J’ai devant moi une page de manuscrit ; quelque chose qui participe à la fois de la perception, de l’intellection, de l’association – mais aussi de la mémoire et de la jouissance –, et qu’on appelle la lecture, se met en marche. Cette lecture, où vais-je, où puis-je l’arrêter ? Certes, je vois bien de quel espace mon œil part ; mais vers quoi ? Sur quel autre espace accommode-t-il ? va-t-il derrière le papier ? (mais derrière le papier, il y a la table). Quels sont les plans que toute lecture découvre ? Comment est construite la cosmogonie que ce simple regard postule ? Singulier cosmonaute, je traverse bien des mondes, sans m’arrêter à aucun d’eux : la blancheur du papier, la forme des signes, la figure des mots, les règles de la langue, les contraintes du message, la profusion des sens associés. Même voyage infini dans l’autre sens tout au long de celui qui écrit : du mot écrit, je pourrais remonter à la main, au muscle, au sang, à la pulsion, à la culture du corps, à sa jouissance. De part et d’autre, l’écriture-lecture s’épand à l’infini, engage tout l’homme, son corps et son histoire ; c’est un acte panique, dont la seule définition sûre est qu’il ne s’arrête nulle part.

R. Barthes, Variations sur l’écriture « Infini ». Œuvres complètes, vol. 3, p. 1564

Lorsqu’on se plonge dans le dossier de La Chambre claire conservé à l’IMEC1, on est d’abord frappé par la profusion des traces offertes au regard du généticien : les manuscrits sont comme un cas d’école pour une reconstitution des étapes matérielles du processus créateur. Et dans sa matérialité spectaculaire d’objet, le dossier est comme un manifeste de la toute-puissance de l’écriture, de l’écriture en tant que « technologie culturelle » de manipulation de supports et d’instruments graphiques en vue de la production d’un texte. Pour qui examine aujourd’hui le manuscrit, il y a en effet quelque chose de jubilatoire dans la manière dont Barthes jongle avec le papier, les ciseaux, le ruban adhésif, les agrafes, et avec les différents instruments d’écriture, depuis le stylo à plume dont l’encre bleue lumineuse donne sa texture d’ensemble aux manuscrits, jusqu’à la machine à écrire, en passant par différents types de stylos à bille et de feutres bleus, rouges et noirs. Par-delà le « plaisir de l’avant-texte » qu’il procure, ce paroxysme de l’écriture manuelle, dont Barthes n’est pas un cas unique à la même époque, n’est d’ailleurs pas sans susciter une certaine nostalgie : la rédaction de La Chambre claire est contemporaine de l’apparition des premiers micro-ordinateurs, et le même développement technologique qui a mis tous ces outils d’écriture à la disposition des écrivains était en train de faire advenir l’instrument d’écriture qui fera peut-être disparaître le manuscrit.

En même temps, on ne peut s’empêcher de faire un autre rapprochement en abordant ce dossier. La genèse de La Chambre claire, dont les manuscrits illustrent d’une manière aussi exemplaire les matériaux de la critique génétique et semblent appeler tout naturellement la mise en œuvre de ses méthodes, est aussi strictement contemporaine des premiers pas publics de celle-ci : les Essais de critique génétique, premier manifeste public de la nouvelle école critique, paraissent en 1979. Or la critique génétique n’aurait certainement pas pu naître sans les déplacements que le structuralisme a fait subir à la notion de texte, et sans la mise en mouvement des concepts critiques classiques dont Barthes est un des principaux initiateurs. L’application des concepts et de la méthodologie génétiques à un corpus de Barthes a donc quelque chose d’une mise en abyme troublante, puisque Barthes ne paraît pas avoir « rencontré » les manuscrits d’écrivains2.

Enfin, La Chambre claire est la dernière œuvre de Barthes, et sans doute l’une de celles où il est particulièrement difficile de tracer une frontière entre l’activité du savant et le libre fonctionnement d’une intelligence et d’une sensibilité individuelles3. D’une manière beaucoup plus marquée que d’autres textes de Barthes, elle s’inscrit dès l’incipit dans la plénitude d’un je qui prend en charge la réflexion : « Un jour, il y a bien longtemps, je tombai sur une photographie du dernier frère de Napoléon. » Barthes choisit donc de ne pas nous donner le résultat de son travail sur la photographie – ce serait un texte théorique placé sous le signe du discours intemporel et impersonnel de la science – mais de raconter la genèse de sa réflexion sur la photographie. Autre mise en abyme pour la génétique appliquée aux manuscrits de La Chambre claire, puisqu’il s’agit de reconstituer la genèse d’un texte qui se présente comme le récit de sa propre genèse.

On n’aura pas la prétention ici de mener une analyse exhaustive du dossier génétique de La Chambre claire. On se contentera de quelques aperçus. Après une brève présentation des différents éléments constituant le dossier, on étudiera d’abord la mise en place énonciative de la genèse racontée au fil des étapes de la genèse attestée. On verra que cette première analyse débouche sur une énigme : pourquoi ce mode d’exposition ? Question prématurée, qu’on tentera de contourner en la remplaçant par celle du « comment ? » On s’attachera donc à la genèse « montrée », celle qui saute aux yeux dans les manuscrits, et on tentera d’illustrer par quelques exemples comment Barthes écrit. Ce premier travail génétique laisse lui aussi insatisfait, comme si la genèse « véritable » était masquée par la densité des traces matérielles sensibles. On abordera alors une autre genèse, plus souterraine, dont d’autres éléments du dossier conservent la trace.

Le corpus

Il est très riche, et semble très complet. L’IMEC conserve en premier lieu un ensemble de manuscrits et de dactylographies qui correspondent aux phases centrales de la genèse, du début de la rédaction à la « copie pour impression » remise à l’éditeur. Pour la série des manuscrits, on y trouve d’une part un dossier intitulé par Barthes « Chutes Premier brouillon » qui compte 15 feuillets ou fragments de feuillets, et d’autre part le manuscrit autographe lui-même, constitué de 57 feuillets. Grâce aux dates mentionnées par Barthes sur le manuscrit (ces indications sont d’ailleurs reprises à la fin du texte dans l’édition imprimée), on sait que la rédaction a commencé à Urt le 15 avril 1979, et qu’elle s’est achevée à Paris le 3 juin de la même année.

Pour la série des dactylographies, le corpus en comporte trois, réalisées par Barthes lui-même entre la mi-juin et la mi-juillet. Barthes a désigné par « Copie 0 » la première, de 73 feuillets ; la deuxième, appelée « Copie 1 », en comporte 75 ; enfin la « Copie pour impression » déjà mentionnée compte 72 feuillets. Cette mise au net du texte manuscrit n’est pas un simple recopiage : d’une dactylographie à l’autre, de nombreuses corrections et ajouts montrent que la genèse ne s’achève vraiment qu’avec la publication de l’ouvrage. Seuls manquent les jeux d’épreuves corrigées qui n’ont pas été retrouvés à ce jour. La réunion des Chutes, du manuscrit et des trois dactylographies constitue néanmoins un témoignage remarquablement complet sur l’écriture de l’œuvre.

Mais il y a plus. Outre ce dossier, on peut en effet consulter aussi l’ensemble des fiches rassemblées par Barthes en vue de la rédaction de La Chambre claire4. Les quelque 432 fiches ainsi rassemblées sont conformes au type général des fiches confectionnées par Barthes. Bien que peu d’entre elles soient datées, on comprend qu’il s’agit à la fois de prélèvements effectués sur le fichier général accumulé par Barthes depuis sa jeunesse, et de notes spécifiquement consacrées à la photographie et prises par Barthes en vue de la préparation de La Chambre claire.

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Figure 1

On trouve ainsi une fiche (foliotée [48] par l’IMEC) datée « Rabat 10 juin 70 », écrite au stylo dans une encre bleu sombre, portant au crayon les entrées « J’aime / pas », « Incidents » et « Pathos » (cf. la figure 1). Elle voisine avec une fiche datée « 28 Juin 78 » sur la mort de sa mère et le deuil, ou des fiches portant sur des photographies reproduites dans le numéro 138 (mars 1979) du magazine Photo. On reviendra plus loin sur certaines de ces fiches, et sur leur rôle dans la genèse.

La genèse : récit

On le sait, Barthes a toujours insisté sur la place éminente que Benveniste occupe à ses yeux dans la réflexion linguistique. Parmi beaucoup d’autres références possibles, on rappellera par exemple le compte rendu des Problèmes de linguistique générale publié en mai 1966 dans La Quinzaine littéraire5, ou les remarques que Barthes consacre à la temporalité et la personne en 1966 lors d’un colloque à l’Université Johns Hopkins6, ou encore les pages consacrées à Benveniste dans l’« Introduction à l’analyse structurale des récits »7. Et dans cet hommage à la pensée de Benveniste, la construction par celui-ci de l’opposition entre histoire et discours occupe une place centrale.

Il s’agit là toutefois du Barthes sémiologue et théoricien de la littérature. Il est a priori beaucoup plus surprenant de constater que le fichier de La Chambre claire comporte deux fiches consacrées à Benveniste. Il s’agit des fiches [287] et [288]. Non datées, elles sont rangées dans le fichier sous la rubrique « Informations ». Elles reprennent, en le synthétisant à peine, le texte de l’article fondamental de Benveniste sur l’opposition histoire/discours, en faisant référence à la publication en recueil de 1966. Voici la transcription intégrale de ces deux fiches :

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Arrêtons-nous un instant sur ces fiches. La première est un recopiage presque littéral d’un passage de la page 244 et d’une phrase de la page 245 des Problèmes de linguistique générale. La seconde reprend, d’une manière là aussi presque littérale, un paragraphe de la page 239, et paraphrase la formule de Benveniste désignant l’aoriste comme le « temps historique par excellence ». De même, l’ajout placé verticalement dans la marge gauche de la fiche est une reprise d’une phrase de Benveniste, qui affirme p. 243 que « l’aoriste ne s’emploie pas dans la langue parlée, il ne fait pas partie des temps verbaux propres au discours ». En revanche, un autre passage de Benveniste, pourtant capital dans la définition du type histoire, n’est pas repris ; c’est celui qui porte lui sur l’exclusion des formes de première et de deuxième personne. Dans l’ouvrage de Benveniste, il figure pourtant sur la même page que les développements sur les temps verbaux, et il a été exploité par Barthes lui-même, par exemple dans « Ecrire, verbe intransitif ? ».

Les fiches 287 et 288 ne sont pas datées, mais il est peu vraisemblable qu’elles aient été confectionnées spécifiquement pour le travail de La Chambre claire. En effet, comme on l’a vu, il existe de nombreux commentaires explicites de Barthes sur les analyses de Benveniste dans des textes bien antérieurs. Il est donc beaucoup plus plausible de supposer que ces fiches datent de l’époque où Barthes a lu les Essais de linguistique générale – donc de 1966. Seule une consultation de l’ensemble du fichier permettrait de vérifier si Barthes a rédigé d’autres fiches consacrées à Benveniste8, et notamment s’il a annoté aussi les analyses énonciatives de Benveniste sur le système des personnes dans l’opposition histoire/discours. En tout cas, il est vraisemblable que ces deux fiches ont été prélevées à l’intérieur du fichier « général » au moment où Barthes a entrepris la rédaction de son ouvrage sur la photographie. Pourquoi ce prélèvement ? Même si on peut trouver à l’occasion une allusion à l’aoriste (chapitre xx) dans le texte de La Chambre claire, celle-ci est trop fugitive pour justifier à elle seule la présence de ces fiches dans le fichier correspondant. En quoi l’œuvre est-elle concernée par l’opposition dégagée par Benveniste ?

A cet égard, les caractéristiques énonciatives de l’incipit méritent qu’on s’y arrête un instant. Le texte se présente comme un récit à la première personne :

Un jour, il y a bien longtemps, je tombai sur une photographie du dernier frère de Napoléon […] Je me dis alors, avec un étonnement que depuis je n’ai jamais pu réduire : […] Je parlais parfois de cet étonnement, mais comme personne ne semblait le partager […] la vie est ainsi faite à coups de petites solitudes), je l’oubliai. Mon intérêt pour la Photographie prit un tour plus culturel. Je décrétai que j’aimais la Photo contre le cinéma […]. Cette question insistait. J’étais saisi à l’égard de la Photographie d’un désir « ontologique » : je voulais à tout prix savoir ce qu’elle était « en soi » […] Un tel désir voulait dire qu’au fond, […], je n’étais pas sûr que la Photographie existât, qu’elle disposât d’un « génie » propre.

Qui pouvait me guider ?

Dès le premier pas, […] la Photographie se dérobe. Les répartitions auxquelles on la soumet sont […]. On dirait que la Photographie est inclassable. Je me demandai alors à quoi pouvait tenir ce désordre.

Je trouvai d’abord ceci. Ce que la Photographie reproduit à l’infini n’a eu lieu qu’une fois : elle répète mécaniquement ce qui ne pourra jamais plus se répéter existentiellement. […] C’est pourquoi, autant il est licite de parler d’une photo, autant il me paraissait improbable de parler de la Photographie.

On le voit, la succession des temps verbaux inscrit explicitement le texte dans le registre de l’histoire tel que Benveniste le définit par opposition au discours, et ces premières pages (à l’exception du passé composé de « que depuis je n’ai jamais pu réduire ») sont comme un exercice de style sur la catégorisation résumée dans la fiche 288, depuis l’insistance des formes d’aoriste jusqu’aux présents « dits de définition » pour caractériser la photographie. En revanche, le je inscrit tout aussi explicitement le texte dans « l’énonciation de discours » analysée par la fiche 287, et certaines formes assurent l’ancrage par rapport au présent actuel du locuteur : il y a bien longtemps, depuis. Les formes de la personne établissent bien, comme la fiche 287 le dit du parfait, « un lien vivant entre l’événement passé et le présent où son évocation trouve place ». Dès lors, cette tension entre deux positions énonciatives normalement disjointes paraît définir ce qui se présente au lecteur comme un récit autobiographique portant sur la genèse d’une réflexion sur la photographie.

Si visible qu’elle soit, cette présence d’un « je » autobiographique dans le texte publié reste limitée à la seule présence de la première personne grammaticale. Il n’en va pas de même dans les avant-textes. En effet, dans un premier état du texte, l’incipit est le suivant :

Depuis longtemps, je m’intéressais à la Photographie. J’avais décrété que je l’aimais contre le cinéma, dont je n’arrivais pas, cependant, à la séparer. J’étais saisi, à son égard, d’une sorte d’envie ontologique : je voulais à tout prix savoir ce qu’elle était « en soi » […] Bref, je m’obstinais à vouloir trouver à la Photographie sa spécialité […]. »

Sans doute, la première phrase n’est pas « Longtemps je me suis intéressé à la Photographie », même s’il y résonne un écho de l’incipit proustien. Mais la présence insistante de la forme je, jointe à l’absence de formes d’aoriste, dont la fiche 287 rappelle qu’il n’est pas admis dans l’énonciation de discours, souligne la prégnance du repérage par rapport aux paramètres du locuteur. Cette dimension autobiographique est d’ailleurs manifeste dans la suite du manuscrit, où le contenu de l’énoncé consacré au « je » vient corroborer les marques énonciatives :

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On notera que la référence à un attribut personnel (« je ne suis en rien un photographe amateur ») apparaît au fil de la plume, mais disparaît aussitôt au profit d’une notation moins visiblement autobiographique.

Dans le second état manuscrit, le texte trouve pour l’essentiel sa forme définitive par l’expansion et la transformation de la première phrase. « Depuis longtemps » disparaît au profit de « Un jour, il y a bien longtemps ». Les formes d’aoriste précèdent désormais les imparfaits, et la dimension du récit est maintenant bien marquée. A ce stade du manuscrit, le passage centré sur le rapport personnel du narrateur à la photographie est repris. En revanche, il disparaîtra lors de la dactylographie, qui verra aussi la suppression de l’alllusion à l’« impression pénétrante, parfois douloureuse jusqu’au déchirement » qui lie le « je » à « certaines photos ». Du point de vue de l’opposition histoire/discours, on peut donc résumer le parcours génétique de l’incipit comme une atténuation progressive du caractère autobiographique de la présentation. Il est toutefois significatif que l’effacement le plus décisif n’intervienne qu’au moment de la mise au net, soit après la fin du travail de rédaction proprement dit. Tout se passe comme si, une fois l’architecture d’ensemble du livre stabilisée, les références trop personnelles avaient paru déplacées dans cette ouverture. On peut supposer en particulier qu’à partir du moment où Barthes a mis en scène et analysé ces photographies auxquelles il était lié par un « charme étrange », et en particulier la photographie de sa mère dans le Jardin d’Hiver, la mention de l’émotion suscitée par « certaines photos » devenait à la fois trop allusive et trop personnelle à cet endroit du récit.

Dès lors, on peut suggérer l’hypothèse d’un lien entre la présence des deux fiches Benveniste dans le fichier, l’absence de notes sur le système des personnes et l’évolution génétique de l’incipit. Si, en effectuant le prélèvement des fiches Benveniste dans le fichier général, l’objectif de Barthes avait été de relancer une discussion de théorie linguistique, il n’aurait probablement pas limité sa sélection au seul problème des temps du récit, mais inclus le problème de la personne dans sa réflexion. En revanche, on ne peut se défendre d’imaginer que la relecture et l’intégration des fiches Benveniste, loin d’avoir une finalité réflexive, répondait à une raison pratique, liée à la genèse même du texte : dans le travail de mise en place du registre narratif propre à La Chambre claire, les analyses de Benveniste ont peut-être aidé Barthes à résoudre un problème d’écriture. Dans ce cas, il aurait en quelque sorte utilisé Benveniste pour rendre le texte de La Chambre claire possible.

A ce stade de notre présentation, cette explication garde évidemment un caractère hypothétique, incomplet et provisoire. Nous y reviendrons.

La genèse de papier

Venons-en maintenant à une genèse beaucoup plus « visible » : celle qui s’impose au regard dès qu’on ouvre le dossier contenant les manuscrits et les dactylogrammes. En 1973, Barthes a raconté ses « pratiques de travail » dans un entretien avec Jean-Louis de Rambures9. Il y avoue d’abord avoir « un rapport presque maniaque avec les instruments graphiques » et après avoir cité les stylos, les pointes feutres, dont il s’est « lassé, parce qu’elles ont le défaut d’épaissir un peu trop vite », la plume, il reconnaît avoir « tout essayé… sauf la pointe Bic ». Evoquant ensuite le « processus de création », il affirme qu’il comporte chez lui deux stades : « j’écris tout d’abord le texte entier à la plume. Puis je le reprends d’un bout à l’autre à la machine (avec deux doigts parce que je ne sais pas taper) ». De fait, les manuscrits et les dactylogrammes montrent une diversité d’instruments graphiques remarquable, corrélée aux différentes phases du travail – et on verra que celui-ci est plus diversifié que la description que Barthes en donne à Rambures. Et d’abord, un stylo plume à encre bleue pour l’écriture cursive, celle du manuscrit – mais aussi celle d’un grand nombre de fiches, qui gardent la trace de stylos et d’encres différents. Mais contrairement à son affirmation, Barthes utilise aussi des stylos à bille, en tout cas pour certains ajustements textuels sur le ruban adhésif qui assemble des fragments découpés. A la relecture, il utilise un feutre noir et un feutre bleu épais pour des ratures oblitérantes qui rendent d’ailleurs le texte biffé pratiquement illisible. Il recourt au crayon noir pour des références qu’il note dans la marge de son manuscrit, mais aussi pour quelques corrections. Un stylo rouge lui sert à tracer certains signes de renvoi, notamment pour désigner le point d’insertion d’une paperole collée. Certains détails, comme les dates de rédaction, sont cerclés au crayon rouge. Lorsqu’au fil de la genèse, les modifications dans le découpage des chapitres entraînent un changement dans la numérotation, l’indication ancienne est corrigée avec un effaceur fluide blanc. Enfin, Barthes se sert d’un feutre rouge à pointe fine pour des ajouts dans les marges du sommaire.

On peut donc bien parler, comme il le fait lui-même, de « pulsion graphique, aboutissant à un objet calligraphique », celui-là même qui fait le bonheur du généticien par la richesse des traces visibles.

Mais de toute évidence, les outils d’écriture de Barthes ne se limitent pas aux seuls instruments graphiques : il travaille aussi avec des ciseaux, du ruban adhésif et une agrafeuse, avec lesquels il procède à une écriture-montage dont le mécanisme anticipe le « couper-copier-coller » de nos modernes traitements de texte. Le feuillet [3] des Chutes offre un bon exemple de cette pratique de découpage et de réassemblage. Il est constitué de plusieurs morceaux de papier assemblés par agrafage et collage. D’abord, un premier feuillet 21 x 29,7 blanc, dont le bas porte le texte suivant :

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Dans la deuxième ligne, entre les mots « seule » et « cette visée », un « 7 » dans un rond a été passé au blanc.

Sur ce feuillet (que nous appellerons numéro 1), est agrafé et collé avec du ruban adhésif un morceau de papier blanc découpé (numéro 2) qui ne porte pas lui-même d’écriture, mais sert seulement de support pour deux autres morceaux de papier que nous numéroterons 3 et 4. En haut du morceau numéro 3 est agrafé le morceau numéro 4, qui porte le texte du chapitre 6 jusqu’à « et cela me mettait en colère. J’étais amené à me » suivi d’une flèche horizontale. En-dessous, le morceau numéro 3 porte le texte qui commence par « Car je ne pensais qu’au référent » et se termine par « ou mes photos, ou la Photographie. ».

Enfin, une paperole (numéro 5) est collée dans le premier tiers de la marge du feuillet numéro 1.

Le schéma d’assemblage des différents morceaux de papier est le suivant (pour des raisons de lisibilité, les rectangles ne sont pas proportionnels aux dimensions réelles) :

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Voici maintenant la transcription complète du texte figurant sur les morceaux numéros 3 et 4.

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Quant au texte de la paperole (ici n° 5), il est le suivant :

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Le texte provisoirement définitif au terme de cette étape génétique est donc constitué d’un montage et d’un copiage de fragments prélevés ailleurs. Les choses sont en réalité plus complexes encore. On trouve en effet dans le fichier un fragment de feuillet 21 x 29,7, plus grand que les fiches standards, dont le texte est le suivant :

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On voit sans peine que du point de vue textuel, ce fragment est la suite du développement contenu dans le morceau numéro 3 : celui-ci se termine par la phrase biffée : « J’étais de la sorte renvoyé à un dilemme : ou mes photos, ou la Photographie. » par laquelle finissait le chapitre 6. Le fragment transféré dans le fichier enchaîne très logiquement par la numérotation du chapitre 7, et par la phrase : « Je savais bien que ce dilemme est général ».

Cette hypothèse textuelle est corroborée par une vérification matérielle : le découpage du bas du fragment de papier numéro 3 et celui du haut de la « fiche » 73 bis s’assemblent parfaitement. Il s’agit donc d’un même feuillet qui a été découpé.

à vérifier !

L’analyse de ce feuilletage matériel et textuel permet de reconstituer les opérations génétiques suivantes. Il a existé un état du brouillon dans lequel un même feuillet portait à la fois la fin du chapitre 6 et le début du chapitre 7. Ultérieurement, ce feuillet a été coupé en deux. La partie supérieure (notre morceau n° 3) a été conservée et intégrée dans une recomposition d’ensemble du passage. La partie inférieure a été éliminée du dossier de La Chambre claire et reversée dans le fichier10. Quant au morceau n° 4, il a été prélevé sur un feuillet dont le reste manque, et assemblé avec le texte du morceau n° 3, l’ensemble constituant le chapitre 6, que Barthes a collé sur le morceau de papier n° 2. Il a collé le tout sur le morceau de papier n° 1. Dans un premier temps, il a envisagé de poursuivre immédiatement par le chapitre 7, comme le montre le chiffre passé au blanc dont la trace reste visible sur le morceau n° 1. Il a ensuite ajouté au chapitre 6 le texte qui figure maintenant au bas du morceau numéro 1, et commencé le chapitre 7. Il faut donc supposer qu’avant l’état qui nous est conservé par le feuillet 3 des Chutes, il a existé au moins un état de ce passage. Néanmoins, c’est l’état atteint par l’élaboration textuelle dont ce feuillet conserve la trace que Barthes lui-même désigne comme un « premier brouillon » en en rangeant les « chutes » dans une chemise.

De fait, la mise en regard des Chutes et du Manuscrit permet de reconstituer, pour tout le début de La Chambre claire, un premier brouillon cohérent qui, dans l’archive actuelle, est démembré en feuillets et fragments conservés dans la chemise « Chutes premier brouillon », tandis que d’autres feuillets et fragments ont été intégrés au Manuscrit par déplacement du support (montage et collage) et/ou recopiage.

Déplacement par recopiage : on découvre que le feuillet 15 des Chutes est paginé 3 et correspond à un chapitre numéroté 5 par Barthes. Il faisait suite dans le « premier brouillon » à ce qui constitue maintenant le feuillet 5 du Manuscrit, paginé 2, sur lequel on reconstitue un 4 cerclé d’un rond qui a été passé au blanc. Or, le texte des Chutes n’a pas disparu : Barthes l’a recopié11 à la fin de l’œuvre, à l’intérieur du chapitre 50 du Manuscrit. Voici les deux transcriptions correspondantes, qui illustrent la manière dont Barthes travaille la matière textuelle au cours de ce qu’il désigne lui-même, on l’a vu, comme une activité « calligraphique ». : on constate que, par rapport au déplacement à la fin d’un texte initialement situé au début de l’ouvrage, les réécritures opérées par Barthes au cours de ce recopiage sont minimes.

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Déplacements par montages et collages : on en a vu un exemple complexe avec le feuillet 3 des Chutes, dont le texte sera ensuite recopié dans le Manuscrit avec un certain nombre de réécritures qui ne remettent pas en question l’enchaînement textuel dans son ensemble12. On évoquera encore un autre exemple, très spectaculaire en raison de la parfaite convergence entre les indices codicologiques et les indices textuels.

Voici un fragment de papier collé sur le feuillet 11 du Manuscrit. Le bord inférieur est découpé de manière irrégulière.

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Voici maintenant le manuscrit du feuillet 11 des Chutes. Le bord supérieur du fragment de papier est découpé de manière irrégulière. Les caractères de la première ligne, partiellement coupés et raturés, sont difficilement déchiffrables.

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Sur le plan codicologique, on constate que le découpage du bord supérieur de ce fragment est parfaitement complémentaire de celui du bord bas du fragment collé sur le feuillet 11 du manuscrit: les deux bords s’assemblent parfaitement. On découvre aussi que les ratures au feutre noir qui oblitèrent une partie de la première ligne du fragment 11 se prolongent dans le bas du fragment collé sur le feuillet 11 du Manuscrit. La continuité textuelle des deux fragments est tout aussi flagrante : « mon corps ne trouve jamais son degré zéro, personne ne le lui donne (en tout cas, pas la Photographie (peut-être) peut-être ma mère ) ?) ».

On peut poursuivre la reconstitution du puzzle. On découvre que le bord inférieur du fragment 11 des Chutes s’ajuste parfaitement au bord supérieur du premier fragment collé sur le feuillet 9 du Manuscrit. Les indices textuels sont cette fois plus ténus (le découpage coïncide avec un changement de paragraphe) ; on relève toutefois la reprise de « malaise » par « trouble ». Mais les indices graphiques sont discriminants : on trouve sur le fragment 11 l’extrémité de la boucle haute du d du mot « droit », ainsi que le point sur le i.

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De proche en proche, on finit donc par reconstituer un feuillet démembré par Barthes au moment du passage du « premier brouillon » au « manuscrit »13.

Plus globalement, en réassemblant des feuillets qui se trouvent actuellement dans le dossier Chutes etdans le dossier Manuscrit, on peut reconstituer toute la séquence des premières pages du « premier brouillon » jusqu’à la page 1114.

Si exemplaire que soit ce parcours sur le plan méthodologique, on est pourtant saisi d’un doute : est-on certain qu’en suivant les traces de ce travail artisanal, on capture ce qui serait l’essence même du processus créateur ? Appliquant aux manuscrits des brouillons ce que Barthes lui-même écrit de la photographie, on ne peut se défendre de l’impression que comme les photos, les manuscrits nous disent de la genèse que « cela a été »15, mais que, par delà son « adhérence », le référent graphique du Manuscrit et des Chutes masque la genèse autant qu’il la dévoile : en confinant l’analyse génétique dans l’espace-temps fermé de la rédaction (« Urt 15 avril 1979 – Paris 3 juin 1979 »), il tend au généticien le miroir trop complaisant des indices et des traces accumulées dans les brouillons, au risque de lui faire oublier que la genèse a commencé bien plus tôt, au sein d’un autre espace d’écriture.

C’est précisément cette genèse plus longue et plus intime que les archives Barthes déposées à l’IMEC permettent d’entrevoir, à travers le fichier associé au dossier de La Chambre claire.

La genèse intime

Une précision s’impose d’emblée. Le fichier n’est pas un espace externe, qui constituerait une annexe secondaire du manuscrit. Comme le rappelle Nathalie Léger, le fonctionnement du fichier « désigne et localise une expérience d’écriture […] non pas marginale ou tangentielle à l’œuvre comme peut l’être celle du journal intime, mais sol, fondement, substrat »16.

Lire, penser, écrire

Sol et fondement : tel est bien d’abord le statut des fiches qui engrangent dans un espace de mémoire active aussi bien les réflexions au jour le jour de Barthes lui-même que le produit des lectures qu’il a accumulées au fil de sa vie depuis les premières fiches suscitées par la lecture de Michelet. Le fichier associé à La Chambre claire est très éclairant à cet égard.

On trouve par exemple, agrafées ensemble (fiche 130), deux fiches intitulées l’une « Non réduction », l’autre « Pas de généralisation ». Toutes deux contiennent des réflexions sur l’emploi du mot Maman et son statut linguistique qui ne seront pas exploitées directement dans la rédaction de La Chambre claire, puisque Barthes y emploie systématiquement l’expression « ma mère ». Comme le rappelle Nathalie Léger à propos du fichier comme archive17, c’est la mort de Barthes qui les a définitivement arrêtées à cet emplacement dans le fichier de La Chambre claire, mais tout donne à penser qu’elles auraient pu être reprises ultérieurement, à l’occasion d’un autre travail d’écriture.

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Ces fiches personnelles voisinent dans le fichier avec des fiches suscitées par une lecture. On trouve par exemple côte à côte deux fiches « Unaire » (fiches 88 et 89). La première est datée de 1972. Sans référence bibliographique précise, elle porte sur la notion de transformation unaire en grammaire générative. Certainement rédigée à l’occasion d’une lecture linguistique de Barthes, elle revêt un caractère assez technique et concerne la définition de ce type de transformations et ses formes dans la grammaire. Verticalement dans la marge gauche, Barthes a ajouté – certainement lorsqu’il a prélevé cette fiche au sein de son fichier d’ensemble pour s’en servir à propos de la photographie – : « Photo unaire = emphatique ».

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Sol et substrat : dans le recours à une notion de la théorie chomskyenne pour analyser la photographie, ce n’est pas à proprement parler la référence linguistique qui est en jeu, mais bien plutôt la stimulation intellectuelle que les deux mots transformation et unaire accolés dans une fiche ancienne provoquent chez Barthes, leur résonance, qui provoque leur exportation vers l’analyse de la photographie.

L’autre fiche, non datée, est forcément contemporaine de la rédaction de La Chambre claire, puisqu’elle résulte de la lecture du numéro 38 du magazine Photo, paru en mars 1979. Elle est comme une application de la fiche précédente aux photographies de William Klein reproduites dans le magazine : les deux photos n’ont qu’un seul signifié, elles sont donc unaires.

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On citera encore la fiche 90, qui suit dans l’ordre du fichier les deux fiches qu’on vient de décrire. Ecrite au crayon, elle s’intitule « Forme brève », et elle a pour texte : « La texture = unaire », suivi de « la  comme forme » ; une flèche part du  vers « la Fulguration ».

L’ensemble ordonné de ces trois fiches constitue en même temps une première esquisse du chapitre 17. Barthes y décrit « un type de photo très répandu […] qu’on pourrait appeler la photographie unaire ». Et il poursuit : « Dans la grammaire générative, une transformation est unaire, si, à travers elle, une seule suite est générée par la base : telles sont les transformations : passive, négative, interrogative et emphatique. La Photographie est unaire lorsqu’elle transforme emphatiquement la “réalité” sans la dédoubler ». Ce ne sont finalement pas les photos de William Klein qui seront retenues pour une analyse du studium, mais des photos du Hollandais Koen Wessing. Mais le chapitre 17 se termine par une référence au « grain du tissu » dans certaines photographies pornographiques de Mapplethorpe, écho direct et inversé18 de la fiche 90.

On notera la manière dont la rédaction transforme le style télégraphique et les abréviations de la fiche en phrases par l’introduction d’un « liant » syntaxique minimal. Là où la fiche 88 place les uns au-dessous des autres une série de syntagmes nominaux en les faisant précéder du signe « = », le texte – et ce dès le manuscrit – les assemble avec la seule copule, et transforme le premier « = » en « dans la », le second en « si, à travers elle », le troisième en « telles sont » précédé de deux points. On observe des phénomènes similaires dans les dossiers des Cours de Barthes au Collège de France, pour lesquels on peut comparer la parole prononcée aux notes manuscrites rédigées par Barthes en vue du cours19.

Symétriquement, la fiche 199, classée derrière le signet « Informations », et la fiche 26, placée elle au début du fichier, illustrent la manière dont Barthes élimine le tissu phrastique lorsqu’il prend des notes. La fiche 199 n’est pas manuscrite ; Barthes a agrafé ensemble deux morceaux d’un article de F. Vezin sur « Proust et les Philosophes » paru en janvier 1969 dans le numéro 44 du Magazine littéraire. Le texte de la colonne de gauche est consacré à une remarque de Proust à propos de la photographie dans A l’ombre des jeunes filles en fleur. La colonne de droite est agrafée à côté, le texte en est encadré, et Barthes a écrit au crayon au-dessus du texte : « répartir ». La fiche 26 est à l’évidence un résumé de la fiche 199. Les réductions opérées sur le texte de F. Vezin sont directement homologues du tissage discursif dans la transformation de la fiche 88 en texte.

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Un seul espace d’écriture

Les fiches ne sont pas seulement le substrat de l’écriture. La frontière entre le fichier et les manuscrits n’est pas étanche, de sorte que certaines fiches sont à bien des égards un espace de travail de même nature que le brouillon. Trois cas sont à distinguer. Le premier est illustré par l’analyse du feuillet 3 des Chutes où on a vu qu’un fragment de brouillon rejeté au cours du travail de composition et de réassemblage trouvait sa place au sein du fichier. Le deuxième est inverse : certaines fiches comportent des passages rédigés dont l’écriture n’est pas différente de celle du manuscrit. Voici par exemple la fiche 30, qui a le même format que les autres fiches, et qui, comme les Chutes et le Manuscrit, est écrite au stylo à plume à encre bleu clair.

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Enfin, – et c’est le troisième cas – certaines paperoles sont visiblement des fiches, dont elles ont le format et la mise en page. Ainsi, des deux paperoles agrafées sur le feuillet 5 des Chutes, l’une est à l’origine le recopiage d’une pensée de Leibniz, notée sur une fiche au stylo à bille bleu. Elle a été greffée sur le texte avec un ajustement mineur : Barthes a tracé au crayon l’astérisque, ajouté « Un ami me rappelle cette pensée de » et la parenthèse.

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Il n’y a rien d’énigmatique à voir une fiche migrer pratiquement telle quelle dans le manuscrit, ou, inversement, à suivre le mouvement d’un fragment de rédaction qui, au lieu d’être purement et simplement éliminé ou rejeté dans un dossier de « chutes », est transformé en fiche parce qu’il est le matériau d’un travail ultérieur possible. En revanche, une analyse plus fouillée serait nécessaire pour comprendre dans quelles circonstances particulières l’écriture – non pas l’écriture sténographique, mais la mise en texte elle-même – peut choisir le support des fiches plutôt que celui, plus usuel, du feuillet 21 x 29,720.

La douleur et l’écriture

L’examen du fichier de La Chambre claire fait surtout apparaître une donnée qui n’est perceptible dans les manuscrits – et  a fortiori dans le texte – que sous une forme indirecte et médiatisée par la trame discursive : il s’agit de la relation très forte que la rédaction du livre par Barthes entretient avec la mort de sa mère. Le fichier donne accès ici à des données qu’on ne peut nommer autrement qu’intimes, et dont beaucoup d’éléments permettent de dire qu’elles constituent probablement une clé pour une genèse plus secrète que la genèse de papier, mais aussi sans doute plus déterminante pour une compréhension du texte en profondeur. Nombre de fiches sont en effet comme un journal au jour le jour de la souffrance que cette mort a provoquée, de la difficulté qu’elle a entraînée pour l’écriture, et de la solution que celle-ci a finalement apportée à la crise intérieure.

Certes, toute la construction du livre est centrée sur la photo du Jardin d’hiver, et le texte contient à plusieurs reprises des amorces d’effusions qui guident un lecteur attentif vers ce focus central. Mais, comme on l’a vu dans certains des exemples analysés ici21, le caractère intime et privé de ces effusions est bridé lors de la rédaction, et le texte publié ne déroge pas à l’harmonique fondamental d’un discours mêlant subtilement la « science » et l’égotisme. Les fiches sont beaucoup plus directes dans l’expression du deuil, et projettent sur la genèse de La Chambre claire un éclairage de souffrance beaucoup plus cru.

La douleur est présente dans certaines fiches à l’état brut, dans sa violence première, si forte qu’elle menace visiblement l’écriture elle-même. On notera que l’une de ces fiches (fiche 116) est datée du 28 juin 1978, soit près de huit mois avant la date « officielle » que Barthes appose en tête du premier feuillet du premier brouillon. Une autre (fiche 115), qui la précède immédiatement dans le fichier, en est visiblement contemporaine22.

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Progressivement, l’écriture finit par être la plus forte dans sa lutte avec la douleur. Les fiches 110 et 113 ne sont pas datées, mais montrent que Barthes a triomphé de la « matité de plomb » de la fiche 116 et renoué avec le verbe. Ce progrès de la catharsis se prolonge au fil de la genèse jusque dans le manuscrit. La comparaison de la fiche 112 et du manuscrit est à cet égard exemplaire. Là où la fiche n’est qu’incertitude (« je ne savais pas comment », « je ne savais pas si ») et supputation (« je pensais que je souffrirais moins si »), le texte du manuscrit (bas du feuillet 32) affirme (« je décidai ») et tranche l’incertitude dans le vif, prouvant ainsi que les promesses de l’écriture annoncées par la fiche 113 ont bien été tenues.

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On trouve enfin plusieurs fiches où la catharsis paraît être parvenue à son terme : la douleur, domestiquée, figure désormais sous le mot-vedette « affect ». On a déjà cité la fiche 24 sur les rapports des « savants » à l’affect. En voici trois autres, qui sont comme un écho maîtrisé des fiches précédentes.

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La transcription de la fin du chapitre 8 dans le Manuscrit (feuillet 13) et les dactylographies montrent d’ailleurs comment la brutalité du syllogisme de la fiche 25 est doublement adoucie au fil de la genèse : elle l’est d’abord par l’effacement du verbe souffrir lui-même ; elle l’est aussi dans le passage au texte définitif par l’intégration, sous forme de quasi-citation précédée de deux points, du syllogisme au présent dans le régime discursif global des imparfaits, qui en atténue la valeur de vérité intemporelle en la situant comme un moment dans le récit dont Barthes se fait le narrateur.

Bien sûr, ces ajustements sont en parfaite harmonie avec le « ton » d’ensemble de La Chambre claire, avec son registre énonciatif, et avec le mode d’appréhension que Barthes a choisi pour la Photographie. Rappelons le principe énoncé à la fin du chapitre 31 : « ne jamais réduire le sujet que j’étais, face à certaines photos, au socius désincarné, désaffecté, dont s’occupe la science », ce qui implique le refus de recourir à la sociologie, à l’histoire, à la sémiologie ou à la psychanalyse. On ne saurait oublier non plus la fin de la première partie et son histoire génétique. Le texte publié est le suivant : « Je devais descendre davantage en moi-même pour trouver l’évidence de la Photographie, cette chose qui est vue par quiconque regarde une photo, et qui la distingue à ses yeux de toute autre image. Je devais faire ma palinodie ». C’est aussi le texte qu’on lit au feuillet 27 du manuscrit.

Or ce feuillet a fait l’objet d’un montage. Un chapitre initialement numéroté 36, puis renuméroté (mais les ratures rendent les chiffres illisibles) a été recouvert par un fragment de feuillet à en-tête de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes retourné (on lit cet en-tête à l’envers et en transparence). C’est sur ce papier collé que Barthes a écrit le texte du chapitre 24, qui termine la première partie de La Chambre claire. Le texte recouvert peut être partiellement déchiffré en transparence. On lit notamment distinctement en bas à gauche une date, « 8 Mai 79 ». Et au niveau du bord inférieur du papier collé, partiellement recouvert, et entièrement passé à l’encre bleue, on identifie sur le papier substrat un numéro 37 cerclé de bleu.

Pendant plusieurs lignes, le texte recouvert et le texte définitif coïncident 23. Barthes a donc recopié le début de l’état précédent du texte. On voit même qu’il avait ajouté dans la marge une parenthèse qu’il a réécrite, et dont le texte final reste lisible : « (en me servant du peu qui me reste de ma culture sémiologique) ». Lorsqu’il a recopié ce texte au verso du fragment à en-tête de l’Ecole Pratique, il a d’abord abandonné cette addition, puis il l’a reprise dans la marge supérieure, pour finalement la faire disparaître par biffure. La suite du texte caché qui se trouve sous le texte visible n’est pas déchiffrable pendant quelques lignes. Lorsque l’écriture redevient lisible – à l’exception des parties raturées – c’est un texte différent du texte définitif qui apparaît sous le papier collé. Après avoir récusé le recours au principe de réalité pour rendre compte de la photographie, le premier état de ce chapitre se terminait ainsi : « Nous sommes dans l’imaginaire et nous ne pouvons en sortir : nous sommes voués à l’imaginaire, sauf à le réduire, ce que, par prémisse de mon analyse, je ne voulais pas. Au-delà du principe de plaisir, il y a un autre principe, que je ne connaissais pas clairement qui devait me conduire à l’essence de la Photographie, qui la distingue de toute autre image, et qu’il me fallait découvrir par moi-même. »

Les changements de numérotation attestent de l’intensité des remaniements qu’a connus l’architecture d’ensemble du texte. Le texte caché est certainement antérieur à ces remaniements puisqu’il est encadré par les numéros 36 et 37, et que seul le numéro 36 a été corrigé pour devenir finalement 24. Sans commenter l’ensemble des transformations qu’on peut identifier sur ce feuillet, on se contentera d’une remarque. Dans le premier état, Barthes dit seulement qu’il existe un autre principe, qu’il « ne le <connaît> pas clairement », et qu’il doit « le découvrir par <lui>-même ». La formulation du texte recouvrant – et c’est celle du texte définitif – est beaucoup plus explicitement centrée sur le sujet Barthes : « Je devais descendre davantage en moi-même pour trouver l’évidence de la Photographie […] Je devais faire ma palinodie. »

Une fois encore, cet exemple nous montre que le travail de la genèse est rythmé à tout instant par une oscillation entre deux mouvements antagonistes autour de la position du sujet. Si l’un l’emportait définitivement sur l’autre, chacun d’entre eux rendrait le texte impossible et condamnerait l’écriture au silence, l’un par le déferlement incontrôlable de la douleur, l’autre par l’impuissance de la « science » à rendre compte de la photographie. C’est au contraire la subtilité de leur interaction qui permet au registre discursif spécifique de La Chambre claire de se mettre en place. Grâce à l’examen du fichier, on comprend à quel point cette position d’équilibre précaire n’était pas donnée d’avance, et à quel point, pour advenir, le miracle de l’écriture avait besoin d’un catalyseur.

Nous pouvons maintenant revenir à l’hypothèse formulée à la fin de la première partie de ce travail. Pour expliquer la présence de notes sur Benveniste dans le fichier de La Chambre claire, on s’était demandé si la description des catégories énonciatives de l’histoire et du discours n’avait pas servi à résoudre un problème d’écriture. Après le parcours plus détaillé à travers les fiches associées à La Chambre claire, le mot « problème » est bien faible pour qualifier le deuil « profond, immobile, inverbalisable, ancré à jamais ds le “à quoi bon” des Phrases » sur lequel l’écriture du livre a représenté une véritable victoire. En même temps, la problématique du rapport au temps est cruciale à la fois dans l’approche de la Photographie choisie par Barthes et dans la posture énonciative par laquelle le sujet Roland Barthes s’institue en auteur de La Chambre claire. Crucial dans l’approche même de la Photographie : Barthes le souligne à maintes reprises, par exemple au chapitre 39 : « Je sais maintenant qu’il existe un autre punctum (un autre “stigmate” que le “détail”). Ce nouveau punctum, qui n’est plus de forme, mais d’intensité, c’est le Temps, c’est l’emphase déchirante du noème (“ça-a-été”), sa représentation pure. » Ce noème, identifié par Barthes grâce à la photo du Jardin d’Hiver, est consubstantiel à la mort de sa mère et à la douleur. Noué dans cette problématique du « Ça a été », et inséparable d’elle, on trouve le rapport du texte en devenir lui-même à son énonciation : dès lors qu’il a eu lieu, l’événement que représente la découverte du « Ça a été »  devient un repère fondateur. En permettant à Barthes de retrouver sa mère, il rend le deuil supportable ; en lui faisant découvrir le noème de la Photographie, il ouvre l’écriture sur une réflexion originale, là où la méthode du « savant » Barthes était inopérante. Comme le « shifter absolu » qu’est le nom Maman, il appartient à tous et n’appartient qu’au sujet Roland Barthes, et donne donc un statut au Je, aussi proche d’ailleurs de celui du narrateur proustien que le Maman de la fiche 130. Enfin, couplé au présent de l’écriture, il constitue un moteur narratif, en permettant au livre de se présenter comme un récit où les passés simples et les imparfaits se mêlent pour mener le lecteur jusqu’au soir de novembre où Barthes découvre la photo du Jardin d’Hiver.

De ce tissu génétique intime, la genèse de papier, avec ses instruments d’écriture, ses ciseaux, son ruban adhésif, son agrafeuse, ne nous livre finalement que peu de chose : çà et là un ajout, une suppression, un déplacement. Elle serait même moins bavarde que la genèse racontée, celle qui s’offre au lecteur lorsqu’il ouvre La Chambre claire. Et les détails qu’elle nous permet de découvrir, masqués sous une profusion d’opérations spectaculaires, ne prennent tout leur sens que sous l’éclairage prospectif de la genèse profonde, qui commence bien avant le 15 avril 1979, et qui resterait à jamais inaccessible sans le fichier. A ce titre, le dossier conservé à l’IMEC est pour la génétique une providentielle aubaine, mais aussi une mise en garde : la génétique ne peut faire parler que les documents qui sont parvenus jusqu’à elle. Et les traces les plus visibles ne sont pas forcément les plus lisibles.

1  Cet article a pour point de départ le travail réalisé en 1999 avec Pierre-Marc de Biasi et Nathalie Léger en vue de l’exposition « Le temps, vite » organisée par le Centre Georges Pompidou à l’occasion de sa réouverture. Certaines parties doivent beaucoup aux analyses effectuées à l’occasion de ce travail collectif.

Je tiens à remercier très vivement Michel Salzedo de m’avoir permis de travailler sur les manuscrits originaux de La Chambre claire, et surtout de m’avoir autorisé à consulter le fichier associé à la rédaction.

Je remercie l’IMEC, en particulier  Nathalie Léger, pour la qualité matérielle et intellectuelle de leur accueil.

2  Il a par exemple lu et annoté le livre d’A. Albalat, comme le montre le texte des Nouveaux essais critiques consacré à « Flaubert et la phrase ». Et parmi les manuscrits déposés à l’IMEC, on trouve un petit dossier, dont la page de garde porte d’ailleurs curieusement la mention biffée « sans intérêt », suivie de « Code de papier », qui témoigne de ce qu’il a utilisé le livre d’Albalat à plusieurs reprises : un fragment de texte, intitulé « Du style à l’écriture », comporte la mention « Bruxelles 26-27 Fév. 1966 », puis la mention plus tardive « Académie Mars 1973 ». Le dossier contient par ailleurs un fragment d’avant-texte intitulé « Flaubert et le travail du style », dont une partie a certainement été utilisée pour la rédaction de l’article cité. Barthes y développe une analyse du travail dans l’idéologie littéraire classique, consacre quelques pages au « code de papier », et construit une typologie des ratures plus détaillée que celle dont l’article sur Flaubert présente l’esquisse. Mais la lecture d’Albalat ne paraît pas avoir suscité chez Barthes le désir d’observer directement lui-même les mécanismes concrets du « travail du style » en consultant des manuscrits d’écrivains : il s’est satisfait du regard par procuration que lui fournissait Albalat. Dans le fichier associé à l’article « Flaubert et la phrase », Barthes résume sur une fiche, avec une étonnante acuité, un passage qu’Albalat consacre au « labeur » de Flaubert, mais en notant la référence de page dans l’ouvrage d’Albalat, il précise : « Albalat 70 qui a vu le mnss de Fl. ». Et si on peut supposer que les notes prises à la lecture d’Albalat ne sont pas non plus étrangères au thème du cours de Barthes à l’E.H.E.S.S. en 1976-1977, consacré au « problème des ratures du texte écrit » (O. C III., p. 743), le texte correspondant – présentation officielle des activités du séminaire à l’Ecole des Hautes Etudes – se termine d’une manière assez énigmatique par la phrase suivante : « La recherche collective a permis des observations intéressantes ; une synthèse véritable du problème est apparue cependant difficile, peut-être parce que les actes de rature sont jugés, par le sujet, proprement insignifiants (« il n’y a rien à en dire »). »

Cf. aussi dans ce numéro l’article de D. Ferrer.

3  La tension entre les outils de pensée « scientifiques » (il s’agit pour Barthes des sciences humaines : linguistique, psychanalyse, sociologie, sémiologie) et les affects est particulièrement forte dans le cas de La Chambre claire. Comme on le verra dans la suite de ce travail, il s’agit d’une problématique centrale dans la genèse de l’œuvre.

4  Pour une présentation du fichier de Roland Barthes, cf. Nathalie Léger, « Le fichier de Roland Barthes, matériaux et procédures ». Communication au colloque Retour vers le futur. Supports anciens et nouveaux de la connaissance. Fondation des Treilles, 22-29 mai 2000.

5  O.C. II, p. 63-64.

6  « Ecrire, verbe intransitif ? ». O.C II., p. 973-980.

7  O.C  II., p. 75 et suivantes.

8   Compte tenu de son caractère privé, le fichier d’ensemble de Barthes n’est pas accessible à la consultation.

9   Jean-Louis de Rambures, Comment travaillent les écrivains, Flammarion, 1978, et O.C. II, p. 1710-1713.

10  Sans doute en raison de la mention d’une « science des moires, des restes » par laquelle le fragment textuel se termine : d’autres fiches (par exemple la fiche 33) évoquent la moire.

11  L’interligne est moins régulier, la ligne de base fluctue, l’encre est un peu plus claire.

12  Le contenu de la paperole disparaît entièrement. Barthes procède en outre à des remaniements mineurs, comme l’effacement de la référence directe à Bourdieu, le remplacement de « rite d’intégration » par « protocole social d’intégration », ou celui de « Car je ne pensais qu’au référent » par « Car moi, je ne voyais que le référent, l’objet désiré, le corps chéri ».

13  Il n’était évidemment pas possible de démembrer les feuillets eux-mêmes pour effectuer les vérifications correspondantes. Elles ont été menées à bien avec un logiciel de traitement d’images à partir des facsimilés numérisés réalisés pour l’exposition Le Temps, vite. Le module vidéo de l’exposition contient une séquence illustrant cette vérification.

14  Le feuillet 2 des Chutes, paginé 1 par Barthes, portait les chapitres 1, 2 et 3. Il était suivi du feuillet 5 du Manuscrit, paginé 2, qui comportait le chapitre 4. Venaient ensuite, tous appartenant aux Chutes, le feuillet 15, paginé 3, portant le chapitre 5, le feuillet 3, paginé 4 (chapitres 6 et 7), le feuillet 5, paginé 5 (chapitres 8 et 9), le feuillet 6, paginé 6 (chapitre 10), le feuillet 7, paginé 7 (chapitre 11), le feuillet 8, paginé 8 (chapitre 12), et le feuillet 9, paginé 9 (chapitre 13). Le fragment 10 des Chutes, paginé 10, porte le début du chapitre 14. La suite est collée en haut du feuillet 8 du Manuscrit. Et on vient de décrire le processus de reconstitution du feuillet paginé 11.

15  Il y a d’ailleurs un rapport évident entre le manuscrit, superposition dans un espace unique à deux dimensions de tous les événements génétiques qui ont eu lieu pendant le temps où la page s’est écrite, et les photographies anciennes, à propos desquelles Barthes rappelle qu’on imposait au sujet la torture d’une longue pose sous des verrières en plein soleil…

16  Nathalie Léger, op. cit. p. 10.

17  Ib., p. 3-4.

18  « Mapplethorpe fait passer ses gros plans de sexes, du pornographique à l’érotique, en photographiant de très près les mailles du slip : la photo n’est plus unaire, puisque je m’intéresse au grain du tissu. » O.C. III, p. 1136-1137

19  Dans le cadre du programme « Archives de la création » du CNRS, l’IMEC a réalisé un modèle d’édition hypermédia du cours de 1977 intitulé « Comment vivre ensemble : simulations romanesques de quelques espaces quotidiens ». Cette très belle maquette d’édition électronique, malheureusement non commercialisée, illustre les possibilités de navigation synchronisée dans la substance graphique des notes manuscrites et dans le grain de la voix du cours prononcé par Barthes.

20 Barhtes lui-même s’en est d’ailleurs étonné. Dans l’entretien avec Jean-Louis de Rambures, il esquisse sa pratique des fiches en précisant : » A mesure, j’inscris sur mes fiches soit des citations, soit des idées qui me viennent, et cela, curieusement, déjà sous un rythme de phrase, de sorte que, dès ce moment, les choses prennent déjà une existence d’écriture. »  (op. cit., in O.C. II, p. 1712). L’élucidation de ce mécanisme d’écriture supposerait évidemment une étude systématique de l’ensemble du fichier de Barthes et des œuvres correspondantes qu’il n’était pas possible de mener à bien dans le cadre du présent travail.

21  Cf. par exemple l’atténuation des traits autobiographiques dans les réécritures de l’incipit. De même, à la fin de l’avant-dernier paragraphe du chapitre 29, la dactylographie fait disparaître la phrase suivante, qui prolongeait « Je ne pouvais plus qu’attendre ma mort totale, indialectique » : « je n’étais plus qu’une pierre lourde qui va désormais descendre plus ou moins vite, plus ou moins brusquement, au fond de l’oubli. »

22  Confirmation, si besoin était, que l’écriture n’est pas confinée à l’espace étroit du brouillon et de la mise en texte : ces fiches montrent qu’elle commence bien avant le 15 avril 1979, dès le début du rassemblement des fiches anciennes et la confection de fiches nouvelles en vue de la conception de l’ouvrage.

23  On peut l’affirmer avec certitude jusqu’à « qu’une subjectivité réduite à son projet hédoniste ne pouvait fonder quelque chose d’universel » (le premier état comporte « ne pouvait reconnaître l’universel »).