque, mais encore la cécité prolongée de Marcel puis la perspicacité hors du commun et la fascination soutenue que manifeste le protagoniste hétérosexuel excèdent le cadre de la vraisemblance.

Ces incongruités ont suscité le doute de la critique sur la fiabilité du narrateur proustien : le héros-narrateur n’aurait-il pas lui-même quelque secret érotique à dissimuler, difficilement contenu par un texte dont les dérapages constitueraient des symptômes ? Les perturbations narratives liées aux épisodes homosexuels et l’obsession de Marcel pour l’inversion ont relancé la question de la sexualité du héros, d’autant plus soupçonné de masquer son appartenance à Sodome que ses relations physiques avec Albertine restent toujours entourées d’un certain flou. Si, sous la pression des éléments biographiques, on a d’abord vu dans les amours du héros un travesti rudimentaire de celles de l’auteur, en faisant d’Albertine un Albert – ou un Alfred, comme le chauffeur de Proust – qui aurait perdu ses moustaches, la critique proustienne, même engagée dans des analyses de structure, d’énonciation ou de narratologie, n’en finit pas de passer par ce lieu obligé qu’est l’homosexualité comme secret à percer. Après avoir traqué dans le roman l’inversion de son auteur, elle s’est repliée sur celle, présumée, d’un héros-narrateur fermement décidé à n’en rien laisser paraître et à maquiller ses goûts sous une hétérosexualité de diversion. Mais ce genre d’étude finit toujours par malmener le texte et par violenter le narrateur pour l’éjecter de son placard supposé, en faisant de lui un menteur comme le serait un être de chair et d’os : rien dans le texte, en dépit d’irritantes et insolubles invraisemblances, ne permet de conclure que le héros serait un homosexuel dissimulé3.

Si l’érotisme proustien a partie liée avec le secret des êtres, Sodome et Gomorrhe, roman tendu entre deux révélations sexuelles, constitue le lieu stratégique de la Recherche où se nouent les rapports entre érotologie, épistémologie et poétique romanesque. Aussi est-ce peut-être en explorant les feintes de Sodome, les mystères de Gomorrhe et leurs relations énigmatiquement affichées par le titre que s’éclaireront quelque peu les invraisemblances renversantes du romanesque proustien.

L’énantiologie ironique de la Recherche

Si le long aveuglement du héros sur le désir homosexuel a pu être jugé invraisemblable, c’est certes parce que Marcel fait preuve d’une candeur déconcertante devant les pressantes avances de Charlus. Mais il faut préciser que le lecteur a beau jeu par rapport à l’ingénu Marcel. En effet, dans ce roman autodiégétique qu’est la Recherche, la structure énonciative accorde au narrateur vieilli le privilège de savoir ce qu’il ignorait au moment où il vivait les faits : le protagoniste se dédouble en un héros naïf, cheminant sur les pistes d’un roman d’apprentissage, et en ce narrateur averti qu’est finalement devenu Marcel. Jusqu’à la « conjonction » de Charlus et de Jupien, le narrateur livre au lecteur, par-dessus la tête du héros, des signaux qui suggèrent ironiquement le sens du comportement du baron. Sodome et Gomorrhe I constitue donc, du point de vue de l’ironie narrative, ce moment capital où le savoir du héros rejoint celui du narrateur et où le sens, jusqu’alors implicite, est explicité.

La description de cette révélation du sens latent prend dans le texte la forme d’une métaphore linguistique :

[…] sur la surface unie de l’individu pareil aux autres sont venus apparaître, tracés en une encre jusque-là invisible, les caractères qui composent le mot cher aux anciens Grecs […] (p. 15).

La théorie de l’homosexualité que fournit Sodome et Gomorrhe I suggère ici une méthode de construction propre au personnage romanesque de l’inverti. Contraint à la dissimulation par les normes sexuelles de la société, le personnage homosexuel est bâti sur deux niveaux : il est doté d’une « surface », l’affectation de virilité, et d’une profondeur, sa nature féminine secrète. La relation de contradiction entre le sens apparent et illusoire et le sens caché et véritable donne alors au personnage la structure exacte du signe ironique, construit selon un étagement qui exhibe un signifié 1 fallacieux et dissimule un signifié 2 véridique. C’est ce Sé2, « jusque-là invisible », qui remonte à la « surface » de l’énoncé lors de l’interprétation du trope ironique, et qui émerge sur la physionomie de Charlus, à la vue de Marcel. La découverte du « mot » clé caché permet de rétablir la cohérence de la totalité d’un discours : les signaux ironiques de l’homosexualité du baron, disséminés dans la Recherche jusqu’à cette révélation, s’organisent alors pour Marcel selon une logique rigoureuse :

[…] rétrospectivement les hauts et les bas eux-mêmes de ses relations avec moi, tout ce qui avait paru jusque-là incohérent à mon esprit, devenait intelligible, se montrait évident comme une phrase, n’offrant aucun sens tant qu’elle reste décomposée en lettres disposées au hasard, exprime, si les caractères se trouvent replacés dans l’ordre qu’il faut, une pensée que l’on ne pourra plus oublier (p. 16).

L’inversion, principe structurant du signe ironique, livre une méthode d’interprétation tant textuelle que sexuelle : elle fait apparaître sens et logique là où une lecture naïve ne voit qu’insignifiance et absurdité. Le développement d’érotologie proustienne qui suit la découverte du héros démontre comment les invertis sont des « êtres moins contradictoires qu’ils n’en ont l’air, dont l’idéal est viril, justement parce que leur tempérament est féminin » (p. 16). Cette remarque ressortit à une théorie générale de la sexualité :

[...] chacun porte, inscrite en ces yeux à travers lesquels il voit toutes choses dans l’univers, une silhouette intaillée dans la facette de la prunelle [...] (p. 16).

Pour l’homme hétérosexuel, l’image intaillée dans la prunelle est celle d’une « nymphe », et il désire ce qu’il n’est pas, ce qui lui manque, c’est-à-dire une femme4. Pour le sodomite, en revanche, l’image à travers laquelle il voit le monde est celle d’un « éphèbe » (Ibid.). Mais, selon la conception médicale de l’homosexualité à la fin du XIXe siècle, si le sodomite est ainsi mené à désirer des hommes, c’est parce qu’en réalité, comme Marcel le découvre à propos de Charlus, il est « une femme » (Ibid.) qu’une erreur biologique a ironiquement enfermée dans un corps masculin. Ainsi, malgré cette différence qui fait de lui un support de l’ironie, le sodomite obéit lui aussi à la loi générale du désir comme manque : il aime les hommes en tant que femme. Comme le remarque Léo Bersani, ontologiquement, le désir proustien est donc toujours de nature hétérosexuelle. Selon cette logique, l’inverti masculin est voué à un désespoir absolu : étant femme, le désir d’altérité le porte à aimer des hommes qui sont vraiment des hommes, et qui ne peuvent donc lui rendre son amour du fait du corps masculin qui cache sa nature féminine. On comprend pourquoi Proust préfère nommer « inversion » « ce que l’on appelle parfois fort mal l’homosexualité » (p. 9) : le terme « homosexualité » constitue une impropriété et même un contresens de lecture sur la structure sexuelle du sodomite parce qu’il en reste au Sé1 de l’inverti, à son apparence masculine. Le paradigme hétérosexuel, ce modèle universel qui produit une structure sexuelle ironique quand il s’applique au sodomite, ruine toute possibilité d’homo-érotisme : il distingue radicalement deux genres et fixe une combinatoire unique, si bien que, pour parler comme Lacan, il n’y a pas de rapport homosexuel.

La découverte de la vraie nature de Charlus montre que dans le domaine érotique la recherche de la vérité passe par l’interprétation ironique d’une apparence trompeuse : il s’agit de débusquer le sens caché de signes obscurs, exactement comme le héros apprend à le faire dans le domaine esthétique. En effet, selon le projet initial de Proust, conçu autour des années 1908-1910, la Recherche se veut l’histoire de la « vocation invisible » du héros (II, p. 691), qui se heurte régulièrement à une série d’impressions esthétiques énigmatiques. Ce n’est qu’à la fin du dernier volume, Le Temps retrouvé, qu’une cascade d’anamnèses révèle le sens caché de ces étranges expériences, et notamment de la première, celle de la petite madeleine : la mémoire involontaire apprend au héros comment le souvenir délivre l’essence des choses telles qu’elles n’ont pas pu être vécues consciemment et comment l’artiste peut les fixer dans son oeuvre. Marcel décide alors de se retirer pour se mettre à écrire le roman que le lecteur vient de lire. Cette structuration originelle de la Recherche, que Rainer Warning qualifie de « téléologique »5, implique une poétique romanesque proprement ironique. La quête de la vocation, qui ouvre son compas entre l’énigme liminaire de la madeleine et les réminiscences finales, passe par un long ressassement sur l’absence de talent, les doutes sur la littérature et l’impossibilité d’élucider les impressions obscures6. C’est au moment où le héros se croit le plus loin possible d’une vocation d’écrivain que, selon la logique ironique de l’inversion, il reçoit la renversante révélation finale. Comme pour l’enquête sur le secret sexuel de Charlus, la vérité enfin atteinte permet de décrypter rétrospectivement toutes les étapes précédentes comme ironiquement rapportées par le narrateur. La matrice conceptuelle qui donne son cadre architectonique au roman relève donc d’une application macro-structurale du schéma ironique. L'interrogation feinte de l’ironie organise la recherche et en programme la réussite : le héros du roman chemine nécessairement vers la révélation puisque c’est elle qui rend possible le roman en transformant le personnage en narrateur. La Recherche, récit simultanément prospectif et rétrospectif, obéit à une visée dogmatique et totalisante : le dénouement du roman coïncide avec la découverte de la théorie de ce roman. A l’intérieur du récit, au niveau micro-structural, le même circuit herméneutique informe la levée des secrets des personnages sous le régime de la révélation retardée de l’ironie, comme c’est le cas pour Charlus. Dans le domaine érotique comme dans le domaine esthétique, la levée d’un secret aboutit à la révélation d’une vérité, ou, en termes proustiens, d’une « essence ». Dans Sodome et Gomorrhe I, le héros découvre la vérité d’un individu mais également celle du désir lui-même, celle du paradigme hétérosexuel qui structure aussi la relation sodomite. Tout, dans le roman, est supposé obéir à la logique paradoxale de l’ironie.

La conception érotologique de Sodome se révèle donc conforme à l’esthétique romanesque globale de la Recherche. Pour Roland Barthes, qui détecte dans le mouvement de renversement un principe clé du roman proustien, le sodomite fournit une sorte d’épitomé de l’inversion :

L’inversion sexuelle est à cet égard exemplaire (mais non forcément fondatrice), puisqu’elle donne à lire dans un même corps la surimpression de deux contraires absolus, l’Homme et la Femme […] ; de là, dans toute l’œuvre, l’homosexualité développe ce que l’on pourrait appeler son énantiologie (ou discours du renversement) […]7.

La logique paradoxale et ironique du mundus inversus de la Recherche s’incarne ainsi dans la figure modèle du sodomite : l’inversion sexuelle relève d’une loi générale du renversement ironique, l’« énantiologie », qui gouverne tant l’esthétique romanesque de Proust que son épistémologie et son érotologie.

L’ironie satirique de Sodome et l’invraisemblance du « romanesque vrai »

Pratiquement, le fil du récit donne lieu à des retournements périodiques des données précédentes, ce qui ouvre accès à une connaissance, notamment sexuelle. Selon Barthes, ce processus se caractérise par trois invariants : un « effet de temps », qui distend « les deux termes de la contradiction », c’est-à-dire les deux signifiés de l’ironie ; un « comble », qui découle d’un décalage maximal entre les deux Sé ; et une « surprise », un « étonnement délicieux », qui marque la découverte inattendue du Sé2 et qui relève d’une « érotique (du discours) »8. Sodome et Gomorrhe s’ouvre sur cet instant privilégié où se produit la révélation renversante et jubilatoire du Sé caché de Charlus. Sur le fil romanesque de Sodome, il s’agit du moment clé où s’accomplit une modification riche de conséquences : l’ironie de Sodome, d’in absentia, devient in praesentia.

Tout d’abord, c’est par cette émergence du sens caché que s’expliquent les progrès fulgurants du héros en matière d’inversion sexuelle : « une erreur dissipée nous donne un sens de plus » (p. 15). Muni de cette clé interprétative, Marcel pourra infailliblement détecter les invertis et lever les énigmes de Sodome. Ensuite, puisqu’elle est désormais explicitée, l’ironie de Sodome va connaître une modification de régime : la double nature de Charlus, devenue évidente, agit désormais comme le ressort d’un comique marqué - caricatural et satirique. Lorsque Proust envoie en 1912 son manuscrit à Eugène Fasquelle, il l’avertit du tournant que prend le traitement du baron dans la suite du roman : alors que le premier volume (de cette époque) est, « sauf quelques rares passages, très chaste », le personnage du baron, pour l’instant « mal connu », passant encore pour l’amant de Mme de Swann et pour un contempteur des jeunes gens efféminés, la suite du récit s’empreint d’un comique que Proust qualifie volontiers d’« indécent »9 :

Or dans la seconde partie, le personnage, un vieux monsieur d’une grande famille, se découvrira être un pédéraste qui sera peint d’une façon comique mais que, sans aucun mot grossier, on verra “levant” un concierge et entretenant un pianiste10.

Le roman ne devient « comique » et le baron « ridicule » qu’au moment où le récit vire à l’« indécence », lorsque Charlus est découvert « pour le contraire de ce qu’on croyait »11.

La « conjonction » de Charlus et Jupien se place en effet sous le signe du grotesque : à partir du croisement des sexes à l’intérieur des personnages, le thème de l’hybridité grotesque déploie tout une série de variations. Charlus, comparé à un « marbre », est d’abord associé au minéral (p. 5). Puis à la comparaison végétale et entomologique de l’orchidée et du bourdon, filée tout au long du texte, se joint l’image ornithologique des hommes-oiseaux (p. 8). Enfin, le centaure figure la dualité du baron, « ici exprimée de façon quasiment sexuelle », comme le remarque Antoine Compagnon12 :

En M. de Charlus, un autre être avait beau s’accoupler, qui le différenciait des autres hommes, comme dans le centaure le cheval, je ne l’avais jamais aperçu (p. 16).

Cette imagerie de la greffe des genres, sexuels et biologiques, s’accompagne d’un traitement littéraire lui-même hybride, l’héroï-comique. Le coup de foudre entre les deux invertis est d’abord transcrit dans les codes de la séduction hétérosexuelle : la féminisation du masculin, procédé traditionnel du rabaissement comique, donne à Jupien « une impertinence grotesque » (p. 6). Puis dans le texte de la « conjonction » sodomite s’introduit une référence intertextuelle, modèle de toute rencontre amoureuse hétérosexuelle, celle de Roméo et Juliette (p. 29). Le paradigme hétérosexuel qui énonce ironiquement la vérité du rapport sodomite retrouve la topique satirique de l’efféminement des invertis.

Tout au long de Sodome et Gomorrhe, les apparitions régulières des « hommes-femmes » et notamment de Charlus joueront sur le ressort comique de la bisociation sexuelle13 : presque réduit à cette composante, le personnage du baron deviendra de plus en plus caricatural14. En même temps, l’héroï-comique se déploiera dans l’intertexte racinien d’Esther et d’Athalie15. Joué par les demoiselles de Saint-Cyr travesties en hommes pour les rôles masculins et appliqué à de jeunes garçons, le texte de Racine relève à la fois du thème de l’inversion sexuelle et de celui de la théâtralité comique des sodomites, qui jouent sur la scène sociale un rôle sexuel que dément leur genre réel.

La satire proustienne des sodomites, portée par l’ironie in praesentia, reprend donc les topoï de la satire homosexuelle : non seulement l’inverti est traditionnellement raillé au moyen d’un efféminement caricatural, qui chez Proust fait de lui une « tante », mais il est aussi accusé, depuis Juvénal, de ruiner l’ordre social en s’acoquinant avec la lie de la société16. De façon plus générale, dans l’imaginaire collectif, le désir contre-nature du sodomite fait de lui l’incarnation d’un désordre à la fois sexuel, culturel et social17. L’inversion qui habite le corps efféminé contamine l’organisme social et produit une confusion incontrôlable dont l’expansion se traduit, dans le romanesque proustien, par une sorte d’épidémie d’homosexualité frappant la plupart des personnages. En contestant les catégories et les hiérarchies instituées, l’inversion livre aussi l’échelle des classes à un chaos inéluctable. Selon McFarlane, le sodomite rejoint ainsi d’autres figures types qui menacent l’ordre social, comme le conspirateur, l’étranger, le ministre corrompu ou le libertin18.

Ainsi, dans la Recherche, les sodomites se rassemblent en communautés clandestines et ramifiées, comme les Juifs auxquels ils sont régulièrement comparés, et la règle qui veut que la transgression sexuelle provoque une transgression sociale se vérifie immanquablement chez Proust, où l’ordre traditionnel des castes donne la grille de base de l’espace social. L’affaire Eulenburg, qui pointe dans les discours de Charlus (p. 338), exemplifie la corruption des classes supérieures par l’homosexualité : le prince, ancien ambassadeur et proche du Kaiser, était soupçonné de louches relations avec les bateliers du lac Starnberg19. De même, Charlus, l’aristocrate tombé amoureux d’un giletier, Jupien, et du fils d’un domestique, Morel, manifeste un goût marqué pour les bourgeois comme le héros et pour les hommes du peuple, « marchand de marrons » (p. 11), « contrôleur d’omnibus » (p. 114) ou maître d’hôtel (p. 379-82). Le baron finit même par ne plus se plaire que « dans la fréquentation de la crapule » (p. 454). Alors que le duc de Châtellerault craint d’être démasqué par l’huissier des Guermantes, sa rencontre d’un soir (p. 35, 36), et que Nissim Bernard conserve les apparences sociales en se faisant servir à table par le commis du Grand-Hôtel qu’il a séduit (p. 236-9), Charlus se plaît à organiser des mises en scène où s’épanchent son attirance pour les subalternes, sa tentation de la déchéance, son masochisme et son goût du travestissement et de la théâtralité : il dîne au Grand-Hôtel avec un valet de pied déguisé en homme du monde (p. 375-78) et va au restaurant accoutré en « vieux domestique ruiné » en compagnie de Morel qui passe « pour un gentilhomme trop bon » (p. 395). Dans le mundus inversus de Sodome, l’inversion sexuelle est inséparable de la perversion de l’ordre social : non seulement le sodomite subvertit l’échelle des castes, mais encore, comble de paradoxe ironique, son rejet de la société finit par faire de lui un type social repris par la satire homosexuelle.

Si Proust hérite des lieux communs de la satire homophobe, il les dote néanmoins d’un sens et d’une fonction propres. D’une part, l’inverti radicalise le paradoxe proustien de l’amour, qui veut que le désir soit enflammé par qui ne peut le satisfaire. Le sodomite, cette femme engoncée dans un corps masculin, ne peut que désirer un homme authentique, auquel il fera horreur. La subjectivité de l’amoureux prend ainsi chez l’inverti une valeur exemplaire. Dans Le Temps retrouvé, le héros, en repensant à l’aventure de la princesse de Guermantes délaissée par Charlus pour un hideux contrôleur d’omnibus20, en tirera une « leçon d’idéalisme » :

Mes rencontres avec M. de Charlus, par exemple, ne m'avaient-elles pas [...] permis […] de me convaincre combien la matière est indifférente et que tout peut y être mis par la pensée ; vérité que le phénomène si mal compris, si inutilement blâmé, de l'inversion sexuelle grandit plus encore que celui, déjà si instructif, de l'amour. Celui-ci nous montre la beauté fuyant la femme que nous n'aimons plus et venant résider dans le visage que les autres trouveraient le plus laid, qui à nous-mêmes aurait pu, pourra un jour déplaire ; mais il est encore plus frappant de la voir, obtenant tous les hommages d'un grand seigneur qui délaisse aussitôt une belle princesse, émigrer sous la casquette d'un contrôleur d'omnibus (IV, 489).

La satire sodomite trouve ainsi son rôle dans la recherche proustienne des vérités.

D’autre part, le topos de la transgression sociale se répercute sur la poétique romanesque de Proust. Comme le remarque Barthes, l’inversion sexuelle « donne lieu dans le monde à mille situations paradoxales, contresens, méprises, surprises, combles et malices »21. Outre ces quiproquos ironiques fondés sur des confusions entre l’apparence et la réalité du sodomite, l’inversion suscite, grâce à son pouvoir de perturbation sociale, les rencontres et donc les aventures les plus improbables :

[…] dans cette vie romanesque, anachronique, l’ambassadeur est ami du forçat ; le prince, avec une certaine liberté d’allures que donne l’éducation aristocratique et qu’un petit bourgeois tremblant n’aurait pas, en sortant de chez la duchesse s’en va conférer avec l’apache […] (p. 19).

Le secret que partagent les membres épars de Sodome « fait qu’à eux les romans d’aventures les plus invraisemblables paraissent vrais » (Ibid.). Le processus d’énantiologie ironique informe et dynamise la matière romanesque : il instaure des situations inattendues et confère à l’intrigue le dynamisme du retournement. Il engendre ainsi les épisodes les plus romanesques de Sodome et Gomorrhe – ceux-là même qui sont jugés les plus invraisemblables. C’est ainsi, par exemple, que la surprenante rencontre de Morel et du prince de Guermantes est suivie de la scène d’espionnage au lupanar de Maineville, qui elle-même provoque une avalanche de retournements, de quiproquos et d’imprévus. Il semble que Proust se soit pris au jeu de cette logique ironique des péripéties renversantes : ce n’est que sur la dactylographie qu’il a multiplié les épisodes les plus rocambolesques, ajoutant l’aventure du duc de Chatellerault avec l’huissier, les déboires de Nissim Bernard avec les frères tomates, les relations de Charlus avec Aimé et avec le valet de pied ainsi que le rendez-vous du prince de Guermantes avec Morel. Les invraisemblances des épisodes homosexuels tiennent donc à une poétique romanesque de l’inversion ironique, dont la logique paradoxale provoque une prolifération de retournements. A la déviance sexuelle des sodomites sont liées les bifurcations narratives et la déviation de l’esthétique romanesque qui s’écarte des chemins balisés de la mimésis traditionnelle.

C’est à l’occasion d’une multiplications de rencontres fortuites que Proust livre sa conception du romanesque. Marcel commence par trouver par hasard Charlus à la gare de Doncières. Puis, lorsque le baron lui demande d’appeler pour lui un militaire qui se trouve sur le quai d’en face, Marcel, surpris, reconnaît le fils du valet de chambre de son oncle. Il se demande alors comment le baron peut bien connaître Morel : « La disproportion sociale à quoi je n’avais pas pensé d’abord était trop immense » (p. 255). Il commence par supposer que ce peut être par la fille de Jupien :

Mais revoyant la fille de Jupien dans mon souvenir, je commençais à trouver que les « reconnaissances », pauvre expédient des œuvres factices, exprimeraient au contraire une part importante de la vie, si on savait aller jusqu'au romanesque vrai, quant [sic] tout d'un coup j'eus un éclair et compris que j'avais été bien naïf. M. de Charlus ne connaissait pas le moins du monde Morel, ni Morel M. de Charlus, lequel, ébloui mais aussi intimidé par un militaire qui ne portait pourtant que des lyres, m'avait requis, dans son émotion, pour lui amener celui qu'il ne soupçonnait pas que je connusse (p. 255-6).

La variante de ce passage explique ce qui est entendu par « romanesque vrai » :

« Reconnaissances » qui seraient un pauvre expédient dans une oeuvre factice, mais qui peuvent atteindre jusqu'à la plus haute et shakespearienne fantaisie, quand elles expriment le romanesque vrai de la vie où un personnage est pris pour ce qu'il n'était pas et arrive où on ne l'attendait guère (III, p.1487-8, var. c de la p.256).

La « reconnaissance » occasionnée par la rencontre échappe au « pauvre expédient » du romanesque « factice » à condition d'atteindre la « fantaisie », c'est-à-dire l'invraisemblance. Autrement dit, le romanesque devient « vrai » quand il exhume des vérités cachées, qui sont toujours renversantes et heurtent la vraisemblance. Selon la logique ironique, tout semblant est par définition un faux-semblant : les conventions et les apparences mentent inexorablement si bien que seule l’invraisemblance garantit la vérité. Le Sé2 de l’ironie se place toujours en rupture avec l’usage ordinaire de la langue, et le paradoxe ironique s’oppose à la vraisemblance doxale, comme les détours du récit ironique s’opposent à la via recta de la mimésis traditionnelle. L’épisode de la rencontre de Charlus et de Morel se conclut logiquement : dans la gare de Doncières, ce lieu de croisement où se dédouble le sens, Charlus ne prend finalement pas le train pour Paris, mais, par un « revirement » subit (p. 256), il disparaît avec Morel.

L’invraisemblance, qui se concentre du côté de Sodome, relève donc d’une poétique romanesque, qui elle-même découle d’une épistémologie : l’invraisemblable, comme le souligne la rencontre de Charlus et Jupien, est une nécessité22 parce que c’est lui qui donne accès à une vérité toujours renversante. Si l’ironie de l’inversion est douée d’un principe dynamique qui multiplie les renversements romanesques, elle permet néanmoins d’atteindre une vérité stable, vérité sexuelle de la nature ou du comportement de Charlus, vérité esthétique de la réminiscence suscitée par la petite madeleine, conformément à l’esthétique proustienne, dogmatique et téléologique, telle qu’elle est présentée dans l’art poétique du Temps retrouvé. L’ironie trace ainsi un parcours déterminé rétroactivement par son terme, le sens caché qui finit, invraisemblablement et nécessairement, par se révéler. Dans le cadre de l’énantiologie, l’ironie est conçue comme une structure sémiotique forte : la hiérarchie des Sé, qui accorde la prééminence au sens caché, garantit la stabilité du système et la certitude du savoir.

Les mystères de Gomorrhe et l’esthétique de la métamorphose : l’ironie instable

Le schéma herméneutique de l’inversion ironique semble se gripper dans le cas de Gomorrhe et notamment en ce qui concerne Albertine. Le déchiffrement de Charlus passe par une phase de cécité prolongée, pendant laquelle s’accumulent des indices gardés en réserve, et s’accomplit instantanément grâce à la soudaine révélation d’une scène épiée. En revanche, la « danse contre seins » d’Albertine et Andrée ne provoque pas une illumination, mais un soupçon, une « cruelle méfiance » (p. 190). Le doute de Marcel subsiste jusqu’à ce que les « agaceries » (p. 252) d’Albertine pour Saint-Loup l’endorment, en même temps que s’atténuent ses sentiments amoureux. Le dernier chapitre marque enfin un « revirement » qui convainc le héros du saphisme de la jeune fille et (donc) de la nécessité de l’épouser. Ainsi, le mouvement qui anime l’enquête sur Gomorrhe paraît au premier abord se soumettre au processus du renversement ironique. Néanmoins, dans la suite de la Recherche, Albertine prétendra avoir menti sur ses relations avec Mlle Vinteuil et son amie (III, p. 839) et Marcel n’obtiendra jamais de certitude sur ses préférences sexuelles. Le retournement ne fait plus progresser l’investigation et n’aboutit plus à une illumination. Au contraire, il engendre une oscillation perpétuelle entre les pôles de deux hypothèses et fait tourner en rond l’interprétation. Il semble donc que l’inversion féminine échappe à la loi de l’énantiologie de Sodome.

Le texte ne produit aucune explication à ce sujet : la théorie générale de l’inversion exposée dans la première section n’est appliquée qu’aux hommes et le lesbianisme ne fait l’objet d’aucune théorisation spécifique dans le roman. Gomorrhe ne se présente que sous des cas d’espèce et le lecteur en est réduit à induire l’érotologie de Gomorrhe d’après celle de Sodome : on peut toujours supposer que l’invertie est en réalité un homme dans un corps de femme et porte sur sa prunelle l’image d’une « nymphe ». Ce qui semble conforter cette idée, c’est la possibilité explicite de relations entre sodomites (qui sont des femmes) et gomorrhéennes (qui seraient des hommes) : « ils jouent pour la femme qui aime les femmes le rôle d’une autre femme, et la femme leur offre en même temps à peu près ce qu’ils trouvent chez l’homme » (p. 24). En dépit d’un à-peu-près, on reconnaît ici deux inversions croisées. Mme de Vaugoubert, épouse d’un sodomite, semble illustrer cet article supposé de l’inversion féminine : « c’était un homme » (p. 46). Mais, d’une part, cette claire affirmation, qui rappelle l’exclamation de Marcel à propos de Charlus, est fragilisée par la remarque qui la suit : « la nature » a pu lui donner « l’aspect trompeur d’un homme » (Ibid.). Serait-elle donc, contre toute attente, en réalité, une femme ? D’autre part, Mme de Vaugoubert fournit un cas unique de possible femme-homme dans le roman.

Le personnage de Mlle Vinteuil, autre tribade de la Recherche, livre sur Gomorrhe un éclairage différent. En effet, dès sa première apparition, dans Du côté de chez Swann, elle est d’emblée présentée comme dotée d’une double identité sexuelle : deux êtres coexistent en elle, un « bon garçon étourdi » et sa « sœur plus sensible » (I, p. 112). Ses deux genres se mêlent à la fois au niveau de son apparence, dans ses mimiques et ses propos (Ibid.), mais aussi « au fond d’elle-même », où « une vierge timide et suppliante implorait et faisait reculer un soudard fruste et vainqueur » (I, p. 159). Le système d’emboîtement d’un genre dans l’autre ne semble donc plus fonctionner et l’absence de hiérarchie des deux sexes rend impossible – et inutile - le renversement ironique de l’interprétation. Au contraire de Charlus, dont la féminité foncière émerge sous la masculinité, Mlle Vinteuil ne peut faire l’objet d’une lecture rétrospective, puisqu’elle est donnée immédiatement, simultanément et concurremment pour féminine et masculine. Comme le note Elisabeth Ladenson23, les gomorrhéennes paraissent disposer de toute une gamme sexuelle, qui va de la femme hommasse, cas de Mme de Vaugoubert, et du garçon manqué, cas de Mlle Vinteuil, jusqu’à la courtisane ostensiblement féminine qu’est Odette. Odette finit certes par avouer ses goûts secrets à Swann, mais il n’est jamais question d’un côté masculin chez ce modèle de la grande cocotte qui incarne plutôt le mundus muliebris. Les gomorrhéennes semblent donc ne pas être des hommes à la façon dont les sodomites sont en fait des femmes, si bien que le système binaire de contradiction entre l’apparence fallacieuse et la vraie nature sexuelle n’opère plus du côté féminin. Autrement dit, les gomorrhéennes ne sont pas, au sens strict, des êtres invertis. Il reste alors à savoir ce qu’elles sont. Pour éclairer la sexualité de Gomorrhe, on peut essayer d’interroger Albertine, qui en est la principale représentante.

La première particularité d’Albertine, c’est qu’elle est aimée du héros. Le projet de déchiffrement de Gomorrhe diffère donc de celui de Sodome. Marcel, hétérosexuel, s’intéresse aux sodomites par pure curiosité intellectuelle, à titre désintéressé et comme scientifique. En revanche, quand il s’attache à percer à jour un saphisme présumé, il n’est plus animé par un esprit sociologique ou sexologique, mais par une suspicion obsessionnelle qui concerne l’objet principal de son désir, Albertine. Le monde de Gomorrhe est donc perçu et interrogé par le truchement d’un désir.

La seconde caractéristique de la jeune fille est de présenter plus encore de complexité que ses compagnes car, non contente de bafouer elle aussi le schéma de l’inversion sexuelle, elle s’entoure d’un épais mystère : contrairement à Mme de Vaugoubert ou Mlle Vinteuil, elle ne manifeste pas de côté viril et contrairement à Odette, elle ne passera jamais aux aveux. De façon générale, la structure sexuelle, d’ailleurs assez floue, du personnage gomorrhéen a d’importantes répercussions sur le plan de l’herméneutique érotique : si le personnage féminin ne se construit plus sur une dichotomie entre profondeur et apparence, la possibilité d’une révélation ironique de son secret, d’une extraction de son essence enfouie, reste bloquée. Or Albertine complique encore la structure du personnage gomorrhéen : si Mlle Vinteuil est double, Albertine est « innombrable » (IV, p. 85). Dans A l’ombre de jeunes filles en fleurs, son image, dessinée à Balbec, devant la mer, se met immédiatement à se troubler, à bourgeonner et à se contredire, si bien que Marcel la reconnaît à grand peine toutes les fois où il la croise : « chaque fois elle devait me sembler différente » (II, p. 212). Albertine est dès le départ sujette à une « métamorphose » (II, p. 228) perpétuelle et, étant ininterprétable dès le départ, le personnage bloque la réinterprétation différée et corrective : « [...] je ne peux pas lui conférer rétrospectivement une identité [...] » (II, p. 202). Au contraire de Charlus, Albertine ne commence pas par provoquer une lecture univoque. Elle n’offre donc aucune prise à une résolution ironique qui exhumerait ses tréfonds secrets et le cycle des réinterprétations de Marcel se poursuit indéfiniment à vide, sans pouvoir attribuer à la jeune fille une valence sexuelle fixe. Selon Lévinas, même après sa mort, « quand les évidences abondent pour ne plus laisser place au doute, ce doute subsiste intégralement. Le néant d’Albertine découvre son altérité totale »24. Albertine, « l’être de fuite » par excellence (IV, p. 18 et III, p. 599), fait constamment balancer le sens par une mouvance perpétuelle. Dans Sodome et Gomorrhe, le héros ne peut que passer et repasser d’une possibilité à l’autre : Albertine met radicalement en défaut le processus énantiologique de l’inversion. Alors que Charlus propose un paradigme de l’énantiologie sodomite, avec Albertine, le trope ironique s’enraye, incapable de hiérarchiser les sens. Pour reprendre la terminologie de Wayne Booth, l’inversion de Sodome ressortit à l’ironie stable tandis que les fluctuations de Gomorrhe relèvent de l’ironie instable25.

Or, du point de vue de la genèse de la Recherche, ce que les critiques nomment « le roman d’Albertine » constitue un développement tardif, qui a gonflé le roman de l’intérieur en une prolifération potentiellement infinie. Comme le remarque Rainer Warning, le roman d’Albertine s’intègre dans le plan téléologique initial, mais il « évide de l’intérieur l’arche qui domine le tout et subvertit le concept emphatique de la “mémoire involontaire” comme fondateur d’identité, concept originellement lié dans l’esprit de Proust à la Recherche »26. Pour Warning, la Recherche se tend entre deux pôles d'écriture, la téléologie, qui participe de l’esthétique initiale de la Recherche, et la métamorphose, nouvelle esthétique introduite avec le personnage d’Albertine. Selon lui, les deux dimensions de l'écriture proustienne restent en tension, sans que l'une puisse annuler l'autre : la métamorphose croît à l'intérieur du cadre téléologique. Albertine, personnage volatil, représente la fugacité qui contredit la saisie du passé par la mémoire : la « fugitive » figure le sens qui se dérobe et la récursivité de l’écriture proustienne. Le personnage d’Albertine, figuration de l’incomplétude, constitue alors le point nodal du roman où se rejoignent la problématique du désir inassouvi – désir épistémique de savoir et désir érotique de posséder – et celle de l’esthétique romanesque.

Ainsi, chacun des deux systèmes lie une esthétique à une érotologie. Charlus, représentant de la téléologie, exemplifie l’inversion telle qu’elle est théorisée dans Sodome et Gomorrhe I et illustrée par les vers de Vigny :

La Femme aura Gomorrhe et l’Homme aura Sodome,
Et, se jetant de loin un regard irrité,
Les deux sexes mourront chacun de leur côté.

Albertine, incarnation de l’esthétique nouvelle de la métamorphose et gardienne du secret de Gomorrhe, figure la seconde théorie de l’homosexualité, annoncée à l’occasion de la première mais jamais explicitée27. Il semble donc, bizarrement, que la première conception concerne plutôt les sodomites et la seconde plutôt les gomorrhéennes. Si la théorie exposée dans Sodome et Gomorrhe I n’est appliquée qu’à des hommes, c’est probablement parce qu’elle ne peut rendre compte que de leur cas. Or, selon une autre prolepse de Sodome et Gomorrhe I, la seconde théorie devrait concerner « ceux qui ont conclu un pacte avec Gomorrhe » et dont le narrateur reparlera «quand M. de Charlus les connaîtra » (p. 25). Morel, dont l’entrée est ici annoncée, appartient, comme Albertine son double, à la deuxième conception. On n’aurait donc plus les deux sexes « chacun de leur côté », mais d’un côté des hommes invertis, de l’autre des gomorrhéennes et des hommes pactisant avec elles. C’en est donc fini de la séparation des sexes, fondement du paradigme hétérosexuel.

L’ironique conciliation des inconciliables : le « pacte » des sexes

Puisque la doctrine de l’inversion ne concerne pas Gomorrhe, les lesbiennes échappent à la loi du désir comme manque, c’est-à-dire à la loi de l’hétérosexualité : si les gomorrhéennes ne sont pas des êtres invertis, comme les sodomites, c’est donc qu’elles sont d’authentiques homosexuelles28. Du côté de Gomorrhe, le paradigme hétérosexuel ne fonctionne plus. Alors que l’inverti recherche des hommes véritables, des hétérosexuels, les jeunes filles de Proust sont plutôt attirées par des gomorrhéennes, par des femmes qui leur ressemblent. La « petite bande » constitue un microcosme complice et homogène, la sœur de Bloch exhibe complaisamment ses relations avec une amie aussi scandaleuse qu’elle (p. 236) et la belle inconnue aux yeux rayonnants communique instantanément avec Albertine ou Mlle Bloch dans un désir partagé (p. 245-6). Quand Albertine regarde les jeunes filles dans le miroir, c’est une image d’elle-même qu’elle aperçoit (p. 198).

Mais la théorie de l’inversion est solidaire de celle de la séparation des sexes, qui tombe donc en même temps. Ce qui est alors rendu possible, c’est le cas de figure de la femme de chambre de Mme Putbus : « elle aime aussi les femmes » (p. 94)29. La bisexualité ruine l’énantiologie sodomite : elle présente simultanément deux possibilités contradictoires. L’ironie de Gomorrhe et de la seconde théorie ne hiérarchise plus les sens et ne sépare plus les sexes, elle les fait coexister sur un même niveau : l’énantiologie cède le pas à l’amphibologie. Le processus de mise à plat du personnage peut être poussé très loin, comme c’est le cas chez Morel, qui a conclu le « pacte » avec Gomorrhe. Dans Sodome et Gomorrhe, Marcel tente de comprendre le caractère du violoniste en procédant à une récapitulation à un moment où Morel devient aimable avec lui, contredisant ainsi ses habitudes. Il a déjà prouvé sa « bassesse », son absence de reconnaissance, sa « vénalité » et ses « instincts de bestialité » (p. 420) :

[...] mais ce caractère n'était pas uniformément laid et était plein de contradictions. Il ressemblait à ces vieux livres du Moyen Age, pleins d'erreurs, de traditions absurdes, d'obscénités, il était extraordinairement composite (Ibid.).

Le personnage multiplie les traits contradictoires et coexistants au point qu’il devient impossible de savoir ce qu’est Morel, de localiser et de fixer cet être essentiellement ambigu. Dans La Prisonnière, le doute que suscite le violoniste est éprouvé par Charlus avec une violence cuisante quand il découvre une lettre passionnée que Léa, l'actrice gomorrhéenne, lui a écrite. Léa s'adresse à Morel au féminin et lui dit : « Ma belle chérie, toi, tu en es au moins, etc. » (III, p. 720)

Or voici que pour Morel cette expression « en être » prenait une extension que M. de Charlus n'avait pas connue, tant et si bien que Morel prouvait, d'après cette lettre, qu'il « en était » en ayant le même goût que des femmes pour des femmes mêmes (III, p. 720).

Charlus, qui ne peut concevoir comment des femmes « en sont » en aimant les hommes et comment des hommes « en sont » tout aussi bien en aimant les femmes, est torturé par « ce double mystère où il y avait à la fois l'agrandissement de sa jalousie et l'insuffisance soudaine d'une définition » (III, p. 721). Ce « double mystère » auquel touche Morel est obtenu par une conciliation des inconciliables qui ne s'annulent pas l'un l'autre. Selon un jeu de mots récurrent dans Sodome et Gomorrhe, les sodomites de la première théorie « en sont » et sont exclusivement du côté de Sodome. Mais Morel, lui, de toutes façons et de quoi qu'il s'agisse, « en est » et il rend insuffisante toute définition. Non seulement ce personnage hors-la-loi constitue un défi au langage monosémique, mais encore il défie radicalement la hiérarchie interne du signe ironique canonique : les multiples niveaux ne font plus qu'un et il devient impossible de stabiliser ce personnage complètement insaisissable, qui est à la fois ce qu’il est et ce qu’il devrait exclure. Marcel conclut ainsi ses réflexions sur Morel :

Mais c'est peut-être encore mettre trop de logique dans la cervelle de Morel que d'y faire sortir les unes des autres les contradictions. En réalité sa nature était vraiment comme un papier sur lequel on a fait tant de plis qu'il est impossible de s'y retrouver (p. 421-2).

Le principe de structuration du signe ironique ne fonctionne plus : à force de complications, la surface et la profondeur ne peuvent plus se distinguer et le personnage s’aplatit pour mettre toutes les données sur un même plan où elles deviennent inextricables. Pour Emmanuel Lévinas, parce que « tout est vertigineusement possible », « ce mouvement de la réalité définie, s’échappant de sa définition, constitue le mystère même qui pénètre la réalité proustienne »30.

Dans Sodome et Gomorrhe, c’est avec Albertine que Morel est fortement soupçonnable d’avoir conclu le pacte : Andrée révèlera plus tard à Marcel « qu’Albertine connaissait beaucoup Morel » (p. 420). Albertine disparue donne toute la mesure de ce pudique euphémisme : selon Andrée, qui avoue maintenant des relations érotiques avec Albertine, Morel séduisait des adolescentes avant de les livrer à sa complice, et il aurait même organisé un viol collectif dans la maison de passe de Couliville (IV, p. 179). Le mundus inversus de Sodome laisse place au mundus perversus du pacte entre Sodome et Gomorrhe. Amateur à la fois de « jeunes filles pures », de « gigolos » (p. 396) et de gomorrhéennes, Morel semble révéler la vérité d’Albertine : lorsque le héros en revient à l’idée de l’hétérosexualité de son amie, le narrateur remarque : « J’avais la naïveté des gens qui croient qu’un goût en exclut forcément un autre » (p. 268). Comme Morel, Albertine réconcilierait l’« inconciliable » (p. 258).

Mais Proust a pris soin de rendre cette conclusion à la fois inévitable et douteuse, puisque les affirmations d’Andrée sont « sujettes à caution » (p. 420) en raison de sa jalousie : par le phénomène régressif du second degré, la déstabilisation ironique s’applique au personnage construit sur une ironie elle-même instable.

Si, selon Warning, la métamorphose peut parasiter le cadre téléologique sans l’abolir, on peut tout de même se demander si la déstabilisation ironique ne manifeste pas une menaçante propension à l’expansion : elle semble corroder le système initial, ou du moins servir de révélateur aux dysfonctionnements de l’énantiologie, tant dans le domaine sexuel qu’esthétique.

En effet, la première théorie érotique ne semble pas complètement exempte de possibilités de déstabilisation. Ce n’est pas en fait la seconde théorie de l’homosexualité qui introduit un certain nombre de failles dans ce processus apparemment bien réglé, mais la présentation des invertis elle-même. Léo Bersani remarque que, lors de la « conjonction » inaugurale, Jupien adopte des mimiques codées comme féminines, et données pour risibles, afin de séduire le baron31. Or, d’après la théorie proustienne, les invertis sont réduits à se prendre pour partenaires en adoptant l’illusion volontaire que l’autre est un homme et non la femme qu’ils savent se cacher en lui. On peut donc se demander pourquoi Jupien mime la femme pour plaire à Charlus, qui est en réalité une femme qui aime les hommes. Si l’on veut suivre cette logique, on est mené à échafauder des solutions qui défient finalement la notion même de différence sexuelle. Charlus n’est-il une femme que par intermittence ? Ou est-il en réalité une femme qui aime les femmes, une gomorrhéenne ? Ou fait-il coexister une femme qui aime les hommes et une femme qui aime les femmes ? Les limites des catégories sexuelles se brouillent et la logique originelle engendre un cercle interprétatif sans solution. Ce n’est en fait que dans les développements théoriques et leurs exemples bâtis ad hoc, choisis en dehors des personnages du récit, que la théorie proustienne de l’inversion fonctionne, sans pouvoir s’appliquer complètement aux situations ni aux personnages de l’histoire. Non seulement des personnages labiles comme Morel et surtout Albertine défient la notion même de catégorie sexuelle, mais encore le coup de foudre entre Charlus et Jupien inaugure une liaison heureuse et durable. Il semble finalement impossible d’atteindre la moindre connaissance stable dans l’univers de la Recherche : l’insuffisance de toute définition est devenue telle que les catégories sexuelles elles-mêmes s’effondrent, brouillant la distinction entre inversion et homosexualité.

Sur le plan esthétique, dans le dernier chapitre de Sodome et Gomorrhe II, la déstabilisation met en défaut le procédé de bisociation qui, selon le dogme du Temps retrouvé, permet d’atteindre la vérité dans l’art, notamment par la métaphore. Lorsque sa mère lui désigne le soleil levant, le héros voit par derrière la chambre de Montjouvain où Albertine se substitue à l’amie de Mlle Vinteuil. Cette intrusion d’Albertine dans le processus de surimpression non seulement déréalise le lever de soleil mais encore retentit sur le processus lui-même. La lumière de l’aube rappelle à Marcel le moment du coucher du soleil, mais ce crépuscule, à mettre en rapport avec le soir tombant de Montjouvain, n’est qu’une « scène imaginaire, grelottante et déserte, […] plus inconsistante encore que l’image horrible de Montjouvain qu’elle ne parvenait pas à annuler » (p. 514). Le jeu de révélation de l’identité par l’altérité ne fonctionne plus, bloqué par Albertine. Marcel est transporté d’un mundus inversus sur une « terra incognita terrible » (p. 500).

La terra incognita intérieure

Un dernier cas de figure reste à aborder : le cas de ceux qui n’ont pas conclu de pacte avec Gomorrhe, celui du héros face à Albertine. Selon la théorie proustienne de la différence sexuelle, l’homme hétérosexuel porte dans sa prunelle l’image d’une nymphe, qu’il cherche dans la réalité. Si de son côté la femme porte bien un éphèbe intaillé dans sa prunelle, elle renvoie à l’amant le reflet de ce qu’il est et donc, comme le souligne Léo Bersani32, l’hétérosexualité est en fait un narcissisme qui permet d’ignorer l’altérité de l’autre. Lorsqu’un hétérosexuel désire une gomorrhéenne, une authentique homosexuelle, le processus d’auto-identification par le désir de l’autre est tenu en échec. Marcel ne sait même pas quelle est l’image qu’Albertine porte gravée sur sa prunelle : est-ce bien celle d’une nymphe, et si oui, est-ce l’image d’une nymphe qui aime les éphèbes ou, plus mystérieusement, d’une nymphe qui aime les nymphes? L’homosexualité féminine – au sens strict – porte la jalousie du héros au comble de la souffrance :

Mais ici le rival n’était pas semblable à moi, ses armes étaient différentes, je ne pouvais lutter sur le même terrain, donner à Albertine les mêmes plaisirs, ni même les concevoir exactement (p. 504-505).

Une des grandes interrogations de Marcel, après la mort de la jeune fille, porte sur la nature du désir d’Albertine pour les femmes (IV, p. 125-6). Il conçoit ses plaisirs comme une zone d’où, en tant qu’homme, il est radicalement exclu, c’est-à-dire comme le mystère par excellence, celui qui ne peut que lui rester inconnaissable. Cette interdiction sans appel enflamme en lui la même jalousie désespérée, la même « angoisse qu’il y a à sentir l’être qu’on aime dans un lieu de plaisir où l’on n’est pas, où l’on ne peut pas le rejoindre » (I, p. 30), que les « plaisirs inconnus » offerts par la « fête inconcevable, infernale » (I, p.31) qu’il imagine lorsqu’il est privé du baiser de sa mère au début de « Combray »33. Le rire d’Albertine qui danse contre Andrée manifeste « quelque frémissement voluptueux et secret » et sonne « comme les premiers ou derniers accords d’une fête inconnue » (p. 191). Marcel a beau essayer de concevoir le désir d’Albertine d’après le sien propre pour les jeunes filles (IV, p.98), ou stipendier deux jeunes blanchisseuses pour se caresser devant lui (IV, p. 130-1) ou encore séduire des femmes qui auraient pu plaire à Albertine (IV, p. 132), rien ne peut lui expliquer le rire d’Albertine « où elle faisait entendre le son inconnu de sa jouissance » (p. 502).

Or cette impossibilité de percer les secrets d’autrui se répercute sur la connaissance de soi. Dans l’esthétique originelle de Proust, l’identité du sujet est doublement assurée par la mémoire et par le désir de l’autre qui permet de savoir ce que l’on est, qui est le contraire de ce que l’on désire. Mais, d’une part, les innombrables métamorphoses d’Albertine brouillent les souvenirs de Marcel, qui ne fait plus la part entre le factuel et le fantasmatique. Et d’autre part, Marcel, en désirant un être inconnu, une homosexuelle, dont l’identité sexuelle lui reste celée, ne peut plus déterminer la nature de son propre désir. L’insondable mystère du désir éprouvé par l’autre rejaillit alors inexorablement sur l’identité du sujet désirant et Marcel en vient à situer en lui-même l’altérité d’Albertine34. Alors qu’il sentait Albertine à une immense distance de lui (p. 130-1), dès qu’elle lui révèle bien connaître Mlle Vinteuil, il a l’impression qu’il faudrait placer la jeune fille « non pas à quelque distance de moi, mais en moi » (p. 501) et quand il apprend sa mort, Albertine continue à vivre en lui (IV, p. 60). Quant aux témoignages d’Aimé à propos des goûts de la jeune fille, ils touchent à « une question d’essence » (IV, p. 97) et atteignent, dit Marcel, « en Albertine, en moi, les profondeurs » (IV, p. 98). Aussi, à la fin du Temps retrouvé, le héros prévoit-il, dans le livre à venir, de « représenter certaines personnes non pas au-dehors mais au-dedans de nous » (IV, p. 622). Le mystère définitif d’Albertine est devenu pour Marcel le secret impénétrable de sa propre étrangeté : « Moi-même j’avais changé tout autant qu’elle me semblait autre », note le narrateur après la remarque de Cottard sur la « danse contre seins » (p. 198). L’impossibilité de connaître l’autre aboutit à une reconnaissance de soi comme autre. Alors que l’inversion aboutit ironiquement à une connaissance d’autrui, l’homosexualité de l’autre révèle la terra incognita intérieure qu’est à soi-même son propre désir.

Par un dernier paradoxe ironique, l’hétérosexualité permet au sujet désirant de se voir comme même dans l’œil de l’autre et l’homosexualité fait apparaître l’altérité en soi. Si Albertine est bien une véritable homosexuelle, quel étrange reflet le miroir de sa prunelle peut-il renvoyer à Marcel, sinon l’image de cet autre qui habite la terra incognita de son désir, celle d’une nymphe amoureuse d’une nymphe ?

1  Les références à la Recherche sont données dans la seconde édition Pléiade (Paris, Gallimard, 4.t, 1987-1989) sauf pour Sodome et Gomorrhe, cité dans l’édition Folio de 1989.

2  Pour la scène de saphisme, voir Du côté de chez Swann (I, p. 157-163) et pour la maison de passe de Jupien, voir Le Temps retrouvé (IV, p. 388-412).

3   Voir par exemple Epistemology of the closet, d’Eve Kosofsky Sedgwick (Berkeley, University of California Press, 1990) ou Chambre 43. Un lapsus de Marcel Proust, de Mario Lavagetto (Paris, Belin, 1996, édition originale italienne de 1991). Voir aussi « La dernière victime du narrateur », article où Antoine Compagnon rend compte de l’ouvrage de Mario Lavagetto, Critique, n°598, 1997, p. 131-146.

4  Cette analyse s’appuie sur celle de Léo Bersani dans Homos. Repenser l’identité, Paris, Editions Odile Jacob, 1998, dont les pages 153-175 sont consacrées à Proust.

5  « Ecrire sans fin. La Recherche à la lumière de la critique textuelle », in Marcel Proust. Ecrire sans fin, Paris, CNRS Editions, 1996, p. 13-32.

6  Dans Sodome et Gomorrhe, le héros rencontre des « réminiscences confuses » à La Raspelière (p. 334-5).

7  « Une idée de recherche » in Le bruissement de la langue, Essais critiques IV, Paris, Editions du Seuil, « Points », 1984, p. 327-332, citation p. 330.

8  Ibid., p. 329.

9  Correspondance, éd. Philippe Kolb, Paris, Plon, 22 t., 1970-1992, citation t. XI, p. 255.

10  Ibid., p. 256. Dans le projet ici annoncé par Proust, le « concierge » préfigure Jupien et le « pianiste » Morel.

11  Ibid.

12  Proust entre deux siècles, Paris, Editions du Seuil, « Poétique », 1989, p. 268.

13  Voir par exemple p. 298-300, 332-333, 356-7, etc.

14  Voir les portraits des pages 254 et 429.

15  Voir Antoine Compagnon, « Racine est plus immoral », op. cit., p. 65-107.

16  Dans ses Satires, Juvénal s’emporte contre les nobles qui concluent de scandaleuses unions contre-nature avec des vauriens, par exemple l’illustre Gracchus, qui pousse la déchéance jusqu’à s’exhiber dans l’arène en gladiateur (Satire II, vers 117-148).

17  Voir Cameron McFarlane, The Sodomite in Fiction and Satire, 1660-1750, New York, Columbia University Press, 1997, chapitre 1.

18  Ibid., p. 33-37.

19  Voir la « Préface » de Sodome et Gomorrhe, p. XIV-XV, où A. Compagnon note que l’affaire Eulenburg a relancé l’écriture de la Recherche et a fourni matière aux réflexions lexicales de Proust.

20  Voir Sodome et Gomorrhe, « Documents » : « Charlus et le contrôleur d’omnibus », p. 534-541.

21  Op. cit., p. 330.

22  La « conjonction » liminaire « a quelque chose d’extraordinaire, de sélectionné, de profondément nécessaire » (p. 29).

23  « Rereading Proust », in Second Thoughts. A Focus on Rereading, Detroit, Wayne State University Press, 1998, p.249-265, voir p. 253.

24  « L’autre dans Proust », in Noms propres, Montpellier, Fata Morgana, 1976, p.154.

25 A Rhetoric of Irony, Chicago/London, The University of Chicago Press, 1974. Booth définit ainsi l’ironie instable : « The author […] refuses to declare himself, however subtly, for any stable proposition, even the opposite of whatever proposition his irony vigorously denies » (p. 240).

26   « Préface », in Marcel Proust. Ecrire sans fin, op.cit., p. 7-11, citation p. 10.

27  Voir Sodome et Gomorrhe, p. 17.

28  Voir Ladenson, op. cit., p. 257-8.

29  Je souligne.

30  Op. cit., p.152.

31 Op. cit., p. 160.

32 Ibid., p. 165.

33  Ce rapprochement est annoncé dans Sodome et Gomorrhe p. 130.

34  Voir Bersani, op. cit., p. 164.