Nota : Cet article constitue l’aboutissement d’une recherche amorcée par Philippe Artières dans le cadre d’une bourse postdoctorale de l’ANRS, poursuivie conjointement et présentée ensemble pour partie le 27 mai 2000 dans le cadre du séminaire « Genèse et autobiographie » de l’ITEM animé par Catherine Viollet et PhilippeLejeune.

Introduction

Le 30 janvier 1992, était diffusé, sur la chaîne française de télévision TF1, La Pudeur ou l’impudeur, un film réalisé par l’écrivain et photographe Hervé Guibert, malade du sida et décédé des suites d’une tentative de suicide un mois plus tôt à l’âge de trente-six ans. A posteriori, ce film constitue un événement, et ce pour deux raisons. D’une part, dans l’histoire du cinéma contemporain, il inaugure un rapport fécond du cinéma à l’autobiographie que poursuivront No sex last night de Sophie Calle, Demain et encore demain de Dominique Cabrera, La Rencontre d’Alain Cavalier, ou encore Omelette de Rémi Lange. L’autobiographie ne se limite plus à être la source d’inspiration du cinéaste, mais devient la matière et la forme mêmes du film1. D’autre part, dans l’histoire du sida, Guibert est l’un des premiers à faire du VIH le sujet d’un film et à placer un malade au cœur de celui-ci2. Par ailleurs, il faut souligner que La Pudeur constitue la seule œuvre cinématographique de l’auteur, alors même qu’il s’agit pour Guibert d’un rêve d’adolescence qu’il n’aura de cesse de vouloir réaliser.

La conception du film intervient pendant les deux dernières années de vie de Guibert, à la fin de la rédaction du Protocole compassionnel et avant celle de L’Homme au chapeau rouge3. Le film, d’une durée de 56 minutes, met en scène l’écrivain, « un jeune homme maigre », comme l’écrit le critique Gérard Lefort dans l’article qu’il lui consacre dans Libération à l’occasion de sa diffusion4. Construit à partir d’un ensemble de séquences principalement tournées en 1990, Guibert s’y montre dans de multiples situations, y compris parmi les plus intimes : chez lui, dans son appartement de la rue Raymond-Losserand, seul, au téléphone, sous la douche, aux toilettes ou allongé sur la table du masseur ; en visite chez ses grand-tantes, en consultation à l’hôpital ou sur la table d’opération ; en vacances à l’île d’Elbe, dans la maison de l’un de ses amis, sur la plage ou en voiture. Ces tranches de vie d’un malade sont complétées par des entretiens avec plusieurs témoins plus ou moins proches : ses grand-tantes, une amie, son médecin. Ce film d’une extrême dureté, Guibert allant jusqu’à interpréter son suicide, apparaît comme une forme de testament de l’écrivain.

Expérience unique dans la production de Guibert, La Pudeur demeura longtemps un mystère. Malgré les nombreux passages du Protocole qui y font référence, l’existence réelle du film resta en effet confidentielle jusqu’à sa diffusion. Le rapport singulier avec la vérité qu’entretenait l’écrivain dans ses ouvrages contribua à brouiller les pistes : tant les critiques que les lecteurs purent croire que le film n’existait pas véritablement et qu’il s’agissait seulement d’un élément inventé pour nourrir l’autofiction5. L’annonce de son existence lors d’une émission de télévision sur Antenne 2, début janvier 1992, par un journaliste du Nouvel Observateur, Jean-François Josselin, fut par conséquent une surprise et déclencha, avant même que le film ne fût diffusé, un vif débat, en particulier entre la direction de TF1 et le Conseil national du sida, présidé alors par l’anthropologue Françoise Héritier-Augé6. En dépit du travail des critiques universitaires, dont notamment celui de Jean-Pierre Boulé7, nombre de points relatifs à la genèse de La Pudeur restent encore obscurs. Quelle fut donc l’histoire de cette œuvre singulière dont l’écrivain est « à la fois l’auteur et le sujet », pour reprendre les termes utilisés par le narrateur dans Le Protocole8?

Deux difficultés se posent d’emblée pour entreprendre l’investigation génétique du film. Tout d’abord, il faut souligner que les études de genèse cinématographiques sont rares, contrairement aux nombreux entretiens accordés par les réalisateurs sur leur travail, et difficiles à mener dans la mesure où, en particulier, la plupart des archives de film ne sont pas conservées9. Par ailleurs, bien que l’on sache, grâce aux photographies prises par Guibert de ses propres manuscrits10, qu’il réécrivait largement ses textes, les seuls documents d’archives consultables à ce jour sont des mises au net, qui ne rendent pas compte du processus d’écriture. On notera à ce propos que les recherches menées sur Guibert n’ont jamais porté, à notre connaissance, sur la genèse de ses œuvres11. Aussi notre approche de La Pudeur n’a-t-elle pu s’appuyer sur des travaux similaires, ni dans le champ des études cinématographiques, ni dans celui de la critique guibertienne.

Pour rendre compte de la genèse de ce film, qui s’étend sur moins d’une année, de la mi-juillet 1990 à la fin février 1991, on dispose néanmoins d’un vaste ensemble de documents, qui comprend non seulement le discours tenu par l’écrivain sur la réalisation du film, mais aussi, cas exceptionnel pour Guibert, d’archives significatives tant sous forme vidéo que papier.

Le métadiscours de l’écrivain se compose des épisodes relatifs à la genèse du film, inclus dans Le Protocole et relatés dans son journal personnel, publié par Christine Guibert dix années après sa mort sous le titre Le Mausolée des amants12, ainsi que du paratexte principalement constitué par un entretien accordé à l’écrivain Christophe Donner en février 1991. Quelques mois après sa mort, la revue La Règle du jeu publie en effet un entretien inédit de Guibert dans lequel l’écrivain évoque longuement le film et s’explique en particulier sur la relation qu’il établit, pour son travail, entre la vidéo et l’écriture littéraire13. On dispose en outre du volumineux dossier de presse consécutif à la diffusion de La Pudeur, dont notamment un dossier publié par Libération qui comprend deux entretiens avec la productrice et la monteuse, Pascale Breugnot et Maureen Mazurek14.

À ce corpus publié, il faut ajouter l’ensemble important que constituent les archives du film, conservées à l’Institut Mémoire de l’Édition contemporaine (IMEC) et par Maureen Mazurek, que nous avons rencontrée en septembre 200215.

La totalité du dossier génétique, auquel manquent les archives de la production, se compose donc des éléments suivants :

  • 1) 26 cassettes vidéo numérotées déposées à l’IMEC, portant chacune une étiquette où sont inscrits, de la main de Guibert, les titres des séquences filmées et les dates de tournage.

  • 2) 2 pages manuscrites, remises à Maureen Mazurek et intitulées : « hervé guibert – “La Pudeur ou l’impudeur”. Premier plan de montage / 19/12/90 / 90 minutes. »

  • 3) 2 cassettes U-matic déposées à l’IMEC, constituant un premier montage du film.

  • 4) 1 ensemble de notes manuscrites prises par Maureen Mazurek pendant le montage et le mixage du film, comprenant notamment les prémontages du film et des copies d’extraits d’ouvrages et du journal personnel de Guibert.

  • 5) 1 exemplaire du Protocole dédicacépar Guibert à Maureen Mazurek.

I. De la commande au tournage

Le 16 mars 1990, Hervé Guibert participe à « Apostrophes » pour la sortie de son livre, À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie16. Roman à clefs mettant en scène plusieurs figures du monde intellectuel et artistique, l’ouvrage, qui compte parmi les premières fictions autour du sida, connaît, suite au passage télévisuel de l’écrivain, un succès public qui ne fera que se confirmer avec les années17. Guibert déclare alors devant les caméras d’Antenne 2, comme dans plusieurs autres entretiens, ne plus vouloir écrire à propos de sa maladie18. Pascale Breugnot, une productrice de télévision qui développe alors un nouveau concept de programme télévisuel basé sur le vécu des personnes et recourant massivement aux témoignages, est frappée par la beauté et la personnalité provocatrice de l’écrivain19. Plusieurs mois après la diffusion de l’émission de Bernard Pivot, elle prend contact avec Guibert et lui propose de faire un film dont il serait la matière et le réalisateur.

Pourquoi Guibert ? Outre le fait qu’il soit photographe et ait déjà travaillé avec des cinéastes, Pascale Breugnot justifie ainsi son choix : « D’abord, parce que la liberté de ton et de parole de ses livres m’incitait à penser qu’il ferait un document plus juste, plus précis, plus rigoureux et plus informatif que le témoignage d’autres personnes plus timorées. […] Enfin, du point de vue d’une personne qui travaille avec le grand public, je pensais que venant de quelqu’un de cet âge et d’une grande beauté, les images et les propos qu’il tiendrait seraient vus et entendus avec beaucoup d’attention, qu’il serait formidable d’alléger le récit de choses aussi dures par la beauté de son visage, qu’il rendrait l’information accessible et que les gens le verraient plus facilement20. »

En juillet 1990, l’écrivain, après avoir hésité plusieurs semaines, accepte l’offre de la productrice, sans pour autant signer un contrat d’engagement avec elle. Pour Guibert, la création cinématographique a toujours constitué un idéal difficilement accessible, comme il le note dans son journal : « Moi, j’écris, sans trop de regrets, mais j’enrage du cinéma21. » Dès son arrivée à Paris, il avait en effet présenté le concours de l’IDHEC, auquel il n’avait pas été reçu ; à la fin des années soixante-dix, il co-écrivait avec Patrice Chéreau le scénario et les dialogues de L’Homme blessé, qui reçut en 1984 le César du meilleur scénario original22, sans participer davantage à la réalisation de ce film sorti en 198323. Par la suite, Guibert conçut un scénario pour Isabelle Adjani à partir de l’histoire d’Herculine Barbin, un hermaphrodite du xixe siècle dont les souvenirs avaient été republiés par Michel Foucault en 197924, mais malgré ses efforts, le film ne put se faire25. L’écrivain continue néanmoins de rêver à réaliser son propre projet ; il envisage ainsi de faire un film sur ses grand-tantes Suzanne et Louise, auxquelles il a déjà consacré un roman-photo publié en 198026, ainsi qu’une pièce de théâtre, qu’il a lue en 1977 au Festival d’Avignon, lecture dont il a lui-même rendu compte dans les colonnes du Monde. Ce désir de cinéma le conduit à accepter de se livrer à l’expérience que lui propose Pascale Breugnot.

À cette fin, elle met à sa disposition une caméra vidéo amateur, du type des caméscopes alors commercialisés, aisément manipulable, dotée d’un zoom et de deux pieds. Guibert n’ayant jamais utilisé ce genre de matériel, la qualité des images pâtira non seulement du type de matériel choisi mais aussi de cette méconnaissance technique, qui obligera par exemple l’écrivain à filmer de nouveau une séquence. Il s’agit de l’interview de sa grand-tante Suzanne, qu’il reprendra en août, après l’avoir réalisée une première fois en juillet, et s’être aperçu en fin de tournage qu’elle n’avait pas été enregistrée27. Il arrive aussi parfois que Guibert filme involontairement certaines images, après avoir appuyé inopinément sur la touche d’enregistrement, par exemple lors de son second séjour à l’île d’Elbe.

C’est donc à la mi-juillet 1990 que Guibert tourne les premiers plans de ce qui deviendra La Pudeur. On peut ainsi lire dans Le Mausolée : « Dimanche 22 juillet, dix heures trente du matin avec le masseur, j’ai commencé la vidéo28. » C’est un récit plus développé que Guibert livre au lecteur dans Le Protocole et dont l’incipit reprend quasiment à l’identique la notation inscrite dans le journal : « Dimanche 22 juillet, dix heures trente, avec le masseur j’ai commencé à expérimenter la vidéo. Je ne me fais plus photographier depuis deux ans, et je ne me suis jamais laissé prendre nu, Gorka me l’avait proposé, Jules aussi, et Gustave, j’ai toujours refusé. Là, je suis nu entre les mains du masseur, et ça filme. [...] J’ai cherché un bon angle en posant le caméscope sur son pied, j’ai appuyé sur le bouton rouge, vérifié qu’il y avait bien « Record » dans le viseur, et suis allé m’étendre à plat ventre sur la table de massage, la tête tournée vers la bibliothèque, donc cachée à l’objectif29. »

Guibert choisit ainsi de filmer ce matin-là l’intégralité de sa séance de massage sur quatre cassettes distinctes, où il note soigneusement la date et le thème des enregistrements : « 22 juillet matin » ; « les jambes », « la pommade », « le dos », « facial ». Il est impossible de savoir si ces notations sont contemporaines ou postérieures au tournage. En revanche, la numérotation des cassettes, sans doute également autographe car effectuée avec le même instrument d’écriture, ne suit pas l’ordre chronologique, et de ce fait, est vraisemblablement postérieure. On peut penser que l’ordre divergent des numéros correspond à un classement de Guibert établi dans la perspective d’un premier montage. Par ailleurs, si Guibert prend soin par la suite d’utiliser au mieux la totalité du support, il n’enregistre pas pour commencer l’intégralité de la durée de chaque cassette, qui est de 45 minutes. Ce ne sont donc pas, pour vingt-six cassettes, 19 heures 30 d’images dont nous disposons, mais d’une quinzaine seulement. Enfin, rien ne permet de savoir si Guibert n’efface pas certaines images en filmant de nouvelles séquences à la place des précédentes, ou s’il ne détruit pas, avant d’en remettre une copie à la monteuse, une ou plusieurs cassettes.

La séance inaugurale du tournage est donc constituée par quatre plans fixes et silencieux d’une durée totale de plus de deux heures, qui montre le corps nu de l’écrivain, dont le visage est à peine visible, étendu sur une table placée devant la bibliothèque et massé par un homme en blouse d’hôpital. Guibert ne modifie l’angle de prise de vue que lors de chaque changement de cassette, et, une fois le réglage fait, s’astreint à paraître ne faire aucun cas de la caméra, comme il le relate effectivement dans le Protocole30. Guibert semble alors tester le matériel prêté par la productrice en exploitant une thématique sur laquelle il a déjà travaillé31, et qui n’est pas sans rappeler la nouvelle érotique de Tennessee Williams, Le Masseur noir, dont une traduction de Maurice Pons venait de paraître32. Par cette séance, Guibert pose la base même de son projet : une expérience extrême de dévoilement qui n’épargnera pas le spectateur. En livrant d’emblée son corps à la caméra, il procède ici de la même manière qu’en ouvrant Mes Parents par la révélation d’un secret de famille relatif à sa sœur, qui n’est pas la fille du père de l’écrivain, mais d’un prêtre avec lequel sa mère a eu une liaison33.

Les séquences filmées l’après-midi de ce 22 juillet, sa visite à ses grand-tantes, Louise et Suzanne, et une série de plans sur l’intérieur de son appartement de la rue Raymond-Losserand, paraissent en rupture avec les premières séquences filmées. Bien qu’elles puissent s’analyser comme l’occasion pour Guibert, d’une part de satisfaire son envie de faire un film sur ses grand-tantes, d’autre part, de poursuivre en vidéo le travail commencé avec la photographie34, elles se situent en fait dans le prolongement du projet initial. Le dévoilement de l’écrivain est fondé en effet sur le témoignage tant des objets familiers que des figures proches, à commencer par Suzanne et Louise, qu’il soumet avec leur accord à l’épreuve de la caméra. Guibert semble pourtant écarter de son projet la plupart de ses intimes, même s’il leur arrive de participer au tournage comme techniciens ou figurants non identifiables, de même que le milieu littéraire et artistique qui constitue d’ordinaire le cadre de ses œuvres. C’est qu’il envisage surtout, dès l’origine du projet, de centrer le film sur la représentation de son corps malade, comme l’attestent nombre de séquences où il apparaît nu : aux toilettes, dans la salle de bains, à son bureau…

À l’issue de cette période d’expérimentation de la vidéo au cours de laquelle il explore les possibilités et les limites du caméscope, Guibert part seul quinze jours sur l’île d’Elbe, dans la maison de son ami, le photographe Hans-Georg Berger, où il va régulièrement se reposer. Il n’emporte avec lui ni le caméscope, ni son journal personnel, et travaille activement à la rédaction du Protocole35. Lors de ce premier séjour à Santa Caterina, le projet du film se précise néanmoins dans l’esprit de l’écrivain, et il est permis de penser qu’il opère déjà un repérage des lieux, bien que l’on n’en trouve nulle mention dans son journal, pas plus que dans son livre.

Il faut à cette occasion souligner les innombrables correspondances que l’on trouve d’ordinaire entre Le Protocole et La Pudeur, et qui ont été soigneusement relevées par Jean-Pierre Boulé36. Un tel phénomène ne surprend guère quand on connaît les pratiques d’écriture de Guibert, qui déclare volontiers utiliser son journal pour élaborer ses récits37. On notera par ailleurs que la publication du Protocole intervient en février 1991, c’est-à-dire peu avant la fin du montage du film, et que, contrairement au propos du narrateur qui clôt le livre, la rédaction du roman se prolonge bien après la date du 13 août 199038. À de nombreuses reprises, Guibert enrichit donc Le Protocole par le récit du tournage concomitant de La Pudeur, dont plusieurs éléments, comme on l’a vu, ont déjà pu passer par le journal.

Entre autres exemples, on s’arrêtera un instant sur l’entretien filmé de Guibert avec l’une de ses grand-tantes, dont un épisode est relaté sous une forme tronquée dans Le Protocole. Au narrateur qui lui demande depuis quand elle sait qu’il est contaminé par le sida, Louise répond : « Depuis plusieurs années […] quand tu t’es mis à regarder nos verres sur la table avec inquiétude, comme si tu avais peur qu’ils se mélangent. À l’époque, on ne savait pas trop comment ça s’attrapait ce machin-là39. » Or, dans l’entretien intégral, tel qu’il figure dans la cassette du tournage, elle évoque d’abord longuement l’homosexualité de son petit-neveu, et après s’être égarée dans son propos et avoir été relancée par l’écrivain, elle finit par signaler la crainte manifeste qu’avait Guibert de les contaminer. C’est ce même découpage de la conversation qui sera retenu pour la version finale du film. Faut-il y voir une forme d’autocensure qui ne laisserait pas de surprendre de la part de Guibert, ou bien plutôt considérer, pour expliquer cette coupure, le caractère déplacé et anachronique des propos de Louise sur l’homosexualité masculine ?

De retour à Paris, Guibert reprend son travail avec la caméra et filme une nouvelle série de séquences tirées de sa vie quotidienne : coups de téléphone, lecture du courrier, prise de sang, consultation à l’hôpital… Ces séquences, toujours complétées par des témoignages, poursuivent la chronique d’une vie ordinaire centrée sur la maladie. Guibert introduit au cours de cette seconde période de tournage des effets de mise en scène et fait parfois plusieurs prises d’une même séquence, telle la lecture par son amie Rosine d’une lettre qu’elle lui avait adressée.

Pendant toute cette période, Guibert ne regarde pas ce qu’il a enregistré, comme il le confie à Christophe Donner dans l’entretien qu’il lui accorde le 16 février 1991 : « Je ne les ai jamais regardées ces cassettes. J’ai tourné ça pendant trois mois, je ne savais pas si j’enregistrais vraiment, parce je suis nul avec les appareils, je ne savais pas s’il y avait le son, je ne savais pas s’il y avait le son et pas l’image, ou l’image et pas le son, je ne savais rien, je continuais, et l’idée de voir m’épouvantait40. » Dans la suite de l’entretien, l’écrivain relate l’épisode où il voit, pour la première fois, la séquence qu’il vient de tourner. Le 12 octobre 1990, il visionne en effet chez lui les images de la biopsie qu’il a subie quelques heures auparavant41. La représentation de cet épisode figurera dans la version finale du film : les images de l’intervention y sont entrecoupées par le plan rapproché du visage de Guibert, dont l’enregistrement a eu lieu lors de la dernière séance de tournage, le 21 février 1991. L’épuisement visible de l’écrivain n’est donc pas dû, comme on pourrait le croire, à l’épreuve de l’intervention chirurgicale, mais bien plutôt à l’évolution, dans le temps, de la maladie. On notera donc que le montage entraîne à cet endroit une modification du sens originel des images tournées.

Le 16 août, Guibert retourne à l’île d’Elbe, cette fois avec sa caméra et en compagnie de deux proches, Thierry et Christine. Pendant ce second séjour, il enregistrera six cassettes, soit presque cinq heures d’images. Avec la complicité de ses amis, Guibert commence en effet à tourner sur place le synopsis qu’il a sans doute imaginé lors de sa première visite (voir fig. 1). Une jeune admiratrice, munie d’un caméscope, débarque sur l’île, à la recherche de l’écrivain ; elle découvre l’ancien monastère dans lequel il séjourne et qu’elle filme d’abord à distance ainsi que ses habitants, par exemple lorsque l’écrivain prend sa douche dans le jardin. La voyeuse, pour reprendre le terme employé par Guibert, profite ensuite de leur absence pour s’introduire dans la demeure, qu’elle visite et filme dans les moindres détails. Après avoir découvert le manuscrit d’un roman intitulé La Pudeur et l’impudeur, elle est surprise par le retour de l’écrivain, qui la découvre dans le placard où elle s’est cachée, mais elle parvient à s’enfuir en oubliant sa caméra. L’écrivain décide alors de l’utiliser pour se filmer au quotidien jusqu’à son suicide devant la caméra.

Ce second séjour sera donc principalement consacré à la réalisation des différentes séquences du film, que Guibert tourne tantôt seul, avec ou sans l’aide d’un pied de caméra, tantôt en demandant l’assistance d’un ou d’une amie, en particulier lorsqu’il s’agit de se mettre en scène dans le cadre du scénario qu’il a imaginé. Il confie ainsi la caméra à l’un pour pouvoir être filmé, comme s’il l’était par la voyeuse, en train de déambuler sur la terrasse, ou encore il charge un autre de tourner son retour inopiné à mobylette, comme l’attestent à la fois le mouvement de caméra qui suit l’écrivain et le mot « stop » qu’il chuchote à l’opérateur en fin de séquence.

Par ailleurs, Guibert réalise seul, comme il l’a déjà fait à Paris, de très nombreux plans tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du monastère de Santa Caterina. Ces plans, réitérés parfois à plusieurs reprises pour varier les points de vue ou éviter qu’ils ne soient manqués, consignent divers éléments constitutifs de l’univers de l’écrivain, qu’il s’agisse d’éléments de son décor estival tels qu’animaux, meubles, sculptures et peintures, ou d’objets familiers au nombre desquels figurent médicaments et instruments de travail. Il semble bien que ces plans, parfois fixes, s’inscrivent dans la droite ligne de la pratique qu’avait Guibert de la photographie : la longue séquence, consacrée au bureau de l’écrivain et close par la découverte du manuscrit, n’est pas sans rappeler nombre de clichés où Guibert mettait en scène son propre travail d’écriture42.

K7

DATE

INTITULÉ
[Début du tournage à Paris]

1

 22 juillet matin

Massage 1 - le dos

2

22 juillet matin

Massage 2 - la pommade

3

22 juillet matin

Massage 3 - les jambes

4

22 juillet matin

Massage 4 - facial

5

22 juillet après-midi

Louise, Suzanne ? / Intérieurs

16

23 juillet nuit

Raymond Losserand [rue]

[Premier séjour à Elbe sans tournage / Reprise du tournage à Paris]

16

6 août

Raymond Losserand [rue]

Les lettres

17

6 août

R-L : gymnastique

17

9 août

R-L : danse Italie / Boxe / Bicyclette

17

10 août

Planches contacts

9

11 août

La lettre de Rosine / Canicule au Luxembourg / Jets d’eau

6

12 août

Suzanne 2e prise

7

13 août

Rothschild [hôpital] : examen avec le Docteur Cl.

15

13 août

Gymnastique durant l’insomnie

15

14 août

Diarrhée matinale / La douche / L’habillage / Diarrhée 2 / DDI - les médicaments

13

15 août

Chiropractie / Le récit du masseur sur les lettres de son grand-père mort à Auschwitz

[Second séjour à Elbe avec tournage]

22

16 août

Avion / Arrivée Elbe / Aéroport / Arrivée à Santa Caterina /Visite de la chambre

21

17 août

Santa Caterina - plans de contemplation : le vent, le lézard, les clochettes…

20

19 août

Santa Caterina - le suicide

19

20 août

La voyeuse / La douche / Le bain / Paquebot

19

21 août

Le voyage suite / Sonnette / Placard / Les draps / « le soir où nous avons raconté des histoires »

23

23-26 août

Doublons / La moustiquaire qui tourne / Le feu / La lune / Le lustre de bougies

Un repas difficile / Un jour de sirocco / Chien

18

26 août

Les « martinets criards »

18

28 août

Raccords voyeuse / Les pieds comme le père / La petite fourmi / Paquebot bis

18

30 août

Suite voyeuse

[Séjour à Rome sans tournage / Reprise du tournage à Paris]

10

7 sept.

La machine à écrire

10

17 sept.

Rap au chapeau rouge

14

18 sept.

La banquière / Rap au Fez

8

27 sept.

La prise de sang / Interview Geneviève

8

30 sept.

L’Airwasouski

8

6 octobre

Le singe à la télé

11

10 octobre

Sophie / Apostrophe / Le marteau / Le faux sang / Les masques

12

12 octobre

Biopsie gorge / Échographie abdominale

[Reprise du tournage sur la demande de P. Breugnot et M. Mazurek]

24

20 janvier

Intérieur Suzanne / La lettre du père / Le père filme le fils / Tableaux / Le journal Gros plans / Téléphones

25

3 février

Le marathon / Journal suite / Le xylophone / Lecture / Le sang dans la bouche

Lever difficile

26

21 février

Lectures

Fig. 1 : Journal de tournage

Établi dans l’ordre chronologique à partir des mentions autographes portées par Guibert sur les cassettes du tournage ; figurent entre crochets les indications ajoutées par nous.

En outre, ces plans, dont on peut trouver dans Le Protocole l’équivalent textuel43, sont pour certains conçus afin d’illustrer l’extrait de Mémoires d’une naine que lit Guibert par ailleurs devant la caméra44. À un fragment de ce texte répond ainsi exactement le plan du clocher autour duquel les martinets tournent dans le crépuscule45. On notera que cette association du texte avec l’image figure dans la version finale du film.

Pour réaliser le scénario de son film d’autofiction, Guibert multiplie les trucages, qui peuvent constituer autant de leurres fréquemment relevés par la critique dans l’œuvre littéraire46. Il fabrique ainsi un faux manuscrit sur la première page duquel il inscrit, comme pour une publication véritable, les mentions : « Hervé Guibert / La pudeur et l’impudeur /  roman. » Par ailleurs, il règle de véritables mises en scène, dont l’une des finalités consiste par exemple à paraître plus affaibli par la maladie qu’il ne l’est déjà. C’est ainsi qu’il se fait filmer remontant de la plage sur le dos de Thierry alors même que l’intégralité de la séquence tournée montre qu’il est alors en mesure de marcher.

Le scénario du film comprend surtout le suicide de l’écrivain, que Guibert simule entièrement devant la caméra, comme l’atteste aujourd’hui le récit détaillé qu’il en fait alors dans son journal : « Avant-hier (le temps de s’en remettre) j’ai mimé mon suicide devant la caméra. Voilà une prise que je ne saurais pas refaire, sauf pour de vrai (pour m’en tirer avec la dose mortelle de digitaline, j’ai utilisé deux verres que j’ai fait tourner les yeux fermés) […] Je filmais le simulacre de mon suicide, inventant sur-le-champ, dans le champ, le coup de la roulette russe truquée avec les verres (j’avais un repère, invisible à l’image, qui les différenciait, mais peur en même temps d’un faux mouvement au moment de choisir le verre). J’ai inventé la suite, par mon jeu. Je suis sorti épuisé de cette expérience, et comme modifié47. »

La caméra fixée sur un pied, il tourne donc d’abord la prise de digitaline, le produit utilisé pour ses tentatives, simulée et réelle, de suicide48, puis l’agonie sur un fauteuil, la tête recouverte d’un bas. Il faut rappeler ici que dès 1977, dans La Mort propagande, Guibert décrivait le fantasme qui était le sien de se « donner la mort sur une scène, devant des caméras. Donner ce spectacle extrême, excessif de mon corps dans ma mort. En choisir les termes, le déroulement, les accessoires49 ».

En septembre, de retour à Paris, il poursuit le tournage en mettant provisoirement de côté, pour filmer de nouveau son quotidien et procéder à l’interview d’une infirmière, le projet d’autofiction qu’il ne reprendra que le 10 octobre. Ce jour-là, il se rend chez son amie, la plasticienne Sophie Calle, pour l’enregistrer lisant le texte de la voyeuse (voir fig. 2), puis regardant un extrait de l’émission « Apostrophes » où Guibert présente À l’ami et déclare ne plus vouloir écrire sur le sida. Cette seconde séquence, qui devait constituer l’ouverture du film, sera maintenue jusque dans la huitième version montée, puis supprimée pour réduire la durée totale de l’œuvre. Il conclut cette journée de tournage en se filmant à son tour lisant le texte de l’écrivain (voir fig. 2). On notera que ces deux textes sont, selon toute vraisemblance, rédigés après le tournage effectué à l’île d’Elbe, en fonction précisément des matériaux disponibles.

La séquence qui devait constituer la toute fin du film figure uniquement, et de manière détournée, dans le journal personnel de Guibert : « Acheté le matin chez Ruggierri, pour la vidéo, deux loups noirs pour Vincent, et pour moi différents types de sang, à cracher par la bouche, à teinter les vêtements, pour le crâne et pour la face. Le marteau et la scie sont déjà dans le placard de la cuisine. Mon nouveau grand bureau fera commodément office de table funéraire, de veillée ou de dissection50. »

Image1

Fig. 2 : Transcription des textes prévus pour l’autofiction

Établie à partir des cassettes vidéo conservées à l’IMEC.

Cette ultime séquence ne sera jamais tournée, mais Guibert réalisera cependant un plan des objets qu’il a achetés à cette fin, et utilisera l’un des deux masques pour procéder à la lecture du texte de l’écrivain.

Le tournage se poursuit jusqu’au 12 octobre, date à laquelle il filme sa biopsie avec l’accord du chirurgien et l’aide d’un ami, et met provisoirement fin au travail de réalisation avec l’enregistrement de son échographie abdominale. Guibert déclarera plus tard n’avoir véritablement décidé de donner suite au projet qu’après avoir regardé, dans la foulée de l’intervention, l’avant-dernière séquence tournée : « […] mais j’ai trouvé l’image incroyablement belle, j’étais très surpris par la beauté de l’image, et quand j’ai vu ça j’ai décidé de faire le film, de ne pas détruire, de le faire51. » Il montre alors quelques séquences à son amie, la comédienne Zouc, qui le conforte dans son entreprise52, ce qui lui permettra de transcrire quelques éléments du tournage dans le Protocole et de conclure ainsi son roman : « Aujourd’hui, 13 août 1990, je finis mon livre. […] J’ai commencé à tourner un film, mon premier film53. »

II. Du montage à la diffusion

Au cours de l’été, alors qu’Hervé Guibert est encore en plein tournage, Pascale Breugnot se met en quête de quelqu’un pour monter le film. Recommandée par une collègue qui avait refusé la proposition, Maureen Mazurek entre en contact avec la productrice pendant le mois d’août 1990, et envisage de faire le montage sans avoir vu une seule des images déjà tournées. L’unique condition qu’elle pose est de rencontrer l’écrivain, dont elle ne connaît alors l’œuvre que très partiellement54, afin d’obtenir son accord : elle fait donc à la fin du mois la connaissance de Guibert, qui rentre de son second séjour à l’île d’Elbe, et tous deux conviennent alors de leur future collaboration.

Après avoir pensé, sur la suggestion de Pascale Breugnot, s’installer chez Guibert pour travailler, elle propose ensuite, notamment afin de ne pas fatiguer l’écrivain par une présence longue et envahissante, de louer une salle de montage au cinéma l’Entrepôt, lequel, situé dans le XIVe arrondissement, a l’avantage d’être proche des appartements qu’habitent l’un et l’autre. Mais le début du montage, à l’origine prévu en septembre, est repoussé pour des raisons financières. Les chaînes de télévision se montrant très réticentes à l’égard du projet, Pascale Breugnot n’a pas encore trouvé de diffuseur pour le futur film, à l’exception d’une chaîne suisse romande qui programmera le film avant l’été 199155 ; par conséquent, elle ne dispose pas de budget, en particulier pour financer la location d’une salle de montage. Mécontent que celui-ci soit repoussé, Guibert, qui ne perçoit pas de rémunération substantielle pour son travail et n’a toujours pas signé de contrat avec la productrice, aura pendant toute la durée du montage d’incessantes discussions d’argent avec Pascale Breugnot, dont il dressera un tableau peu flatteur dans Le Protocole56, mais qu’il finira néanmoins par trouver « incroyablement sympathique57 ».

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Fig. 3 : Plan de montage remis par Hervé Guibert à Maureen Mazurek. Manuscrit autographe.

Copyright : Fonds privé

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À la fin du mois de décembre 1990, Maureen Mazurek commence donc son travail, qui se fera dans les locaux de TF1, chaîne pour laquelle Pascale Breugnot produisait alors nombre d’émissions. Guibert, affaibli par la maladie, ne pourra se rendre que rarement rue Cognacq-Jay, et ne participera de ce fait que de loin au montage58, notamment lors des longues conversations téléphoniques qu’il aura avec la monteuse59. En dépit des difficultés financières précédemment évoquées, Maureen Mazurek obtient que la durée du montage, initialement estimée à un mois, soit allongée à dix semaines, sans lesquelles la monteuse ne se sent pas en mesure d’accomplir la tâche qui lui est confiée et à laquelle elle faillit d’ailleurs renoncer au vu des difficultés qui se présentent à elle.

En effet, il faut tout d’abord se replacer dans le contexte technique du début des années quatre-vingt-dix. Il était alors très compliqué de monter un film à partir de cassettes réalisées en vidéo : il n’était pas possible d’insérer de nouvelles séquences dans une version déjà montée, comme cela l’est aujourd’hui grâce au numérique et à l’informatique ; chaque modification entraînait donc le montage d’une nouvelle version dans son intégralité. Aussi Maureen Mazurek sera-t-elle amenée à construire de nombreuses versions en fonction des avis et des demandes qui émanent tant de l’écrivain que de la productrice. Une douzaine des transcriptions manuscrites de ces étapes de travail, intitulées « prémontage », ont été conservées et nous ont été communiquées par la monteuse. Certaines, telle la treizième, sont incomplètes ; d’autres, comme la troisième, absentes, le plus souvent parce que le montage a été abandonné en cours d’élaboration pour faire place à une nouvelle version entreprise depuis le début.

Mais surtout, Maureen Mazurek est surprise par l’imperfection technique des images du tournage, déjà mentionnée plus haut, dont le caractère amateur est accentué par la mauvaise qualité des copies qui lui sont confiées. Elle préfère cependant poursuivre le travail en faisant le pari de faire de cette maladresse la marque même du film, quitte à écarter les séquences difficilement utilisables. C’est ainsi qu’elle sélectionnera les passages de la visite médicale où les dialogues entre le patient et son médecin sont les plus audibles, ou encore qu’elle retiendra la scène où Guibert danse sur une musique rap avec un chapeau rouge sur la tête, plutôt que celle qui, tournée le lendemain, cette fois avec un fez marocain, est totalement à contre-jour.

Avant de partir en voyage au Japon, Guibert lui remet les cassettes dupliquées ainsi qu’un document de deux pages daté du 19 décembre 1990, qui constitue l’ébauche d’un film d’environ 90 minutes d’ores et déjà intitulé La Pudeur ou l’impudeur, où est mentionné l’essentiel des séquences que l’écrivain souhaite y voir figurer (voir fig. 3). On notera au passage la différence, en apparence minime mais pleine de signification, avec le titre inscrit sur le faux manuscrit de roman qu’avait filmé Guibert pour son projet d’autofiction : La Pudeur et l’impudeur. Si le titre originel indique au moyen de la conjonction « et » la co-présence dans le film des deux signifiés antagonistes, la variante de titre retenue, même si l’on accorde à la disjonction « ou » une valeur inclusive, est davantage marquée par l’indécision et implique par conséquent la participation active du spectateur, qui est conduit à juger lui-même du caractère de l’œuvre. Ce choix s’inscrit dans la logique d’écriture mise en place par Guibert après le succès public de À l’ami60. Il s’apparente également au brouillage de la frontière entre vérité et mensonge que l’écrivain s’emploie à instaurer dans son œuvre autobiographique depuis la rédaction de Mes parents61. Ce faisant, il inscrit le projet cinématographique dans la droite ligne des précédentes autofictions, dont la dernière, rappelons-le, est toujours en cours de rédaction pendant le tournage.

Contrairement à ce qu’elle aurait souhaité, Maureen Mazurek visionne sans Guibert l’intégralité des vingt-trois cassettes tournées de la fin juillet à la mi-octobre, soit à peu près treize heures de tournage62, et amorce immédiatement son travail à partir du « Premier plan de montage » en trois parties que lui propose l’auteur des images : introduit par la quête de la voyeuse, qui initie le projet cinématographique du narrateur, le film devait se poursuivre à Paris pour s’achever par le suicide de l’écrivain lors d’un second séjour à l’île d’Elbe. Du moins en était-il ainsi jusqu’à ce qu’un remaniement autographe ne déplace la séquence du suicide pour la situer presque en tête de la dernière partie63. La prolepse qu’amène ce déplacement permettait au film de s’achever sur des séquences moins explicites et plus sereines, même si la signification métaphorique de ces images emplies d’obscurité demeurait bien la disparition de l’écrivain, ou littéralement, son glissement dans la nuit64. Guibert aurait-il eu conscience de la violence de son propos, et aurait-il alors souhaité en atténuer quelque peu la portée, à moins que cette modification, qu’on serait tenté de prendre pour un remords, n’ait eu d’autre visée qu’esthétique ?

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Fig. 4 : Transcription du premier montage effectué par Maureen Mazurek. Manuscrit autographe.

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En dépit de certaines réticences, notamment en ce qui concerne la partie centrale, « Les femmes », constituée d’une série de séquences uniquement reliées par la thématique et sommairement disposées les unes à la suite des autres, Maureen Mazurek élabore un premier prémontage (voir fig. 4), dont Guibert visionne, à son retour du Japon début janvier 1991, la vingtaine de minutes qui correspond à la première partie du plan autographe. La monteuse explique alors à l’écrivain qu’en l’absence d’images complémentaires, elle ne peut s’engager plus avant dans le projet initial, et tente de le convaincre de reprendre non seulement le tournage mais aussi l’écriture du scénario. Cependant Guibert refuse, à la fois trop fatigué et irrité par les difficultés de production, et Maureen Mazurek continue le montage du film en abandonnant, avec l’accord de l’écrivain, le récit autofictionnel qu’amorçait la voyeuse. Elle supprime donc la dizaine de minutes qui constituait l’incipit du film, et poursuit son premier « prémontage », qui se scinde en deux « bout à bout » consécutifs, A et B (voir fig. 4), vraisemblablement en raison de la capacité limitée du support utilisé pour le montage.

Elle parvient ainsi à une version totale (A + B) d’environ deux heures qu’elle soumet à Guibert le 17 janvier 1991, premier jour de bombardement de l’Irak par les alliés65. Celui-ci est à la fois enthousiasmé et soulagé par ce qu’il voit du travail de la monteuse, comme en témoigne l’éloge qu’il en fait à Christophe Donner un mois plus tard66, ainsi que la dédicace qu’il rédige sur l’exemplaire du Protocole offert le même jour à Maureen Mazurek (voir fig. 5). Il ne lui en demande pas moins à cette occasion de supprimer du film deux séquences qui, rétrospectivement, ne lui conviennent plus.

La première, enregistrée la nuit du 23 juillet, le montre torse nu, en train d’écrire son journal, dont il livre deux extraits à la caméra : « Ma nudité dans la vidéo est d’un ordre pictural, pas exhibitionniste » et « J’ai fait une œuvre barbare, délicate67 ». À Maureen Mazurek, qui tenait beaucoup à cette séquence, notamment parce qu’elle constituait alors l’une des rares où l’écrivain s’exposait en gros plan, Guibert expliquait sa réticence par la présence sur son torse d’une goutte de sueur jugée inesthétique. S’agissait-il surtout pour lui de ne pas dévoiler au public l’entonnoir thoracique qui le complexait et qu’accentuait la maigreur causée par la maladie68 ?

Cette manière d’autocensure ne serait pas sans contradiction avec le « projet du dévoilement de soi69 » qu’exposait l’écrivain dès son premier ouvrage, La Mort propagande, et que se devait de respecter un projet de film qui en constituait l’expression privilégiée : « Mon corps, soit sous l’effet de la jouissance, soit sous l’effet de la douleur, est mis dans un état de théâtralité, de paroxysme, qu’il me plairait de reproduire, de quelque façon que ce soit : photo, film, bande-son70. » Pourtant, nombre de séquences conservées dans le film dévoilent précisément sans pudeur le corps nu de Guibert, aux toilettes, sous la douche, ou s’habillant avec difficulté. Par ailleurs, le narrateur du Protocole déclare n’avoir plus honte de la malformation physique qui le hante depuis l’enfance71. Afin d’expliciter cette discrimination, il ne reste donc qu’à admettre l’argument esthétique qui n’est effectivement pas sans lien avec l’« ordre pictural » dont il est question dans le journal72 : il s’agit bien pour l’écrivain de se mettre en scène, et non de se dévoiler totalement, comme il en exposait le projet.

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Fig. 5 : Dédicace du Protocole compassionnel d’Hervé Guibert à Maureen Mazurek.  

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Quant à la seconde séquence, il s’agit de la séance de massage du 15 août, où, tout en manipulant son patient entièrement nu, le kinésithérapeute évoque, sur la demande de Guibert, les lettres écrites de Drancy par son grand-père ensuite déporté à Auschwitz. Outre la qualité médiocre du son, qui altérait les propos échangés, il est possible que le lien trop explicite entre le corps amaigri de Guibert et l’évocation des camps de concentration soit à l’origine du souhait de l’écrivain de supprimer cette séquence. C’est pourtant sans détours qu’il établit ce parallèle dans le Protocole : « Ce corps décharné que le masseur malaxait brutalement pour lui redonner de la vie [...] je le retrouvais chaque matin en panoramique auschwitzien dans le grand miroir de la salle de bains [...]73. » La séquence tournée, comme on l’a déjà vu, redouble ainsi le texte en cours d’élaboration. Dans la suite du Protocole, le narrateur déplace son propos à la question de la survie : « [...] parfois j’ai l’impression qu’il [le narrateur] va s’en sortir puisque des gens sont bien revenus d’Auschwitz, d’autres fois il est clair qu’il est condamné, en route vers la tombe, inéluctablement74. » Au moment du montage, l’état de santé de Guibert s’est encore dégradé et l’espoir de « s’en sortir » va s’amenuisant. Par ailleurs, on apprend au cours de la séquence que le grand-père du masseur est mort à Auschwitz. Ainsi, le souhait émis par l’écrivain de retrancher cette évocation peut avoir été suscité par un désir ultime et désespéré de conjurer le sort.

Le lendemain, Maureen Mazurek présente son travail à Pascale Breugnot, qui est accompagnée pour l’occasion d’un ami réalisateur et producteur, Bernard Bouthier75. Bien que globalement satisfaite, la productrice trouve, de même que cet ami, la version trop longue et demande à ce qu’elle soit réduite de moitié. La limite de la durée d’un film constitue une contrainte à laquelle les cinéastes sont accoutumés76, surtout lorsque leurs œuvres sont destinées aux chaînes de télévision. Parvenir à la durée fixée par la production sera un objectif majeur du travail de la monteuse, comme en témoignent les minutages précis et constants qui figurent sur les transcriptions de montage qu’elle a effectuées. De nombreuses séquences, parfois interminables77, ont été coupées pour cette raison, quand elles n’ont pas été simplement éliminées, comme l’interview de l’infirmière, Geneviève, jugée trop longue et explicative par Bernard Bouthier. Ce n’est donc pas, comme on pourrait le croire, le bruit de fond assourdissant des travaux, non plus que les réponses parfois gênées de l’infirmière, ou encore son désir de ne pas figurer dans le film78, qui sont à l’origine du retrait de la séquence, mais bien plutôt en dernier ressort la nécessité de raccourcir la version.

Par ailleurs, Pascale Breugnot regrette l’absence d’informations qui aideraient le téléspectateur à comprendre l’œuvre, et exprime le souhait que le film soit accompagné d’un texte lu par l’écrivain. Guibert est plus que réticent face à la suggestion qui lui est faite, comme en témoignent les propos qu’il tiendra face à la caméra le 3 février : « Elle [la productrice] dit qu’on comprend pas que le singe empaillé qu’il y a chez lui, c’est le singe vert qui a transmis le sida à l’homme. Elle dit qu’on comprend pas que, quand il téléphone à la banquière, c’est pour acheter des actions du laboratoire qui produit ce médicament qui le maintient en vie, sans lequel il serait déjà mort. Est-ce qu’il faut rendre tout ça explicite, je sais pas. » La résistance de Guibert s’explique sans doute par le changement de nature de son projet : le récit autofictionnel initial revêt à ce moment un caractère de plus en plus documentaire que le texte d’accompagnement qu’on lui demande ne ferait qu’exacerber.

S’il refuse d’écrire cette forme de commentaire, Guibert accepte dans un premier temps de tourner de nouvelles images, dont en particulier les gros plans qui, toujours selon la productrice, font défaut au film. Il enregistre ainsi le 20 janvier une série de séquences, qui débute par quelques plans de l’appartement de Suzanne après son décès, et comprend notamment la lecture par le père de Guibert d’une lettre que ce dernier lui avait adressée à la suite de la parution de À l’ami79. Cette séquence, marquée par la gêne du père et le désappointement du fils, ne sera pas retenue sur la demande expresse de l’écrivain et sera en quelque sorte remplacée par un extrait de film de vacances tourné par le père, qui montre l’enfant jouant sur le bateau familial80. La critique ne manquera pas de relever la grâce et la légèreté de ce passage, qui contraste effectivement avec le ton général du film.

De son côté, Maureen Mazurek sélectionne des extraits de À l’ami, à partir desquels elle constitue le montage d’un texte destiné à compléter les images du film. De cette proposition, seuls subsisteront dans la version finale les fragments qui accompagnent l’épisode de la prise de sang : « Le processus de détérioration amorcé dans mon sang par le SIDA se poursuit de jour en jour, [assimilant mon cas pour le moment à une leucopénie]81. » Le fragment en italique, qui ne figure pas dans le texte publié, compense la suppression de la proposition entre crochets : il s’agit là d’une modification visant à éclaircir le propos destiné au téléspectateur. Le montage se poursuit ainsi : « Bien avant la certitude de ma maladie sanctionnée par les analyses, j’ai senti mon sang, tout à coup découvert, mis à nu, comme si un vêtement [ou un capuchon] l’avai[en]t toujours protégé, sans que j’en aie conscience [puisque cela était naturel, et que quelque chose, je ne comprenais pas quoi, les ait retirés]. Il me fallait vivre, désormais, avec ce sang dénudé et exposé, comme le corps dévêtu qui doit traverser le cauchemar. Mon sang démasqué, partout et en tout lieu, et à jamais, à moins d’un miracle sur d’improbables transfusions, mon sang nu à toute heure, dans les transports publics, dans la rue quand je marche, toujours guetté par une flèche qui me vise à chaque instant. Est-ce que cela se voit dans les yeux82 ? » Le passage rayé dans la transcription figure bien dans le texte enregistré par Guibert ; il a été supprimé lors du mixage, vraisemblablement pour coïncider avec la durée raccourcie des images.

Guibert, quant à lui, préfère s’engager dans la lecture de son journal personnel, alors inédit. Au cours de la conversation avec Maureen Mazurek qu’il enregistre le 20 janvier 199183, il s’interroge ainsi sur la possibilité d’émailler le film d’extraits du journal. Comme nous l’avons vu précédemment, il avait déjà enregistré spontanément deux notations qui en sont tirées. Dans la séquence qui suit immédiatement sa conversation avec la monteuse, Guibert entreprend la lecture intégrale de trois paragraphes successifs, rédigés lors de son second séjour estival à l’île d’Elbe84. À l’exception du premier, dont la syntaxe a peut-être paru trop elliptique85, ces passages sont présents dans la version finale du film.

Le 3 février, Guibert reprend de nouveau la caméra. Parmi les séquences tournées, figure en particulier celle du marathon qui sera retenue dans la version définitive du film, ainsi qu’une autre où l’écrivain, masqué et ganté, son chapeau sur la tête, joue d’une sorte de xylophone sur pied. De cette scène qu’elle ne pourra inclure, Maureen Mazurek utilisera les notes de musique pour sonoriser certains plans du film, comme par exemple ceux du chandelier ou de la moustiquaire qui entrecoupent la séquence du suicide. Au cours de cette seconde journée de reprise du tournage, l’écrivain enregistre également un nouvel extrait de son journal, dans lequel il commente les images de sa biopsie. Une version partielle de ce texte accompagnera effectivement les images de l’intervention retenues dans le film.

Enfin, à la demande de la monteuse, Guibert entreprend le 21 février une ultime séance de tournage principalement constituée de lectures. Dans un premier temps, il lit deux passages du journal relatifs, pour l’un au projet de filmer sa biopsie, pour l’autre à son rapport aux autres malades croisés à l’hôpital86. Puis, après avoir tourné divers plans dont à nouveau plusieurs de son visage, il enregistre le montage d’extraits de À l’ami mentionné plus haut, ainsi que deux extraits du Protocole87qui venait d’être publié, pour conclure par la lecture intégrale de la notice en italien de la digitaline.

Des deux passages du Protocole, seul le second, qui concerne le nouveau médicament que prend l’écrivain88, figurera dans le film. Quant au premier, constitué de divers fragments d’une même partie organisés dans un ordre totalement différent, il était initialement destiné à illustrer la séquence où l’on voit Guibert faire de la gymnastique : « Je suis un scarabée retourné sur sa carapace et qui se démène pour se remettre sur ses pattes. Je lutte. / j’invente des tractions incroyables. / j’écarte mes cuisses et mes bras le plus possible, je m’ouvre, je me casse, mes muscles me chauffent doucement, ils fourmillent de vie / Je continue mes mouvements, / ça tiraille, je force un peu, je vais devenir un homme caoutchouc en accordéon dans une boîte, le cercueil, qu’un ressort fait jaillir et ricaner, / Je comprends enfin le sens de la gymnastique89, […]. »

Il sera remplacé dans la version finale par un autre montage également constitué d’éléments du Protocole90. D’autres textes, dont notamment celui qui, introduit par une phrase de À l’ami91 et prolongé par un extrait du Protocole92,accompagne la séquence de la salle de bains, ont été ajoutés à la suite d’une séance d’enregistrement en studio, rue Cognacq-Jay, demandée par Maureen Mazurek à Guibert en raison de la mauvaise qualité sonore des lectures sur cassette vidéo. C’est à cette occasion que l’écrivain visionne le montage définitif des images, qui ne sont pas encore mixées avec la bande-son. Pris par d’autres projets d’écriture où le sida n’occupe plus une place prédominante93, de plus en plus amoindri par la maladie qui s’aggrave94, Guibert ne se préoccupe alors plus du devenir d’un film qu’il ne verra vraisemblablement jamais sous la forme complète, c’est-à-dire accompagnée par les textes et les musiques, qu’ont pu découvrir les téléspectateurs sur TF1 le dimanche 26 janvier 1992 peu avant minuit.

Initialement programmée le 19 janvier 1992, soit près d’un mois après le décès de l’écrivain, alors même que le film était achevé depuis la fin du mois de février 199195, la diffusion de La Pudeur sera de nouveau reportée pour permettre aux membres du Conseil national du sida de mesurer et prévenir l’impact psychologique que l’œuvre de Guibert aurait pu avoir sur les personnes atteintes par le VIH. À cet effet, la diffusion du film sera suivie d’une intervention d’un médecin spécialiste du sida, le professeur Michel Kazatchkine, qui développera un discours optimiste sur le traitement de la maladie, de nature à restaurer l’espoir des personnes déstabilisées par le réalisme de certaines images et la rudesse de certains propos. Quant à la critique, partagée entre admiration et malaise, elle réserve au film une réception globalement positive, tout en soulignant, à l’instar des militants associatifs ou des membres du Conseil national du sida, le caractère très personnel du témoignage apporté par Guibert.

Conclusion

Dans un entretien accordé à Jérôme Garcin en septembre 1991 pour L’Événement du Jeudi, l’écrivain déclarait à propos de son film : « Même si j’en ai tourné toutes les images, je m’en sens moins l’auteur que la productrice et la monteuse96. » Pourtant, le texte d’introduction du film soulignera, comme de juste, la place centrale de celui qui est présenté à la fois comme l’instigateur, l’acteur principal et le réalisateur de La Pudeur : « Ce film a été tourné par Hervé Guibert lui-même avec un caméscope Panasonic entre juin 1990 et mars 1991 / Hervé Guibert est mort le 27 décembre 1991 / TF1 présente [insertion d’une première séquence où l’écrivain évoque au cours d’une conversation téléphonique plusieurs questions d’ordre médical] un film proposé par Pascale Breugnot et Hervé Guibert / La Pudeur et l’impudeur / un film réalisé et interprété par Hervé Guibert / monté par Maureen Mazurek / copyright BANCO TF1 1991 ».

Il convient donc d’emblée de relativiser un propos qui peut s’expliquer, non seulement comme le suggère Jean-Pierre Boulé par le « jeu entre vérité et mensonge » habituel à l’écrivain97, mais aussi par la distance prise par Guibert à l’égard d’un film qui n’a pas encore trouvé en France de diffuseur, parce que, pense-t-il, « ces images font peur98 ». Pour contestable qu’elle soit, cette déclaration auctoriale n’en pose pas moins une question essentielle, en particulier au vu de la réception polémique suscitée par La Pudeur. Contrairement à l’œuvre littéraire, qui est le plus souvent générée par une instance unique, l’écrivain, une œuvre cinématographique est une réalisation collective à laquelle peuvent participer, selon les configurations, tant le metteur en scène que les comédiens, le producteur que les techniciens. En dépit du caractère particulier de sa genèse, La Pudeur n’échappe pas à la règle, et l’on a pu mesurer tout au long de cet article l’importance du rôle joué par la production et le montage dans l’élaboration du film.

L’initiative du projet revient en effet sans conteste à Pascale Breugnot, et c’est lors du montage que s’est mis en place la forme finale du film, dont le concept de départ a été modifié, comme on l’a vu, sur la suggestion de Maureen Mazurek. Le fait n’a sans doute rien d’exceptionnel tant nombre de cinéastes s’accordent à penser que le devenir d’un film se joue principalement pendant cette phase du processus de création. Travail de sélection et de composition à partir du matériau élaboré pendant le tournage, le montage peut être effectué par le réalisateur lui-même, ou bien confié à un professionnel avec lequel, à tout le moins, il collabore étroitement. Dans le cas de La Pudeur, la situation du réalisateur était particulière pour deux raisons. D’une part, même s’il avait déjà approché l’univers du cinéma, Guibert était avant tout écrivain et photographe ; il ne possédait par conséquent pas les compétences techniques pour effectuer indépendamment un tel travail. D’autre part, pour des raisons à la fois de santé et de motivation, il n’a pu ou voulu participer que de loin au montage du film. Exception faite des demandes de la productrice, qui n’étaient pas sans entrer en contradiction avec les choix de l’auteur, la monteuse s’est donc trouvée en partie livrée à elle-même pour accomplir la tâche qui lui était confiée.

Dans ce contexte délicat, il faut souligner l’attachement de Maureen Mazurek à construire le film autant que possible dans l’esprit du projet mis en place par Guibert, comme lui-même en prenait acte : « […] vous avez eu des intuitions justes [au] sujet [du film], parfois audacieuses, parfois respectueuses, toujours délicates, en sympathie […] » (voir fig. 5). Il s’agira notamment pour elle de rester au plus près du plan de montage suggéré par l’écrivain, comme en témoigne, entre autres exemples, la reprise de la proposition d’enchaînement entre ce qui constituait alors pour Guibert la seconde partie, intitulée « PARIS », et la troisième et dernière, qui devait se situer, comme la première, à l’île d’Elbe (voir fig. 3). La transition, dont la mention figure à la fin du second folio du plan99, était constituée, dans le projet manuscrit, par la chanson de Christophe, où les paroles coïncident à la fois avec la difficulté de l’existence de Guibert à cette période, et l’apaisement physique et moral qu’il trouvait dans ses villégiatures au monastère de Santa Caterina : « J’suis fatigué de faire semblant d’avoir une histoire / Le ciné, ça marche pas toujours / Aujourd’hui, j’ai fini d’inventer ma vie / J’imagine l’Italie / J’suis fatigué d’être un héros / des amis pas vraiment d’amour / les vacances à crédit, le ciel toujours gris / direction : l’Italie. » La monteuse reprendra donc la suggestion en faisant se chevaucher la bande-son de la chanson d’une séquence à l’autre, de l’appartement parisien où danse Guibert à l’avion qui le conduit en Italie100.

Pour autant, le projet initial n’en a pas moins connu un profond changement de perspective, qui a probablement eu une part d’influence sur l’attitude de l’auteur vis-à-vis de son œuvre101. Mais surtout, l’évolution du projet n’a pas manqué d’avoir un impact sur la perception d’un objet qui présente finalement l’aspect du documentaire alors même qu’il était conçu à l’origine sur le mode de l’autofiction. Du scénario imaginé par Guibert subsistent néanmoins certains éléments, dont notamment le suicide de l’écrivain qui devait initialement conclure La Pudeur102. Déplacé pour des questions de réorganisation générale au centre du film et complété par un extrait métadiscursif du journal103, cet épisode acquiert à nouveau la dimension de simulacre qu’il avait au moment du tournage et qu’il perdait dans la première version du film. En l’absence de toute information sur la genèse de l’œuvre, le téléspectateur ne peut qu’être dérouté par une séquence qui n’apparaît plus comme la mise en scène d’un événement destiné à conclure le récit autofictionnel, mais devient, dans le cadre d’un documentaire, une expérience d’anticipation morbide. De l’autofiction au documentaire, La Pudeur a ainsi fini par coïncider, au gré des sentiers de la création, avec la remarque formulée par l’écrivain dans Le Protocole à l’issue de la première séance de tournage : « Je crois que nous venons de tourner un des documentaires les plus bizarres qui soient104. »

1  Sur cinéma et autobiographie, voir deux ouvrages collectifs : Je est un film, ouvrage coordonné par Alain Bergala, Saint-Sulpice-sur-Loire, Acor, 1998 ; Le Je filmé, exposition au Centre Georges Pompidou, 31 mai-2 juillet 1995, Paris, Centre Georges Pompidou / Scratch Production, 1995.

2  Les Nuits fauves de Cyril Collard (1992) ou, dans un tout autre genre, la superproduction hollywoodienne Philadelphia (1993), sont légèrement postérieurs. Pour une étude approfondie sur le sujet, voir l’article d’Olivier Varlet, « Le sida au cinéma », dans Triangul’ère, « Homosexualité, sida, éducation et mémoire », Éditions Christophe Gendron, 2002, p. 187-197.

3  Hervé Guibert, Le Protocole compassionnel, Paris, Gallimard, 1991 ; L’Homme au chapeau rouge, Paris, Gallimard, 1992.

4  Gérard Lefort, « C'est l’histoire de garçon maigre », Libération, 30 janvier 1992 ; voir aussi, entre autres, les comptes rendus de Bruno Frappat, « Zones frontières », Le Monde Radio-télévision, 27 janvier 1992, et de Bertrand Poirot-Delpech, « Lire, c’est voir du dedans », Le Monde, 29 janvier 1992.

5  Par commodité, nous emploierons dans cet article le néologisme créé en 1977 par Serge Doubrovsky pour répondre à la classification établie par Philippe Lejeune dans Le Pacte autobiographique (1975) et désigner des œuvres qui, comme Fils, se situent à la charnière du roman et de l’autobiographie. Nous n’ignorons pas pour autant que cette récente catégorie générique ne s’applique qu’imparfaitement à l’ensemble de l’œuvre de Guibert. Pour plus de précisions sur l’autofiction, on se reportera notamment aux Cahiers RITM, n° 6, « Autofictions & Cie », Serge Doubrovsky, Jacques Lecarme et Philippe Lejeune (éds), université de Nanterre-Paris X, 1993, ainsi qu’à la thèse d’état de Vincent Colonna : L’Autofiction. Essai sur la fictionnalisation de soi en littérature, sous la direction de Gérard Genette, EHESS, 1989. Quant au débat sur Guibert et l’autofiction, il est principalement mené par Jean-Pierre Boulé dans son ouvrage intitulé Hervé Guibert : Voices of the self (Liverpool University Press, 1999) et traduit en français sous le titre Hervé Guibert : L’entreprise de l’écriture du moi (L’Harmattan, 2001).

6  Voir Éthique, sida et société. Rapport d'activité du CNS 1989-1994, Paris, La Documentation française, 1996, p. 223.

7  Outre l’ouvrage mentionné plus haut, on signalera deux articles du même auteur : « The postponing of La Pudeur ou l’impudeur : modesty or hypocrisy on the part of French television », dans French Cultural Studies, n° 3, octobre 1992, p. 209-304 ; « Hervé Guibert : Autobiographical Film-Writing pushed to its limits ? », dans Terry Keefe and Edmund Smyth (éds), Autobiography and the Existential Self, Liverpool University Press, 1995, p. 169-181.

8  Le Protocole compassionnel, p. 174.

9  Voir à ce propos le rapport de Serge Toubiana, « Toute la mémoire du monde », établi dans le cadre de la Mission de réflexion sur le patrimoine cinématographique en France, et remis le 27 janvier 2003 au ministre de la Culture et de la Communication. Ce rapport est consultable et téléchargeable en ligne sur le site du ministère de la Culture : http://www.culture.gouv.fr.

10  Voir Hervé Guibert, Photographies,Paris, Gallimard, 1993.

11  On signalera, outre l’ouvrage et les articles de Jean-Pierre Boulé mentionnés plus haut : Emily Apter, « Fantom Images : Hervé Guibert and the Writing of “sida” in France », dans Timothy F. Murphy et Suzanne Poirier (éds), Writing AIDS. Gay Literature, Language and Analysis, Columbia University Press, 1993 ; Jean-Pierre Boulé (éd.), Nottingham French Studies, numéro spécial « Hervé Guibert », vol. 34, n° 1, printemps 1995 ; Ralph Sarkonak (éd.), Le Corps textuel d’Hervé Guibert, Paris, Lettres modernes, 1997.

12  Hervé Guibert, Le Mausolée des amants. Journal 1976-1991, Paris, Gallimard, 2001, p. 412-424.

13  Hervé Guibert, « Pour répondre aux quelques questions qui se posent… », entretien avec Christophe Donner, La Règle du jeu, n° 7, mai 1992, p. 135-157.

14  Libération, « Guibert, sa mort, son œuvre », 18 et 19 janvier 1992, p. 21-24.

15  Nous tenons à remercier vivement Christine Guibert de nous avoir autorisés à voir les cassettes du tournage et du premier montage de La Pudeur ou l’impudeur. Nos remerciements vont également à l’IMEC, en particulier à Hélène Favard et Albert Dichy, pour nous avoir grandement facilité l’accès à ce matériau précieux. Nous remercions enfin chaleureusement Maureen Mazurek non seulement d’avoir accepté de répondre longuement à nos questions, mais aussi de nous avoir communiqué ses archives personnelles.

16  Hervé Guibert, À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, Paris, Gallimard, 1990.

17  Voir Jean-Pierre Boulé, Hervé Guibert : L’entreprise de l’écriture du moi, p. 234. En septembre 1994, plus de 350 000 exemplaires du livre, toutes collections confondues, avaient été vendus en France, tandis que près de dix-sept traductions en avaient été faites.

18  Voir aussi à ce propos le texte de Guibert en quatrième de couverture de l’édition originale du Protocole : « C’est tout bonnement la suite de À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie : exactement ce que j’avais dit que je ne ferais jamais. »

19  Parmi les émissions produites par Pascale Breugnot, citons par exemple : « L’Amour en danger », « Perdu de vue ». Sur l’émergence de la télé réalité, voir l’ouvrage de Dominique Mehl, La Télévision de l’intimité, Paris, Éditions du Seuil, 1995.

20  Le Quotidien de Paris, 30 janvier 1992, p. 14.

21 Hervé Guibert, Le Mausolée des amants, p. 143.

22  Voir Patrice Chéreau, Hervé Guibert, L’Homme blessé, Paris, Éditions de minuit, 1983, et notamment les notes préparatoires publiées en fin de volume, p. 149-199.

23  Patrice Chéreau, L’Homme blessé, 35 mm couleurs, 110 mn.

24  Michel Foucault, Herculine Barbin dite Alexina B., Paris, Gallimard, « Vies parallèles », 1979.

25  Il reste une trace de cet épisode relaté par l’écrivain dans À l’Ami avec l’ironie mordante qu’on lui connaît : il s’agit d’une version dactylographiée du scénario intitulé « La liste noire », conservée dans le fonds Guibert de l’IMEC.

26  Suzanne et Louise [Roman-Photo], Paris, Éditions libres Hallier, 1980.

27  Guibert relate cet épisode dans Le Protocole compassionnel, p. 100-102.

28  Le Mausolée des amants, p. 412.

29  Le Protocole compassionnel, p. 98.

30  On trouvera le récit intégral de cette première expérience de tournage dans Le Protocole compassionnel, p. 98-100.

31  Voir l’article publié dans L’Autre Journal : « Les mains de son masseur », 14-21 mai 1986, p. 57.

32  Voir Tennessee Williams, Toutes ses nouvelles, Paris, Robert Laffont, « Pavillons », 1989.

33  Hervé Guibert, Mes parents, Paris, Gallimard, 1986, p. 10-14.

34  Guibert filme ainsi en musique une série d’objets de son intérieur qu’il a déjà photographiés. Voir Hervé Guibert, Photographies, Paris, Gallimard, 1993. On y trouve notamment des photographies de sa bibliothèque et de ses peluches « Belours et Agneaudoux ».

35  Il note ainsi dans son journal : « (Elbe. Vacances savoureuses. Je continue d’écrire Le Protocole compassionnel. Je n’avais pas emporté ce journal, sa matière a dû passer dans le roman.) », voir Le Mausolée des amants, p. 412.

36  Voir Jean-Pierre Boulé, Hervé Guibert. L’Entreprise de l’écriture du moi, p. 255-256.

37  Entre autres déclarations, on citera la réponse faite par Guibert à Thierry Jonquet, qui le questionnait sur le lien entre son journal et ses livres : « Un lien déterminant : beaucoup de mes livres en sont sortis. […] Mes livres sont des appendices et le journal, la colonne vertébrale, la chose essentielle. » Dans Hervé Guibert, « Je disparaîtrai et je n’aurai rien caché… », propos recueillis par Thierry Jonquet pour le magazine Globe le 27 février 1990, publiés partiellement en avril 1990 et intégralement en février 1992, p. 108.

38  Le propos conclusif du narrateur est effectivement démenti par l’avant-dernier chapitre, qui mentionne la déclaration de guerre en janvier 1991 des alliés à l’Irak. Voir Le Protocole compassionnel, p. 222. À ce sujet, lire Jean-Pierre Boulé, op. cit., p. 266.

39  Voir Le Protocole compassionnel, p. 102.

40  Hervé Guibert, « Pour répondre aux quelques questions qui se posent… », p. 151.

41  Le récit de cet épisode figure également dans Le Mausolée des amants, p. 424.

42  Voir Hervé Guibert, Photographies.

43  Entre autres exemples, on citera celui du gecko, variété autochtone de lézard, que Guibert évoque dans Le Protocole (p. 158) et qu’il filme en train de grignoter une pomme.

44  Ce livre de Walter de la Mare, ainsi rebaptisé par Guibert dans son journal (voir Le Mausolée des amants, p. 413), s’intitule en fait : Miniature ou les Mémoires de Miss M., Paris, Terrain vague (Éric Losfeld), 1989, rééd. Joëlle Losfeld, 1996.

45  « Même les moucherons, qui, au grand agacement de mon père, pullulaient autour de sa tête comme les martinets autour d’un clocher, me laissaient tout à fait tranquille. »

46  Voir notamment Marie Darrieussecq, « La notion de leurre chez Hervé Guibert », dans Nottingham French Studies, op. cit., p. 82-88.

47  Le Mausolée des amants, p. 414.

48  Dans À l’ami, le narrateur relate l’acquisition à Rome de cette substance curative que la modification de dosage peut rendre mortellement toxique. Dans Le Protocole, il revient à plusieurs reprises sur la présence de cet antidote au désespoir et à l’impuissance face à la maladie.

49  Hervé Guibert, La Mort propagande,Paris, Régine Deforges, 1977, rééd. de 1991, p. 184.

50  Le Mausolée des amants, p. 423.

51  Hervé Guibert, « Pour répondre aux quelques questions qui se posent… », p. 154.

52  Ibid., p. 156.

53  Le Protocole compassionnel, p. 227.

54  Elle a lu Des aveugles,publié chez Gallimard en 1985, et vu le film de Patrice Chéreau, L’Homme blessé.

55  Voir l’entretien d’Annick Peigné-Giuly avec Pascale Breugnot dans Libération, 18 et 19 janvier 1992, p. 22.

56  Dans sa seconde autofiction sur le sida, il la qualifie en particulier de « bestiale » (Le Protocole compassionnel, p. 65) et de « charognarde » (ibid., p. 174).

57  Hervé Guibert, « Pour répondre aux quelques questions qui se posent… », p. 154.

58  Dans l’entretien avec Christophe Donner, il admet ainsi avoir « un peu démissionné » et se « repose[r] beaucoup sur son travail » (ibid., p. 150-151).

59  Une de ces conversations, intégralement filmée par Guibert, figure dans les cassettes du tournage déposées à l’IMEC.

60  Voir Jean-Pierre Boulé, op. cit., p. 258.

61  Voir Marie Darrieussecq, « De l’autobiographie à l’autofiction. Mes parents, roman ? » Dans Le Corps textuel d’Hervé Guibert, op. cit., p. 115-131.

62  D’après Maureen Mazurek, l’écrivain n’aurait pas souhaité se revoir à une période de sa vie où il se portait mieux. Guibert déclare effectivement à cette période dans l’entretien avec Christophe Donner : « Et puis c’est vrai que c’est une matière que je n’ai pas trop envie de regarder, comme je n’ai pas envie de relire mes livres, je n’ai pas envie… » Dans Hervé Guibert, « Pour répondre aux quelques questions qui se posent… », p. 151.

63  La séquence « Le suicide » est effectivement rayée et insérée plus haut entre un ajout antérieur « Il bouffe, il va être malade » et la séquence initiale « Trajet voiture ». Ce déplacement est confirmé par les ajouts entre parenthèses, qui précisent la chronologie des derniers plans du film.

64  Citons, en suivant l’ordre final, les titres des quatre dernières séquences prévues : « Le port le soir », « Arrivée du paquebot au crépuscule », « Le lustre à bougies qui tourne », « La lune et le village ».

65  Conservée dans le fonds Guibert de l’IMEC, cette version est plus longue que la transcription qui lui correspond : prise dans le mouvement du travail, la monteuse n’a sans doute pas jugé utile de la compléter. Voici un élément qui pointe à nouveau l’incomplétude du dossier génétique, qui, outre les lacunes des documents manuscrits, ne comprend qu’une seule version intermédiaire du film en images.

66  Hervé Guibert, « Pour répondre aux quelques questions qui se posent… », p. 150-151.

67  Ces deux notes se succèdent effectivement, mais en ordre inverse, dans Le Mausolée des amants, p. 412. La première comporte dans le journal publié un élément supplémentaire : « pictural et documentaire ». La seconde est réutilisée pour clore un chapitre du Protocole (p. 113).

68  Voir à ce propos l’« aveu » de Guibert dans Mes Parents, p. 50-52 et 115-116.

69  À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, p. 247.

70  La Mort propagande, p. 183.

71  Le Protocole compassionnel, p. 47.

72  Il faut souligner à ce propos la place importante consacrée aux tableaux, portraits et représentations corporelles en particulier, dans les séquences tournées, qu’il s’agisse des toiles possédées par Guibert ou son ami Hans-Georg Berger, ou des reproductions filmées ici ou là, et dont il regrettera que certaines ne puissent figurer dans la version finale du film.

73  Le Protocole compassionnel, p. 14.

74  Ibid., p. 15.

75  Cet ami, qui produit également des émissions de télévision s’inscrivant dans ce qu’on appelle « la télé réalité », assistera à plusieurs reprises au visionnage du film en cours de montage, et nombre de ses avis semblent avoir été suivis.

76  Voir à ce sujet la réponse de Peter Greenaway à la question de Daniel Ferrer dans l’entretien paru dans le numéro 3 de Genesis en 1993, p. 116.

77  Les trois premières séances de massage durent à elles seules plus de deux heures. À moins de réaliser un film expérimental, comme l’était par exemple celui de Paul Morrissey, Flesh (1968), produit par Andy Warhol, il n’était évidemment pas question d’exploiter intégralement ces séquences.

78  Contactée par téléphone, celle-ci nous a déclaré avoir refusé son accord, arguant du fait qu’il s’agissait pour elle, en dépit du caméscope, d’une conversation à caractère privé.

79  À cette lecture succède un dialogue entre le père et le fils, où c’est le premier qui, cette fois, filme le second.

80  Dans Mes parents, Guibert mentionnait déjà l’existence de ces films : « De ces trois années de vie de famille passées sans moi, je ne peux avoir le souvenir qu’à travers les films tournés par mon père, en 16 mm en noir et blanc avec la caméra Paillard de mon oncle Raoul que je possède aujourd’hui » (p. 17).

81  À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, p. 13. La transcription est établie à partir de la copie manuscrite effectuée par Maureen Mazurek, pour le réenregistrement des textes par Guibert en studio. Elle est complétée par le texte original pour les passages qui ont été supprimés.

82  Ibid., p. 14.

83  Voir plus haut. L’enregistrement de cette conversation est pur hasard : c’est un appel de son ami Thierry, qu’il avait tenté de joindre au théâtre où celui-ci travaillait, qu’il attendait, allongé sur son lit, le visage tourné vers la caméra, manière de répondre à la demande qui lui avait été faite de se filmer en gros plan.

84  Le Mausolée des amants, p. 413.

85  « Le caméscope branché sur automatique : presque l’œil humain. »

86  Ibid., p. 420 et 416.

87  Le Protocole compassionnel, p. 154 et 17.

88  Il s’agit du DDI, qui, mentionné dès l’ouverture du Protocole, prolongera quelque peu l’existence de l’écrivain et lui permettra en particulier d’écrire cette nouvelle autofiction.

89  La transcription respecte la ponctuation du texte publié et marque chaque coupure par un /.

90  Ibid., p. 111, 10, 9 et 14.

91  À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, p.15.

92  Le Protocole compassionnel, p. 15.

93  On pensera en particulier à L’Homme au chapeau rouge (1992), ainsi qu’au Paradis (1992).

94  Voir notamment son journal d’hospitalisation, Cytomégalovirus, publié de manière posthume en 1992.

95  Outre la réticence manifeste des chaînes de télévision françaises à diffuser le film, il semble que l’inertie de Guibert soit également à l’origine de ce délai. À ce propos, voir l’entretien d’Annick Peigné-Giuly avec Pascale Breugnot dans Libération, op. cit., p. 22.

96  « Hervé Guibert : “J’ai l’impression de survivre” », propos recueillis par Jérôme Garcin, L’Événement du Jeudi, 26 septembre 1991, p. 104-106. L’entretien sera republié le 2 janvier 1992 dans L’Événement du Jeudi sous le titre « Hervé Guibert, son dernier entretien ».

97  Voir Jean-Pierre Boulé, op. cit., p. 269.

98  « Hervé Guibert : “J’ai l’impression de survivre” », op. cit., p. 104-106.

99  « La chanson de Christophe (la danse triste) Retour Italie »

100  À plusieurs reprises, elle utilisera ce procédé d’enchaînement musical entre séquences, qui confère au film une grande fluidité.

101  Outre le détachement exprimé par Guibert dans l’entretien avec Jérôme Garcin, on remarquera encore que lors de l’émission « Ex-Libris », enregistrée le 28 février 1991, l’écrivain passe totalement sous silence l’existence du film, dont le montage vient pourtant de s’achever.

102  On notera que la mort fantasmée constitue chez Guibert un des lieux de l’autofiction. Ainsi, Fou de Vincent débute par le décès fictif du personnage éponyme, et Guibert fait mourir son père, en réalité bien vivant, à la fin de Mes parents.

103  « Je suis sorti épuisé de cette expérience, et comme modifié. Je crois que filmer a changé mon rapport à l’idée du suicide […] », dans Le Mausolée des amants, p. 414.

104  Le Protocole compassionnel, p. 100.