Le programme ambitieux de la génétique des textes a renouvelé l’approche accumulative et savante de la critique des « sources » et du recensement des « variantes » par un point de vue ensembliste, qui a su envisager les manuscrits d’écrivains comme une dynamique d’écriture, un processus continu de mise en forme et d’assemblage. La critique génétique, en s’appuyant notamment sur les sciences du langage, a permis, dès le début des années soixante‑dix, l’émergence de cette perspective neuve, attentive aux transformations sémiotiques dans l’avant‑texte. D’où, par conséquent, le dépassement de l’inventaire des sources par une méthodologie de l’intertextualité, appliquée à révéler, par exemple dans la genèse du roman, la présence de patrons rhétoriques et de programmes narratifs, dont les codes se voient conservés, subvertis et in fine fécondés par le talent propre de l’artiste. L’apport de la critique moderne est donc indéniable, tant dans l’identification de processus scripturaux spécifiques à chaque écrivain que dans celle de types d’écriture. Ainsi de l’écriture à « programme » chez un Zola ou un Flaubert, ainsi de l’écriture à « processus » chez un Proust1.
Toutefois, la génétique peut aborder encore bien d’autres dimensions de la création littéraire. Sans doute, est‑il possible, à l’aube du XXI ème siècle, d’explorer, grâce à de nouveaux outils, la part la plus complexe et la plus mystérieuse de l’acte créateur, celle qui place le généticien aux limites mêmes de l’entreprise critique de la génétique. C’était avec une belle ironie qu’Henri Mitterand achevait sa préface de Leçons d’écriture, ce que disent les manuscrits (1985), en précisant que l’avant‑texte n’existe pas mais que nous faisons comme s’il existait, évoquant ainsi l’indéniable « non‑dit » propre à tout brouillon, travail souterrain et silencieux de la pensée qui ne verbalise pas tous ses processus et qui, même si elle le souhaitait, ne saurait être consciente de tous2. L’avant‑texte est trace, indice ou signe du travail de l’esprit mais en aucun cas image ou reflet fidèle de celui‑ci, dans la mesure où, comme l’affirme Valéry, « Le langage n’a jamais vu la pensée »3. L’analyste, avec sa voix propre, ne « déchiffre » donc pas un manuscrit mais, plutôt, lit et interprète la partition trouée d’une création en marche. Il s’agit certainement là d’une béance insoluble dans le processus d’invention mais pas forcément d’une limite inamovible. En effet, rien n’interdit à la critique génétique de modifier assez radicalement son entrée, encore majoritairement linguistique, dans le schéma de l’invention littéraire qui préside à la production du manuscrit. En complétant les approches soit textuelles qui étudient le brouillon dans sa matérialité verbale, soit socio‑poétiques, qui l’inscrivent dans le contexte historique de sa réception, par des perspectives d’inspiration cognitiviste, focalisées sur les mécanismes mentaux du sujet créateur, il est possible d’ouvrir un champ nouveau d’investigation, susceptible de repousser les limites qu’imposent les processus « non‑verbaux » de l’invention, même s’il « est impossible de remonter du langage à la pensée autrement que par probabilités »4 .

Sciences cognitives et littérature

Si la critique contemporaine a permis d’aborder le manuscrit littéraire dans sa dynamique scripturale, comment une critique génétique cognitive pourrait corrélativement établir sa singularité dans la diversité de ses dimensions mentales ? Sans doute, une telle problématique transdisciplinaire serait‑elle une opportunité et un apport mutuel pour les deux disciplines. D’abord, pour les études littéraires, dans la mesure où un écrivain est, par excellence, un individu qui fait fonctionner à « haut régime » l’ensemble de ses fonctions cognitives, afin de créer une œuvre d’art.  Si les sciences de la cognition « ont pour objet de décrire, d’expliquer et, le cas échéant, de simuler les principales dispositions et capacités de l’esprit humain – langage, raisonnement, perception, coordination motrice, planification », selon  Daniel  Andler, alors le dossier de genèse devrait constituer, par excellence, un objet d’étude pour la cognition5. Le cas d’un Zola, illustrant le type d’écrivain planificateur, serait particulièrement parlant. L’étude médico‑psychologique que conduisit le Dr Toulouse en 1896, en soumettant Zola à des tests de laboratoire demeure un document intéressant sur la personnalité de l’écrivain, mais qui paraîtrait n’être qu’une première approche devant les travaux d’inspiration cognitiviste qui, à l’aide d’instruments d’analyse modernes, sauraient faire « parler » le témoignage in vivo de la pensée créatrice que représentent les milliers de feuillets de ses dossiers préparatoires6. Comment Zola perçoit‑il, sur les plans visuel, olfactif ou auditif, la réalité sensible qu’il enregistre dans ses notes d’enquêtes sur le terrain ? Peut‑on formaliser les conduites spatiales de l’écrivain, lorsqu’il appréhende stratégiquement tel quartier de Paris, tel puits minier d’extraction ou tel voyage en locomotive ? Quel est le rôle de la mémoire et de l’intelligence combinatoire au fil des Plans détaillés qui organisent une matière première imposante ? Il faudrait développer un programme de recherches articulant les niveaux sensoriels, perceptuels et symboliques, que permettrait, justement, l’analyse cognitive. Car, contrairement au béhaviorisme ou au mentalisme qui se concentrent sur des aptitudes générales, les sciences de la cognition, en tant qu’elles étudient les processus de « traitement de l’information » dans leurs conditions concrètes de fonctionnement, s’avèrent particulièrement adaptées, aussi, à l’analyse du « sémiotique à l’état natif », donc en particulier aux dossiers de genèse, qui, tout à la fois, résultent d’une activité mentale, manipulent des langages verbaux et graphiques, échafaudent des raisonnements et construisent des représentations, dans le but de concevoir une œuvre d’art. On voit comment la notion de « traitement » pourrait alors élargir la traditionnelle « réécriture » qui préside à de nombreuses analyses linguistiques de manuscrits. L’écrivain, en particulier réaliste, pratique souvent le traitement ou le « retraitement » d’informations, tant de l’information sensorielle et mentale, lorsqu’il perçoit des formes, les sélectionne et les combine que de l’information symbolique, lorsqu’il les verbalise afin de les assembler à la fiction imaginaire. Retraitement encore lorsqu’il « assimile » ‑ selon le bon mot des frères Goncourt sur Zola‑ les textes documentaires bruts, cale son discours dans l’espace intertextuel, revisite tel genre convenu, comme le roman‑feuilleton, ou retrouve les grands archétypes imaginaires qui traversent les mythologies universelles. Il faut conserver ce concept transversal de « traitement » ; il faudra aussi s’entendre sur son sens spécifiquement cognitif dans un contexte littéraire.
Réciproquement, la critique génétique peut certainement apporter aux recherches de la cognition et de la psychologie cognitive des corpus révélant, en grandeur nature et en contexte réel, des mécanismes mentaux sans doute difficilement analysables en laboratoire étant donné leur complexité et leur densité d’exécution. Deux perspectives psychologiques semblent pouvoir tout particulièrement bénéficier de cet apport : d’abord, les récents travaux engagés dans l’exploration cognitive des processus de conception, dont M. Borillo et J.P. Goulette (2002) définissent la visée générale de la façon suivante :

En effet, l’émergence des sciences de la cognition apporte des connaissances nouvelles sur le fonctionnement neuro‑psychologique du cerveau, sur les processus de perception, sur l’émotion, sur le langage et sur la vie mentale en général. Ces ruptures permettent d’espérer mieux comprendre la nature de quelques‑unes des aptitudes et des fonctions qui sont mises en jeu par le designer, l’artiste, dans leur activité de création, la description de ces aptitudes et fonctions pouvant aller parfois jusqu’à les représenter dans un langage formel qui constitue le pré‑requis de toute simulation computationnelle.7  

Intégrer le dossier préparatoire d’un écrivain dans le paradigme du « projet », susceptible d’être comparé, dans ses ressemblances et ses différences, aux projets d’un architecte ou d’un designer, c’est certainement, en plus, confronter les modélisations cognitives actuelles, encore très générales, à la réalité des opérations spécifiques, à l’œuvre au cours de l’acte d’invention littéraire. Faire en sorte de ne pas en rester au projet architectural et de ne pas non plus restreindre l’approche cognitive à l’art contemporain, à Internet ou à l’Intelligence Artificielle ne peut être que salutaire à la cognition, dans la mesure où elle soumettra sa théorie à d’autres langages, à un corpus plus ouvert et divers aussi, dans l’espace et dans l’histoire des créations humaines. D’autre part, les manuscrits d’un écrivain peuvent sans doute, à leur façon, proposer des pistes à la branche particulière de la psychologie cognitive qui tente d’identifier, à partir de l’hypothèse de E. Hunt, suggérant une variabilité interindividuelle des capacités de traitement de l’information, les mécanismes expliquant ces différences et permettant, au bout du compte, de dresser une typologie des « styles cognitifs »8 . Comme l’explique M. Reuchlin (1990), l’analyse différentielle se donne pour objectifs d’observer les différences entre individus dans les fonctionnements cognitifs, d’évoquer les problèmes que pose l’existence de ces différences, d’en déduire les perspectives théoriques qu’elles suggèrent et les méthodes d’exploitation qu’elles peuvent mettre en œuvre9. Si l’on accepte l’idée défendue par A.Binet, en 1896 (année de la publication de l’enquête du Dr Toulouse), selon laquelle, « plus un processus est compliqué et élevé plus il varie selon les individus »10, alors il semble naturel de donner aux traces de la conception artistique toute la place qu’elles méritent comme témoignage d’une mise en fonctionnement singulière d’une intelligence et d’une sensibilité, ou pour le dire avec les mots de Zola, dès 1864 : «Une œuvre d’art est un coin de la création vu à travers un tempérament » . L’ambition serait de mieux comprendre, avec les outils contemporains, l’articulation de « l’œuvre » et du « tempérament ».
Singulier et extrême, pour ne prendre qu’un exemple, apparaît le haut degré de lucidité de l’écrivain dans ce qu’on pourrait appeler sa « conscience métacognitive », dont les cognitivistes font un concept clef. Dans son approche différentielle de l’imagerie mentale, M. Denis ajoute aux capacités visuelles intrinsèques, dont les modules de traitement sont susceptibles de varier entre les individus, un autre critère d’ordre réflexif : « Les individus diffèrent non seulement par leurs aptitudes d’imagerie, mais aussi par la capacité qu’ils ont d’identifier les situations dans lesquelles il est profitable pour eux de mettre en œuvre ces aptitudes »11. Et l’auteur de surenchérir même, en affirmant que si les individus diffèrent par leurs aptitudes et leur clairvoyance, ils se distinguent aussi par la préférence cognitive acquise pour l’imagerie comme mode de traitement, pour des raisons tenant à leur histoire personnelle. A.N. Katz envisage même de prendre en compte la représentation, plus ou moins valorisée que les individus peuvent se faire de l’imagerie et donc de leur propension à se considérer comme « imageants »12. Sans même évoquer ce que « cette prise de conscience » cognitive, rapportée à l’histoire des arts visuels au XIXème siècle, pourrait avoir d’éclairant du point de vue des représentations collectives sur l’imagerie plastique13, il suffit de parcourir les dossiers préparatoires de Zola pour comprendre combien la conscience qu’il a de ses propres processus de vision mentale éclairerait les études générales de la métacognition et en particulier le rôle que représente la connaissance de ses modes de pensée dans la réalisation des tâches cognitives auxquelles il est confronté. Non seulement le langage hybride de la créativité zolienne, qui associe, en toute maîtrise et peut‑être en mémoire de son père ingénieur, le croquis d’un côté et la note verbale de l’autre dans l’invention des lieux, mais encore le métalangage visuel par lequel il déploie mentalement la genèse du roman dans un espace virtuel articulé (« Mettre un coin de fantaisie » ; « Sous le crime, je mets une histoire d’argent et d’amour, « j’aurais l’administration du chemin de fer autour du mari », etc… ») révèlent qu’il serait possible de rebaptiser le classique « dossier préparatoire » en « autobiographie de la vie cérébrale », par l’analyse minutieuse des auto‑consignes et du métadiscours qui accompagnent la conception de l’œuvre . Pour ne prendre qu’un exemple de cette lucidité, citons la conscience de l’écrivain devant sa tournure d’esprit barycentrique et pondératrice, qui l’incite à créer l’œuvre à partir d’images mentales visuelles sur lesquelles s’appuie son imagination : « Tout ce que j’ai est bon mais le centre me manque vraiment par trop », Ebauche de L’Argent, (f°403‑404). Passons sur ce que le traitement personnel par Zola de la catégorie syntactico‑sémantique des prépositions spatiales, comme « sur », « dans », « dedans », « sous », « autour de », appliquées à la matière narrative et combinées aux localisations cinématiques, « étaler », « disjoindre », « balancer », « séparer » pourrait apporter à la sémantique de l’espace et, plus encore, à l’exploration de l’univers spatio‑temporel intérieur au service de la genèse de l’œuvre14. Zola « projette » dans l’espace ses images mentales, selon Toulouse : les recherches actuelles sur les paysages virtuels informatiques, assistant la cognition, pourraient bien nous éclairer, de ce point de vue, sur les fonctions de l’action spatiale dans la médiation du raisonnement cognitif orienté vers la création . En matérialisant la genèse du roman dans un espace abstrait enchaînant des configurations narratives, Zola « enracine et contrôle son raisonnement abstrait en l’ancrant dans un fonctionnement sensori‑moteur planifié ». J.A Waterworth retrouve ainsi une faculté humaine, dont l’écrivain est une singulière illustration, comme l’avait pressenti judicieusement Toulouse : « Nous projetons nos expériences spatiales (incorporées comme des schémas d’images) sur des domaines abstraits et non spatiaux de l’expérience »15. La cognition de l’acte créateur ouvre de nouvelles pistes pour étudier l’idée que l’espace, en tant que capacités codifiées dans l’esprit humain, peut consciemment fortifier la pensée, notamment dans ses tâches non seulement mnémotechniques mais aussi créatrices16.
De fait, les dossiers génétiques – esquisses, ébauches, plans, brouillons, croquis – forment un matériau empirique qui, appréhendés par les outils théoriques adéquats, peuvent apporter des informations précieuses pour étudier en grandeur nature des mécanismes cognitifs qui, par leur complexité, resteront difficilement accessibles à une expérimentation directe. D’ailleurs, de l’aveu même de psychologues, à l’instar de F.N. Dempster (1981) ou D.Gaonach’ (1990), la situation classique de laboratoire, cadrée et dirigée, laisse peu de latitude au sujet pour contrôler lui‑même ses propres activités cognitives, ce qui conduisait à sous‑estimer notamment les facteurs stratégiques personnels dans le traitement de l’information17. Les manuscrits constituent donc une voie d’accès supplémentaire aux capacités humaines d’invention, même si les technologies de pointe sont susceptibles, aujourd’hui, de reproduire des situations de laboratoire proches des contextes naturels d’écriture (D.Alarmagot, 2004)18.
Les dossiers préparatoires d’un Zola, tout particulièrement, en raison de leur part réflexive, proposent un point de croisement entre l’histoire du manuscrit moderne et la naissance de la psychologie de la création, comme le souligne, plus nettement encore que chez un Hugo19, son ambition d’atteindre une forme de « vérité cérébrale », relevant d’une éthique et d’une esthétique de la « transparence » qui traverse sa vie d’écrivain et d’homme, autant que sa production artistique. Ainsi, Zola écrit‑il, dans sa préface au livre du Dr Toulouse :

[…] je savais ce que je faisais en me prêtant à son examen, je voulais fermement le faire, et j’étais décidé à la plus totale confession. Si l’on veut connaître mes raisons, qu’on les cherche dans toutes mes œuvres et dans toute ma vie.20 

L’écrivain n’aura cessé d’exprimer, dans ses écrits théoriques, sa correspondance ou ses comptes‑rendus critiques, son intérêt grandissant pour les arcanes de la création : exposer son « crâne de verre » à Toulouse, voir démonter le « mécanisme de son œil » par Céard, confier à Alexis comment il compose ses romans, conscient malgré tout que « nos œuvres en gestation échappent à notre volonté »21  : un programme ambitieux de « dissection » mentale dont Taine, notamment avec son enquête auprès de Flaubert, est certainement, avec De l’intelligence (1870), l’un des pionniers, qui, aujourd’hui encore, rallierait sûrement à sa cause les spécialistes de la cognition se consacrant aux processus de la création :

Tout peintre, poète, romancier d’une lucidité exceptionnelle devrait être questionné et observé à fond par un ami psychologue. On apprendrait de lui la façon dont les figures se forment dans son esprit, sa manière de voir mentalement les objets imaginaires, l’ordre dans lequel ils lui apparaissent, si c’est par saccades involontaires ou grâce à un procédé constant, etc. Si Edgar Poe, Dickens, Balzac, Henri Heine, Horace Vernet, Victor Hugo, Doré, bien interrogés, avaient laissé de pareils mémoires, nous aurions là des renseignements du plus grand prix.22

En résumé, dans le cadre d’un entrecroisement entre la sensibilité littéraire et les approches psycholinguistiques, l’étude cognitive des manuscrits peut approfondir les fonctionnements différenciés des principales capacités intellectuelles (comprendre, décider, éprouver…) et sensori‑motrices (voir, entendre, agir…), identifiées par des tests artificiels : introduire des variantes modulant une théorie, proposer une théorisation « plurielle » plus large, voire comparative entre les écrivains, à la lumière des procédures adaptatives propres à la conception artistique. Sans doute, ces axes pourraient‑ils en particulier fournir des éclairages neufs sur le rôle de la mémoire dans l’acte créateur, perçue exclusivement encore, par les littéraires, dans sa dimension rhétorique et poétique. Par exemple, certains travaux portant sur la mémorisation humaine ont mis en évidence des facteurs de personnalité qui orientent la réminiscence d’un texte. Hertel, Cosden et Johnson, en introduisant des éléments contradictoires dans la lecture d’un récit ont pu mettre en évidence, lors de sa reconstruction par les sujets, deux formes de flexibilité cognitive : celle appelée adaptative, à visée intégratrice, qui prend en compte les caractéristiques de la situation, et celle dite spontanée, qui assure un fonctionnement cognitif dans des directions variées. Les sujets possédant la première capacité ont eu tendance à combiner les informations présentées successivement, tandis que les autres ont pu maintenir des traces mnémoniques séparées23. En son temps, le Dr Toulouse avait souligné la faculté mentale de Zola a envisager un problème donné sous des aspects multiples, à des moments successifs:

Son esprit lui représente, dans des temps différents, les forces multiples d’une question, et, sans cesser d’être logique, de tendre à une même fin, il agit dans des directions contraires.24

Mais il resterait à la cognition actuelle à comprendre comment l’écrivain, qui navigue parmi les possibles au fil de son soliloque programmatique, sans cesser de s’admonester, s’encourager, tergiverser, combine ces deux facultés : « Je ne sais pas si ce que je pense est bon »,  (Ebauche de La Bête humaine, f°340), « Non, je reviens en arrière » , (f°347). Sans doute une telle recherche permettrait‑elle d’en découvrir une autre: parfois, sa saisissante « inflexibilité ». Certains passages des avant‑textes de Zola révèlent, en effet, une capacité étonnante à pousser dans ses limites et ses retranchements, et ce parfois jusqu’à l’absurde, une idée menant tout droit, en apparence, dans une impasse. Dans l’ébauche de L’Argent, l’écrivain semble renoncer, arguments à l’appui, à réunir dans une relation affective intime deux personnages inconciliables : Saccard serait bien indiqué mais, « il n’est plus jeune et peu beau. Il est difficile qu’elle se passionne pour lui », pense l’écrivain. Et pourtant, comme si le cerveau se dissociait de la main qui écrit, il poursuit dans une contre‑hypothèse hardie : « Si c’était lui, elle aurait donc perdu son argent dans une affaire pour lui ; puis elle se serait mise chez lui, comme intendante ; elle aurait couché et il la tromperait avec la femme achetée ». (f°409). Plus qu’une intégration de l’information initiale, il s’agit d’une « désintégration » des critères associatifs dans le système des personnages, qui stimule la créativité et produit de la fiction :

Cela suffirait, cela me donnerait même cette originalité : ce gueux de Saccard aimé par une nature foncièrement honnête et aimé pour des raisons d’activité, de bravoure, de continuels espoirs.

On l’appellera grossièrement « l’intuition » ou  «l’inspiration », orienté sans doute par des antithèses romantiques ou un art du paradoxe, mais tout reste à faire pour déchiffrer ce processus humain d’approfondissement perturbant les inférences inductives et déductives « classiques » et, en retour, revenir sur l’approche de « l’idée fixe » dans le raisonnement : enfin, corrélativement, sur le degré d’ « adaptation » cognitive dans le processus de création.

 Afin d’illustrer ces interactions enrichissantes entre sciences cognitives et littérature, nous nous proposons d’étudier les avant‑textes de Zola dans le cadre de l’utilisation qu’ils font des langages grapho‑verbaux pour décrire des structures et des opérations spatiales au cours de l’invention des lieux romanesques.  L’hypothèse de départ étant que cette entrée dans le manuscrit ouvre une voie d’accès à l’univers mental de l’écrivain.

Genèse de l’espace et imagerie mentale

Les tests mentaux investis dans l’examen psychologique que fit subir à Zola le Dr Toulouse portent les marques de leur époque, non seulement du fait qu’une partie d’entre eux est empruntée à des médecins de la fin du XIXème siècle (A. Binet, V. Henri, Jastrow, Bourdon) pour lesquels le « génie » est un état particulier de la névrose, non seulement aussi du fait que l’analyse amalgame, parfois de façon tautologique, la personnalité psychique de l’homme, les théories naturalistes du roman et les œuvres de l’artiste, mais encore en raison des limites scientifiques qui caractérisent les types de questionnaires, encore balbutiants, qui font appel à l’introspection du sujet. Dans celui de Betts (1909), par exemple, relevant de la même école, et qui porte sur l’imagerie mentale, le sujet doit évaluer, sur une échelle en sept points, la vivacité de ses représentations mentales, selon 150 stimulus verbaux relatifs à plusieurs modalités sensorielles. L’enquête du Dr Toulouse suit en partie les mêmes dispositifs expérimentaux qui reposent parfois sur l’appréciation subjective et les témoignages de l’écrivain. Mais il faut reconnaître aussi, tout au long de l’examen, la relativité que le spécialiste ne cesse d’accorder à la fois à ses résultats et à leur interprétation :« Dès qu’on expérimente en psychologie, il y a tant d’éléments qui peuvent faire varier le phénomène que souvent on ne sait trop quelle conclusion tirer. » En outre, si la dérive qui assimile celui qui est et celui qui écrit affleure de temps à autre, il s’en distancie nettement dès le début :

Mais j’ai peu cherché une vérification de mes expériences dans l’œuvre du romancier, considérant cette manière de faire pleine de difficultés et de dangers pour moi.

Au bout du compte, l’étude du Dr Toulouse fournit des informations fiables et surtout réexploitables, notamment sur la mémoire, visuelle et auditive, de l’écrivain, sur l’usage de ses images mentales visuelles et sur les mécanismes psychiques de ses associations d’idées25. Relayée par les approches contemporaines de la cognition, cette enquête peut contribuer à l’approfondissement des mécanismes mentaux de conception dans les manuscrits du romancier. Il s’agit bien de proposer ici une lecture d’inspiration cognitiviste des avant‑textes de l’écrivain et d’ouvrir la critique génétique à d’autres concepts, sans forcer ni figer l’analyse.
De ce point de vue, la double question de la perception et de la conception de l’espace romanesque semble une entrée privilégiée dans l’approche cognitive de la création autant que dans celle d’une analyse différentielle des processus mis en œuvre, puisque, comme le rappelle T. Ohlmann, la perception de l’espace donne lieu, sur un plan général, à des différences interindividuelles importantes26. Et le psychologue de poursuivre en expliquant que deux raisons expliquent ces variations : la « prise de référentiels » et le « recodage de l’espace » . Notre démarche sera la suivante : rappeler dans un premier temps les mécanismes fondamentaux de la perception spatiale chez l’homme selon ces deux axes, et comprendre, dans un second temps, comment ceux‑ci sont susceptibles d’être réinvestis ou combinés de façon personnelle par l’écrivain, selon les contraintes formelles et les visées esthétiques de sa création.
La prise de « référentiel », qui permet à l’individu de savoir qui, de lui ou de son environnement se déplace, doit fournir deux types d’informations : premièrement, informer le sujet sur le déplacement de son corps par rapport à une position initiale (coordonnées égocentrées), ce que permettent six variables relevant de la rotation et de la translation, deuxièmement, identifier sa position par rapport à des repères spatiaux fixes de l’environnement (coordonnées allocentrées), ce que permettent les invariants directionnels, notamment liés à la pensanteur. La « verticale » unifie ces deux espaces, comme l’explique T.Ohlmann :

En effet, d’une part elle organise la posture maintenue au prix de réactions antigravitaires, d’autre part, avec l’horizontale, qui lui est nécessairement associée, elle constitue les références principales de l’espace continu où sont situés les objets et le sujet mobile.27

Du point de vue de l’espace égocentré, psychologues et physiciens de la fin du XIX ème siècle mettent en évidence, dans la perception spatiale, l’importance des facteurs posturaux (Aubert, 1861), le rôle de la vision (Wood, 1895) ou de la gravité (Mach, 1897). L’axe du corps, qui va de la tête au pieds, constitue, dans les trois cas, un référentiel primordial de la perception, en orientant et localisant les objets. Trois aspects essentiels, aussi chez Zola, dans la prise de notes des informations spatiales saisies sur les terrains d’enquêtes puis réécrites au propre, avant qu’elles ne nourrissent la représentation romanesque des lieux.
La critique zolienne a depuis longtemps mis en évidence l’importance des thèmes morbides associés à la « verticalité » chez Zola, que ce soit la chute, l’éboulement, l’enterrement vivant, tant dans son œuvre romanesque que dans ses propres cauchemars, qui, sur ce point ont tendance à se rejoindre : descente dans le puits du Voreux (Germinal), méprise sur le décès d’un homme enterré vivant (La Mort d’Olivier Bécaille), chute mortelle dans le vide (Naïs Micoulin)…28, mais, jamais encore, l’étude ne s’était engagée, à partir de cette prégnance thématique, à étudier le rôle de la verticalité – non seulement descendante mais aussi ascensionnelle ‑ dans la genèse des lieux, sur les plans cognitif et textuel. Or, l’axe vertical et la « translation » occupent des fonctions centrales dans la perception spatiale, au cours des enquêtes de terrain. La verticalité intervient ainsi dans la perception de l’agencement spatial et architectural, selon un étonnant processus de « montée » mentale et de concrétisation graduelles. Lors de la préparation de La Curée, Zola effectua en 1867 la visite approfondie de l’hôtel particulier du chocolatier Menier, à proximité du parc Monceau. Sa description suit une logique perceptive structurée par la verticalité, d’abord simplement en tant qu’axe de symétrie attaché au bâtiment, assurant une comparaison terme à terme de la façade et de l’arrière, selon des vues en plan régulières. Zola semble fasciné par les effets de miroir de ce décor théâtral en façade, côté « cour » et côté « jardin » :

[…] du côté de la rue, un perron de cinq marches ; du côté du parc, comme le jardin va en pente, un perron de dix marches. Du côté de la rue une grande marquise en verre, avec galeries dorées ; façade plate, un avant‑corps saillant ; de chaque côté cinq fenêtres. Du côté du jardin, avant‑corps rond […].29

Puis, cette figure élémentaire, maintenue dans la « mémoire de travail »30, dépasse une simple valeur d’axe et vient s’incarner dans la hauteur du bâtiment lui‑même pour régir la progression de la description, appliquée à la variation morphologique des fenêtres selon une vue en coupe cette fois‑ci :

Au rez‑de‑chaussée, les fenêtres sont à balustrades de pierre ; aux deux autres étages, elles sont en fer avec balcon. Les toits sont mansardés, ardoises, frontons et fenêtres très chargées de sculptures. 31

Le mouvement vertical de la vision s’achève logiquement sur le point le plus haut de la demeure : « Mansardes entourées d’une balustrade de pierre avec vases. Paratonnerre. »
Dans ce seul exemple, réitérable ailleurs, Zola développe nettement deux aptitudes perceptivo‑spatiales, si l’on se réfère à l’analyse factorielle qui organisent les différences interindividuelles dans le traitement des données figuratives. En repérant la verticalité de la maison, appliquée au motif sélectionné de la « fenêtre », il actualise le facteur « Souplesse de structuration », à savoir la capacité à repérer une forme encastrée dans une configuration visuelle structurée ; tandis qu’en procédant à la comparaison constrastive des deux façades, il met en évidence sa « Vitesse de structuration », c’est‑à‑dire, à l’inverse, la capacité à unifier un champ perceptif en un tout structuré. Dans les deux cas, l’esprit s’attache à mettre en forme la dialectique de la partie et du tout architectural. De façon toute personnelle, cette « vitesse » possède chez Zola une inertie de mouvement. La structuration « déborde » son objet et la verticalité vient s’imposer d’elle‑même dans le champ de vision périphérique qui entoure le lieu central, puis dans le discours qui verbalise la perception : « Un mur d’un hôtel voisin est couvert d’un treillis vert où grimpent de jeunes lierres ». En résumé, la verticalité, initialement simple axe statique de la description symétrique, est devenue ligne de mire rectrice du regard ascensionnel, avant de s’épanouir comme tropisme naturel dans le motif du lierre grimpant, rejoignant la symbolique des arborescences zoliennes. Ainsi, l’analyse cognitive de la perception spatiale introduit‑elle à l’approfondissement des motifs imaginaires de l’écrivain, dans la mesure où le processus rationnel et commun au genre humain dérive vers des configurations mentales toutes personnelles qui font l’empreinte psychique du créateur et de son texte. On pourrait, en reprenant un terme d’époque, parler de « l’impressionnabilité » mentale de l’écrivain devant le schème spatial de la verticalité et enrichir, par cette étude de cas, les recherches en imagerie mentale sur le  « buffer » visuel (S.M. Kosslyn, 198032). En aucun cas, ici, approche esthétique et approche cognitive de l’art ne s’affrontent. Au contraire, elles se complètent et se prolongent l’une dans l’autre.
Le troisième facteur, dénommé « Orientation spatiale », désigne la capacité à percevoir les transformations figuratives, soit par symétrie, soit, ce qui semble essentiel chez Zola, par rotation, touchant une configuration initiale. Chez l’écrivain précisément, la translation, qui effectue le mouvement vertical de l’œil le long d’un site urbain ou naturel à décrire, n’en reste pas là : elle est souvent complétée, en son sommet, par la rotation imaginaire, qui réalise le balayage du champ visuel surplombant. Le mouvement ascensionnel du regard devient ainsi le déclencheur cognitif d’une forme très spécifique de rotation mentale qui construit dans l’esprit des visions panoramiques « virtuelles » du paysage. Ainsi, après avoir décrit l’hôtel Menier dans sa verticalité, Zola poursuit immédiatement : « De l’hôtel, on voit le jardin en pente et les pelouses du parc Monceau ». Sur le plan de la motivation cognitive, c’est comme si le parcours ascensionnel de l’œil suscitait une pulsion scopique, curieuse d’imaginer ce que l’on peut bien voir de si haut, sorte de retournement du complexe d’Asmodée. En d’autres termes, chez Zola, l’œil ne saurait s’arrêter en si bon chemin : le pouvoir‑voir, que représente sa montée progressive vers le point élevé d’un bâtiment génère, inconsciemment, le vouloir‑voir panoramique. Ainsi, en avril 1891, lors de « son voyage à Sedan », au cours duquel il refait le chemin de l’armée française en 1870, Zola décrit‑il le château de Bellevue :

Le château de construction gothique a l’air d’un joujou, avec son corps central flanqué au centre d’une tourelle à cadran, reliés par des vérandas fermées à deux autres pavillons à poivrière, de même style, agrémentés aussi chacun d’une tourelle.

La verticalité, qui scande la description, et la symétrie architecturale « impressionnante » au sens physiologique, conditionnent, dans la foulée, la pulsion de voir : « La vue s’étend sur les deux vallées », sans que l’on puisse, pour autant, y retrouver de façon élaborée et consciente, les topoi habituels des dispositifs scopiques, tels que les motifs de la « fenêtre » ou du « balcon », si fréquents au XIXème siècle, dans la peinture impressionniste et le roman naturaliste . Même si la pratique scripturale du romancier et les codes de représentation esthétique constituent sûrement des connaissances préalables qui orientent ce processus visuel cognitif, son actualisation, qui relève quasiment du réflexe ou de l’obsession, reste un mécanisme d’origine mentale, et pas seulement rhétorique, qui doit être décrit en tant que tel . Ainsi, cette pulsion visuelle repose‑t‑elle sur une pratique très souple de la rotation mentale, processus cognitif mis en évidence par R.Shepard (1992), dont il est étonnant de remarquer qu’il est ainsi précédé d’une translation ascensionnelle du regard, qui peut même dépasser la hauteur du bâti33. Le romancier imagine souvent, à partir de sa position au sol et de ce qu’il voit réellement, ce que serait la vision d’un observateur virtuel placé en hauteur :

A droite, les trois beaux platanes au Pont‑Marie, la ligne confuse des quais jusqu’à l’Arsenal, dominée par le dôme de Saint‑Paul, et sans doute, de haut, par la colonne de juillet. 34  

Le regard « omniscient », comme placé dans une nacelle de ballon, résulte d’une sorte de prolongement scopique du mouvement oculaire montant et surtout d’une volonté quasiment haussmannienne de « percer » l’espace :

De la place de l’Hôtel de Ville, la vue reste la même, au fond vers Passy. Seulement l’horizon s’y ouvre davantage .

On monte aussi pour y arriver. Mais de là on voit mieux.

Le même mécanisme associant, selon une symétrie inversée, la vision en contre‑plongée d’une vue réelle et la vision dominante selon une vue virtuelle plongeante se retrouve dans les notes d’enquêtes de L’Argent, lorsque Zola décrit la Bourse. Il débute par le péristyle et les colonnes, poursuit par l’acrotère, continue l’ascension visuelle du bâtiment jusqu’au toit :

En haut, les quatre vastes pentes de zinc de la toiture, hérissées de cheminées, tuyaux de tôle ; puis la rampe carrée, qui entoure le vitrage. 35

Puis l’image concrète du palais bascule vers son image mentale, la vision par le bas s’inverse en vision plongeante, abstraite et spéculative, qui résulte de la faculté de l’écrivain à produire de l’imagerie visuelle, à fabriquer des visions possibles ou probables de ce qui échappe à sa perception d’homme cloué au sol: « Vu de haut, le cube du monument, haut sur les marches, nu, sévère, laid. » On remarquera au passage comment la prise de hauteur, même strictement mentale, conduit à la stylisation géométrique. Le même processus se retrouve dans les manuscrits iconiques : lorsque Zola élabore le croquis de la topographie générale d’un roman, les tracés se régularisent, s’épurent et se schématisent, l’esquisse se fait structurelle, tandis que la focalisation progressive sur les intérieurs ou le mobilier se chargent de détails.
Trois aptitudes majeures doivent donc être mises en relief dans ce processus perceptif / conceptuel, cognitif / textuel et réaliste / virtuel36 : d’abord l’opération de dédoublement, puisque l’écrivain se projette mentalement sur un point d’observation atteignable ou inatteignable, ensuite les opérations de transposition visuelle, puisqu’il parvient à transformer les coordonnées spatiales initiales d’un premier référentiel au sol dans le second, placé en hauteur, enfin l’opération inconsciente qui diffuse le schème de la verticalité dans le contexte discursif proche. Ce processus de « délocalisation » perceptif s’impose dans de nombreuses formules, tant dans les notes d’enquêtes  relatives à un passage urbain: « L’impression du trou, d’en haut, et l’impression de la montée d’en bas »37, que dans les pensées d’un personnage « se voyant se voir », successivement en haut et en bas d’un grand escalier, par exemple :  « […] elle eut la curiosité de se pencher au‑dessus de la rampe ; maintenant c’était le bec de gaz d’en bas qui semblait une étoile, au fond du puits étroit des six étages […] ».38
La première opération, en dépit d’une profusion des pronoms de la première personne dans les notes d’enquêtes, n’est pas si rare : il arrive que l’écrivain  se dédouble dans un « moi » vicariant à la troisième personne, comme c’est le cas lors de ses pérégrinations au milieu des Halles de Baltard, en 1872, un paysage urbain où s’entremêlent les grands carrefours, issus des travaux d’Haussmann, et les marchandises déchargées au bord des trottoirs :

Un homme assis du côté de la rue Saint‑Denis, et tournant le dos à cette rue, aurait à sa gauche des marchands de cordages, un marchand de balances […], en face de lui, le marchand de Godiveaux, la grande maison de commission Decugis ; à sa droite, des maisons vieilles, étroites et hautes […].39

Quant à la deuxième opération, de nombreux exemples fournissent la preuve que ces vues surplombantes ne sont pas le résumé d’une vision réelle mais bel et bien le résultat d’un traitement imaginaire d’une image‑source, selon des principes mentaux, puis fictionnels, de recodage. Mentaux d’abord. Lorsque Zola règle, dès les notes d’enquêtes de La Bête humaine, la maison de l’impasse d’Amsterdam où logeront Séverine et Roubaud, il est aisé de constater que la vision, loin de s’appuyer sur l’observation minutieuse du paysage qui aurait contraint le romancier à visiter l’immeuble, résulte en réalité d’un retraitement verbal et cognitif d’une première description. Depuis les quais de la gare Saint‑Lazare, Zola enregistre toutes les données sensorielles liées au départ des trains : la « ligne éclairée » des portières, « l’éventail des rails », les machines qui, « sous la marquise », attendent qu’on leur ouvre la voie pour retourner au dépôt. Puis, immédiatement, il s’occupe du logement des Roubaud et du décor qu’ils seraient sensés voir de leur fenêtre. En fonction des données angulaires du champ, de la position de l’observateur virtuel, des données topographiques qu’il vient juste de noter, son esprit bâtit une représentation virtuelle et probable de la vision qu’aurait son personnage :    

Le logement où je mettrai les Roubaud est dans une maison de l’impasse, à droite. Les fenêtres au troisième, donnant sur la cour couverte des messageries : mais, au‑delà, elles s’étendaient sur tout l’espace découvert, sur l’éventail des rails, et même, en plongeant de biais, sous la marquise couverte des voyageurs. On pouvait voir la tête des trains. 40

Le jeu très net de la réécriture terme à terme, dont les choix verbaux montre qu’elle se rallie à l’imagination narrative, montre bien que cette description n’émane nullement d’une observation réelle, comme l’y engagerait la théorie du Roman expérimental, mais d’une manipulation sémiotique portée par le mécanisme de la rotation mentale. Enfin, des plans détaillés au roman, l’écrivain ajuste, en fonction d’autres critères, relevant de l’illusion romanesque, les données spatiales de cette vision ébauchée : il s’agit dorénavant, par l’écriture, de stimuler, chez le lecteur cette fois‑ci, le mécanisme de la vision mentale qui lui donnera à « voir » le paysage. De fait, le texte naturaliste est tout particulièrement enclin à produire de l’imagerie mentale, non seulement pour des raisons propres à son esthétique « réaliste » mais aussi afin ancrer le roman en profondeur dans la mémoire collective : pour ce faire, la maison gagne deux étages et des fenêtres mansardées au cinquième, afin de répondre vraisemblablement à l’amplification rhétorique du panorama urbain agrandi vers les horizons lointains de la banlieue. L’empan visuel s’ouvre de même par le truchement de dispositifs angulaires annulant les angles morts :

La fenêtre, au cinquième, à l’angle du toit mansardé qui faisait retour, donnait sur la gare, cette tranchée large trouant le quartier de l’Europe, tout un déroulement brusque de l’horizon, que semblait agrandir encore, cet après‑midi‑là, un ciel gris du milieu de février, d’un gris humide et tiède, traversé de soleil. 41  

Cette propension à l’élévation du point de vue, sorte de complexe aérien de la poussée scopique, mérite d’être couplé aux thèmes d’enfouissement dans le monde chthonien et articulé aussi aux mécanismes cognitifs de la perception spatiale.
Enfin, la troisième opération, qui révèle que la « verticalité » porte son ombre sur le discours, semble particulièrement propre à Zola, et pourrait sans doute être étendue à d’autres figures spatiales, à la fois structurantes et génératives. L’exemple du reportage à Passy pour Une page d’amour, que mena l’écrivain en 1877, afin de prendre des notes sur les panoramas parisiens, illustre particulièrement bien la pesée cognitive et psychique de la ligne verticale sur la perception des lieux, à condition de se munir de la totalité des manuscrits qui en constituent le programme. En effet, Zola avait généralement l’habitude de noter sur des calepins au crayon ses impressions prises sur le vif, avant de les recopier au propre et à l’encre. Or, ce sont les ultimes versions, mises au net qui sont le plus souvent éditées et citées, tandis que les brouillons, perdus, détruits ou restés éparpillés dans le dossier préparatoire, ne suscitent pas l’intérêt de la critique. « Mises au net » n’est pourtant pas l’expression la plus appropriée : la réécriture supporte des séries de transformations touchant la cohérence du tableau, la fonctionnalité narrative et, plus surprenant, l’ « objectivité » du discours ethnographique d’enquête, selon une forme de polissage qui évacue les traces les plus personnelles de la subjectivité dont font partie les perceptions spatiales. Sans doute, faudrait‑il mieux alors parler de « recognition », puisqu’il s’agit bien de « repenser » la note comme un système de signes et de valeurs devant respecter les contraintes de la spatialité romanesque. Ainsi, les versions au propre publiées dans les Carnets d’enquêtes effacent‑elles la logique primitive du parcours spatial, le détail anodin, le motif récurrent des calepins, en recomposant et filtrant le reportage selon des règles textuelles de mise en ordre thématique. Or, ce qui disparaît précisément dans le cas d’Une page d’amour, c’est la prégnance quasiment pathologique de la verticalité. Dans le premier jet de la perception, la rentabilité visuelle tournée vers l’horizon, si développée dans la version expurgée, est minée par l’inquiétude du gouffre, que procure ce village perché au‑dessus de Paris :

La rue Vineuse descend dans Passy et s’ouvre en haut sur le vide du Trocadéro, elle aboutit à pic sur la place, et Paris est là‑bas.

Ce passage disparaît totalement lors de la réécriture, remplacé par un laconique « on voit la plaine de Grenelle », comme disparaissent à la fois les harmoniques obsessionnelles, « La pente vide au sortir de la rue Franklin, à droite. La rue Vineuse est plus haute », et les métaphores suggérées par les perceptions spatiales  :

Les passants et les voitures (omnibus jaune) des fourmis en bas sur le quai puis au loin on les distingue même plus.

La profusion des monuments, minutieusement nommés et repérés, qui emplissent le paysage parisien dans les notes finales, éliminent les horizons bouchés et l’effet de « cachot » primitif: « Par un temps gris, les maisons sont petites et se perdent, tout est noir42»  En résumé, sans doute le sentiment de vertige, dont souffrait Zola et qui se prolonge au fil du reportage à Passy, explique‑t‑il le rôle créatif de la verticalité dans le système perceptif de l’écrivain et ses rapports à la vision. La « Force créatrice » du génie est ce par quoi cette sensation dysphorique, vécue et censurée, se recycle en une « Œuvre de chair », dont la genèse nous a ouvert les sensations secrètes, esthétisées et adoucies dans le roman:

Les deux fenêtres de la chambre étaient grandes ouvertes, et Paris, dans l’abîme qui se creusait au pied de la maison, bâtie à pic sur la hauteur, déroulait sa plaine immense. Dix heures sonnaient, la belle matinée avait une douceur et une odeur de printemps. 43

Les impressions de chute dans le puits de la fosse Renard, que Zola avait exploré en février 1884 pour écrire Germinal, prennent alors une toute autre résonance :

La descente commence. Au jour, quand on voit, sensation d’enfoncement, de fuite sous vous, par la disparition rapide des objets. Puis une fois dans le noir, plus rien. Monte‑t‑on, descend‑on ? Par moments, il semble qu’on monte. 44

Dès lors, ne faudrait‑il pas identifier une forme d’association psycho‑cognitive, ouvrant sur l’imaginaire zolien et combinant le degré de luminosité, la verticalité spatiale, et l’inquiétante sensation d’un vacillement, qui puisse prendre des accents expressionnistes intenses ? On pourra relire alors ce tableau saisissant du « Paris qui s’allume », initialement prévu pour L’Œuvre, à la lumière des perceptions mentionnées précédemment :

Prendre l’effacement de tout dans la nuit. Les monuments, du rêve blanc, tombent à une masse sombre, les maisons deviennent des blocs noirs sur la pâleur du ciel, l’ombre semble être montée du pavé et a noyé d’encre jusqu’au toit ; les arêtes des faîtes, des gouttières, des cheminées qui se détachent. Le ciel est encore pâle, que la nuit des façades est complète. En bas, la rue est jaune de gaz, par nappes inégales. Les lumières, partout avivées, ont pris des scintillements d’astres, dans un ciel noir –dans les boutiques, aux fenêtres, au loin des avenues .45

Ces exemples montrent comment le « corporel » et le sensori‑moteur – matérialisés ou non dans le texte par un corps réel – orientent le travail cognitif de l’acte créateur. Dans ce dernier exemple, c’est encore la verticalité gravitationnelle, la perception lumineuse et le vertige qui conduisent la vision imaginaire. Le repérage de ces invariants chez Zola alimente, par le biais de la création artistique, les études qui, nuançant l’hypothèse cognitiviste assimilant la pensée au calcul, mettent en évidence l’enracinement de notre système conceptuel dans l’existence corporelle et terrestre. Si le corps est dans l’esprit, l’esprit, aussi, est dans le corps :  avec sa relation au monde spatial qui l’entoure, il est un lieu d’ancrage pour l’activité mentale. L’écrivain naturaliste en avait déjà l’intuition forte, lorsqu’il répondait à la psychologie « spiritualiste » de Jules Lemaître, à propos de Germinal :

J’accepte très volontiers votre définition : « Une épopée pessimiste de l’animalité humaine », à la condition pourtant de m’expliquer sur ce mot « animalité ». Vous mettez l’homme dans le cerveau, je le mets dans tous ses organes. Vous isolez l’homme de la nature, je ne le vois pas sans la terre, d’où il sort et où il rentre.46

Comment penser une approche esthétique cognitive de l’art qui, d’un côté, ne réduise pas la créativité à un pur acte de raison soumis à la seule intelligence calculatoire et qui, d’un autre, dépasse la vision sacralisante de l’esthétique moderne, pour laquelle la création artistique ne peut être ni comprise, ni enseignable, ni formalisable en termes de règles et de procédures, sous prétexte qu’elle serait l’expression d’une intériorité d’artiste et d’un génie insondable ? Les approches différentielles de la psychologie et l’approche cognitive de la création, en dégageant des profils et des procédures, sont susceptibles d’apporter aux littéraires des modèles formels de mécanismes mentaux en jeu aussi dans l’acte créateur, mais que chaque artiste redéploie en fonction de ses styles cognitifs, sa physiologie, sa personnalité au point même de les démonter, de les inverser, de les complexifier. Le modèle ne saurait être dissocié du repoussoir, le système de l’anti‑système, la raison apollinienne du délire dionysiaque, la règle aristotélicienne de la vision kantienne de la transcendance artistique. Mais rien ne devrait interdire l’exploration des deux faces de la pensée créatrice. En postulant l’existence d’un continuum entre « l’écrivant » et l’écrivain, le rédacteur débutant et le « super expert », la psychologie cognitive éreinte quelque peu les conceptions néo‑kantiennes qui opposent aux degrés de complexité des mécanismes mentaux de rédaction la fracture qui sépare, selon eux, la simple créativité propre à tout homme et l’acte supérieur de création artistique.
À travers l’étude ponctuelle de la « verticalité » dans tous ses états, les manuscrits d’un Zola permettent de révéler les interactions entre la perception et la conception spatiales, les niveaux mentaux et sémiotiques du « traitement de l’information » qui, pas à pas, construisent la spatialité romanesque et font passer des données humaines générales à l’empreinte personnelle, tant mentale que textuelle d’un artiste. Chez Zola, le facteur « souplesse de structuration », dans la genèse de l’espace, semble dominant dans la phase de documentation topographique sur le terrain. Il capte visuellement et capture sur le papier des configurations remarquables qu’il isole du reste d’un décor urbain. La focalisation perceptive et analytique de la métonymie spatiale sera, plus tard dans les Plans détaillés, soumise au travail de coordination, à une « vitesse », plus ou moins variable, de « structuration d’ensemble ». Toutefois, un facteur nouveau est apparu dans le contexte génétique: « La durée d’impressionnabilité », qui autorise une figure à peser, au‑delà du calcul conscient et jusqu’au roman publié, sur la structure de la perception autant que sur le circuit de la conception. Perception durative et prolongée, qui mériterait des analyses plus amples, notamment sur les rapports entre « mémoire de travail » et « mémoire à long terme », puisque le processus perceptit créateur mis en évidence relève des deux. Elargie à d’autres problématiques génétiques, la cognition serait susceptible d’aider les études littéraires à mieux saisir le cheminement mental d’un écrivain, à pister ses états et ses processus mentaux au cours de l’acte créateur, dans la mesure où elle se donne réciproquement les moyens intellectuels de les accueillir sur son propre terrain épistémologique.

1  ‑Pour un panorama d’ensemble des objectifs et des méthodes de la critique génétique, voir A.Grésillon, Eléments de critique génétique. Lire les manuscrits modernes, Paris, PUF, 1993 et P.M. de Biasi, La Génétique des textes, Paris, Nathan, 2000

2  ‑H. Mitterand, « Avant‑propos », in Leçons d’écriture, ce que disent les manuscrits, Paris, Minard, 1985, p.13

3  ‑P.Valéry, Cahiers, Editions du CNRS, tome II, 1957‑1961, p.356.

4  ‑P.Valéry, Cahiers 1894‑1914, Gallimard, Paris, tome I, 1987, p.247.

5 ‑ D. Andler, Encyclop. Univ. , 1989. Voir aussi, sous la direction du même auteur, Introduction aux sciences cognitives, Folio, Gallimard, Paris, 1992.

6  E.Toulouse, Enquête médico‑psychologique sur les rapports de la supériorité intellectuelle avec la névropathie. I‑Introduction générale, Emile Zola, Société d’éditions scientifiques, 1896.

7  ‑M.Borillo ; J.P. Goulette, « La création comme objet de connaissance », in Cognition et Création. Explorations cognitives des processus de conception, Bruxelles, Mardaga, 2002, p.9

8  ‑E.Hunt, Frost N., Lunneborg C., « Individual differences in cognition : a new approach to intelligence, in The psychology of learning and motivation : advances in research and theory, vol.7, New York, Academic Press, 1973. Au sujet de la mémoire, M. Denis explique ce à quoi peut renvoyer la notion de « style cognitif » : « Il est, de fait, envisageable, qu’une même information soit inscrite en mémoire sous des formes « alternatives », dont l’utilisation est fonctions des contraintes cognitives de la situation, de la nature des objectifs à atteindre, mais aussi de caractéristiques individuelles (que reflète partiellement la notion de « style cognitif ») ». , Image et Cognition, Paris, PUF, 1989, p. 31.   

9  ‑M. Reuchlin, « Introduction », in Cognition : l’individuel et l’universel , Paris, PUF, 1990, p. 12

10  ‑A.Binet, « La Psychologie individuelle », L’Année psychologique, 1896, p.417.

11  ‑M. Denis, « Approches différentielles de l’imagerie mentale » in Cognition : l’individuel et l’universel, op. cit. p. 113. Ces notions de « clairvoyance », de « préférence » et « prédisposition » cognitives pour l’imagerie contribue aussi à définir un « style cognitif », c’est‑à dire un système de différenciation entre les individus.

12  ­‑ A.N. Katz, « What does it mean to be a high imager ? » in Imagery, Memory and Cognition : Essays in honor of Allan Paivo, Hillsdale, NJ, Lawrence Erlbaum Associates, p.39‑63.

13  ‑Voir P. Hamon, Imageries, littérature et image au XIXème siècle, Paris, Corti, 2002

14  ‑Pour une étude linguistique des prépositions spatiales, voir C.Vandeloise, L’Espace en français, Paris, Seuil, 1986.

15  ‑J.A.Waterworth, « Conscience, Action et Conception de l’Espace Virtuel : relier les technologies de l’information, l’esprit et la créativité humaine », in Cognition et Création, op.cit., p. 130.

16  ‑Des études ont montré que certaines personnes, habituées aux tâches intellectuelles, se servaient de l’espace physique pour mettre en « attente » des assemblages d’idées reliées de façon indéfinie. On pourra mettre en rapport cette pratique de l’espace mental avec celle de l’espace graphique dans la recherche architecturale, où l’espace topologique des « voisinages » offre une souplesse d’agencement des lieux ; Voir J.C.Lebahar, Le Dessin d’architecte : simulation graphique et réduction d’incertitude, Parenthèses, Roquevaire, 1983.   

17  ‑D.Gaonac’h, « La mémoire : variabilités inter‑ et intra‑individuelles », in Cognition : l’individuel et l’universel, op.cit., p. 146.

18  ‑Voir la conférence de D. Alamargot à l’Ecole thématique de critique génétique (IMEC‑CNRS, Abbaye d’Ardennes, 23 septembre 2004), dans laquelle il présente les principales méthodes expérimentales de pointe (calculs des temps de pause, mouvements oculaires…) qui permettent de décrire avec une très grande précision les traitements rédactionnels chez le scripteur. Pour une synthèse des travaux sur les approches cognitives de la production écrite depuis une vingtaine d’années, voir  D.Alamargot et L. Chanquoy, « Les modèles de rédaction de textes », in Production du langage. Traité des sciences cognitives (M.Fayol éd.), Paris, Hermès, 2002, p.45‑65.

19  ‑Hugo écrit dans son testament autographe : « Je donne tous mes manuscrits, et tout ce qui sera trouvé écrit ou dessiné par moi à la bibliothèque nationale de Paris, qui sera un jour ? la Bibliothèque des Etats‑Unis d’Europe ». Codicile de 1881 (Archives nationales, Et. Liasse 1748).  

20  ‑Emile Zola, Œuvres Complètes, Cercle du livre précieux, tome 12, p.707‑708

21  ‑Lettre à J.K. Huysmans, du 20 mai 1884, O.C., tome 14, p. 1434.

22  ‑H.Taine, De l’intelligence, Paris, Hachette, 1870, « Préface », p.14. Flaubert écrivit à Taine : Mes personnages imaginaires m’affectent, me poursuivent, ou plutôt c’est moi qui suis en eux. Quand j’écrivais l’empoisonnement d’Emma Bovary, j’avais si bien le goût d’arsenic dans la bouche, j’étais si bien empoisonné moi‑même, que je me suis donné deux indigestions très‑réelles, car j’ai vomi tout mon dîner .», p. 90, « Nature et réducteurs de l’image ». 

23  ‑Hertel P.T., Cosden M., Johnson P.J., « Passage recall : schema change and cognitive flexibility, Journal of Educational Psychology, 1980, 72, p.133‑140. Voir aussi Michel Fayol pour une étude de la mise en fonctionnement des règles dans le système cognitif, Des idées au texte, Paris, PUF, 1997.

24  ‑E.Toulouse, op.cit., p. 187.

25  ‑Le projet scientifique de Toulouse absorbe aussi, sans doute, le projet, latent et refoulé chez Zola, d’écrire sa propre autobiographie. Comme l’écrit Jacqueline Carroy : « […] l’ouvrage de Toulouse confortait un projet plus proprement littéraire de Zola : faire mieux et plus que Rousseau, entreprendre une autobiographie à deux, objectivée et authentifiée par la science, et la publier non pas à titre posthume mais de son vivant », « Les confessions physiologiques d’Emile Zola », in Zola, BnF / Fayard, 2002, p.151.  

26  ‑T.Ohlmann, « Les systèmes perceptifs spatiaux vicariants » in Cognition : l’individuel et l’universel, op.cit., p. 21‑58.

27  ‑Ibid., p.27.

28 ‑ Voir par exemple J. Ripoll, Réalité et mythe chez Zola, Paris, Champion, 1981 ou Jean Borie, Zola et les mythes ou de la nausée au salut, Paris, Seuil, 1971. Sur le plan biographique des cauchemars et des angoisses de Zola, voir H.Mitterand, Zola, Paris, Fayard, (trois tomes), 1999‑2002.

29  ‑Emile Zola, Carnets d’enquêtes. Une ethnographie inédite de la France, établis par H. Mitterand, Plon, 1986, p.27‑28.

30 ‑La cognition distingue la mémoire à court terme (MCT) et la mémoire à long terme (MLT). La première, de faible portée, voit son contenu se renouveler constamment. La seconde, plus stable, persiste dans le temps. G.Sabah distingue la MCT, mémoire consciente réduite, et la « mémoire de travail », subliminaire et plus large. Voir G.Sabah, « Les rôles respectifs des processus conscients et des processus subliminaux pour l’interprétation du langage et de la musique », in Cognition et Création, op.cit., p. 356.     

31  ‑Ibid.

32  ‑Pour Kosslyn, l’image mentale visuelle est conçue comme une représentation analogique de l’objet. Celle‑ci est enregistrée sur un support appelé « buffer visuel », qui posséderait toutes les propriétés d’un espace coordonné . Voir S.M. Kosslyn, Image and mind, Cambrige, MA, Harvard University Press, 1980.  

33  ‑Zola met ainsi au service de sa créativité les processus cognitifs qui s’appliquent à des représentations afin de leur faire subir des transformations physiques. Dès 1975, Shepard fait l’hypothèse que l’individu active une procédure qui lui permet d’exécuter mentalement la rotation qui pourrait être appliquée à l’objet réel. Voir R.Shepard, L’Œil qui pense.Vision, illusions, perceptions, Paris, Seuil, 1992.

34  ‑Emile Zola, Carnets d’enquêtes, p. 278.

35  ‑Ibid., p.54.

36  ‑En psychologie cognitive, un processus est conçu comme un ensemble d’opérations cognitives fonctionnellement reliées entre elles. Ici, le processus étudié est celui de la « production d’images virtuelles » : quels sont leur mode de génération mentale et leur traitement discursif dans le manuscrit puis le roman ?

37  ‑Emile Zola, Carnets d’enquêtes, p. 42.

38  ‑R.M., La Pléiade, tome II, p.423

39  ‑E. Zola, Carnets d’enquêtes, p.54.

40  ‑Ibid.

41  ‑E.Zola, Les Rougon‑Macquart, Pléiade, tome IV, p. 997.

42  ‑Le reportage se trouve dans le dossier préparatoire, B.N., Ms., NAF 10318, f°165‑173.

43  ‑R.M., tome II, p.845.

44  ‑Emile Zola, Carnets d’enquêtes, p. 458.

45  ‑Ibid., p. 294.

46  ‑R.M., tome III, p.1869