Cliché, stéréotype et stéréotypie

1. Le cliché et le stéréotype, de par leur origine étymologique, évoquent l'image de la « frappe », reproduisant la même figure, le même caractère. Structures signifiantes figées, le cliché et le stéréotype sont reçus à la fois comme des formules et des pensées rebattues : de même que le proverbe ou la maxime, ce sont des « forme-sens1 » qui ne sont analysables que dans le discours2. C'est en effet à l'intérieur d'un contexte énonciatif qu'ils apparaissent comme emprunt, déjà dit, faisant appel à une mémoire du texte3.

Le cliché et le stéréotype sont à relier à ce qu'on nomme les lieux communs, catégories d'arguments dont le contenu s'est figé jusqu'à ne plus désigner qu'un certain type de pensées rebattues : on peut ainsi comprendre les lieux communs comme des idées-cadres, transmises par la tradition, et susceptibles d'engendrer des formules clichées ou stéréotypées.

2. On peut, à partir de là, spécifier les niveaux d'analyse du cliché et du stéréotype :

– un premier niveau rhétorique, auquel se rattache plus spécifiquement le cliché comme formule de phrase ou structure rhétorique figée, s'inscrit dans une perspective intertextuelle, relevant du mode du « comme certains disent »4;

– ce premier niveau rhétorique, dépend d'un second, idéologique, celui du « comme on dit », dont relève de manière générale le stéréotype. S'il paraît en effet assez artificiel de distinguer cliché verbal et stéréotype verbal, on peut avancer néanmoins que le stéréotype possède une extension plus large que le cliché : verbal ou non, le stéréotype désigne toute répétition impensée d'un habitus social, opérant la confusion du prescriptif et du descriptif, de la norme et de son usage (il est ce qui se fait, selon la formule que J.-L. Backès applique à l'idéologique5, ou ce qui se dit). L'analyse textuelle du stéréotype rejoint ainsi les études du préconstruit et du présupposé, moyens linguistiques de manifester l'évidence, en faisant passer un certain contenu qui se présente comme une vérité universelle et que le locuteur n'assume pas.

Étudier les « idées reçues » revient alors non pas à chercher leur « reflet » dans un texte, mais bien à saisir leur engendrement textuel : il s'agit de percevoir le lien des stéréotypes isolés avec les réseaux stéréotypés sous-jacents, isotopies stéréotypées6 ou stéréotypies, en analysant aussi la façon dont certains stéréotypes implicites organisent la production du sens.

3. Dès lors, comment situer le « comme je dis » de l'écrivain par rapport au « comme on dit », au préconstruit de son discours ? On peut envisager un emboîtement des instances d'énonciation, figuré par le schéma suivant, du « comme on dit » au « comme je dis » :

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Le niveau du « comme je dis » renvoie à la « modulation stylistique » définie par Culioli7, l'énonciation étant reformulée comme la prise de position du locuteur par rapport aux représentations dont il est le support8.

Cette prise de position peut correspondre, théoriquement, à trois attitudes du locuteur à l'égard des clichés :

1. le cliché démarqué de l'écriture par une série de signaux ironiques9, où le « comme je dis » se pose contre le « comme on dit » ou le « comme certains disent » ;

2. le cliché indécidable, qui constitue, selon Barthes, la réussite de Bouvard et Pécuchet10, où triomphe le « comme on dit » à la manière du Dictionnaire des Idées Reçues : par opposition au mode ironique, nulle instance d'énonciation ne vient hiérarchiser les codes par un jugement assumé ;

3. le cliché constitutif de l'écriture.

On s'aperçoit cependant très vite que les distinctions ne correspondent pas à la réalité du texte : il s'établit un entrelacement des niveaux, du cliché dénoncé au cliché d'écriture et à l'indécidable, nous renvoyant ainsi à la position du locuteur dans le champ culturel de son époque.

Le discours du conseiller Lieuvain, lors des Comices, est un morceau d'anthologie : ce qui explique son choix. Il constitue un exemple privilégié par l'abondance des clichés qui s'y trouvent, et par le « balisage » textuel qui permet au lecteur de se repérer. En même temps, à un niveau second, le choix est motivé par la duplicité du texte : le discours, subverti par une rhétorique dysfonctionnante, fait jouer les réseaux du sens, oscillant de l'ironie démystifiante à la fascination de l'énonciateur devant l'énormité rhétorique.

Le discours de Lieuvain

1. Situation discursive

Le discours de Lieuvain est un effet de réel : discours mimétique, produisant l'illusion de son autonomie par la référence à un vraisemblable d'époque, il est bien construit et déconstruit par le texte où il s'insère.

– Il se situe dans un chapitre central, celui des Comices (II, 8), qui, loin d'être en rupture avec la monotonie des jours, reproduit l'univers du même : tous les notables se ressemblent11, et chacun reste à sa place. La hiérarchie sociale est d'ailleurs matérialisée par la disposition de l'auditoire : les notables sur l'estrade « dans les fauteuils en utrecht rouge qu'avait prêtés madame Tuvache12 », tandis que le commun de la foule était en face, debout, ou bien assis sur des chaises13 », Emma et Rodolphe au balcon, niveau aristocratique du sublime.

– D'autre part la position discursive du locuteur est à relier à l'emplacement institutionnel d'où il parle14, et au rapport de places qui s'instaure. Lieuvain n'a pas besoin de se justifier pour prendre la parole : il en détient le pouvoir institutionnellement. Toutefois, sa position est ambiguë : il représente le pouvoir central, mais il n'est que le représentant du préfet, porte-parole d'une parole-reflet dégradée. Cette situation se réfléchit dans les appellatifs de l'orateur : en situation d'autorité respectée, il est « M. le Conseiller » ; mais il est aussi « Lieuvain », une rhétorique creuse, comme l'indique son nom : lieu vain.

C'est que le discours s'adresse à un double destinataire :

1. un destinataire premier, l'auditoire représenté dans l'énoncé, qui ne saisit pas le grotesque, tout fasciné qu'il est par les paroles ronflantes qui lui sont déversées ;

2. un destinataire second, le narrataire, qui perçoit l'édifice rhétorique modalisé par l'énonciateur.

On étudiera dans cette perspective la stratégie discursive dans laquelle s'insèrent les clichés, et sa désagrégation par une rhétorique qui se signale comme telle.

2. La stratégie discursive

1. Constitution des acteurs

a) Production d'un consensus

L'efficacité d'un discours dépend de la création, au départ, d'un consensus sur l'existence d'une communauté d'esprit et sur l'objet de la réunion, qui dépend du consensus premier : « Pour qu'il y ait argumentation, il faut que, à un moment donné, une communauté effective des esprits se réalise. Il faut que l'on soit d'accord tout d'abord et en principe sur la formation de cette communauté intellectuelle, et ensuite sur le fait de débattre ensemble une question déterminée : or cela ne va nullement de soi15. » Ce que fait ainsi remarquer Perelman, c'est que l'évidence du consensus doit être produite par le locuteur : l'auditoire est une construction du locuteur16, comme l'est aussi le locuteur. Il s'agit en l'occurrence pour Lieuvain de masquer les rapports de pouvoir, en se faisant accepter comme membre d'une communauté que son discours instaure, produisant ainsi une « évocation neutralisée du monde social17 ».

Le consensus est ainsi produit dans le discours de Lieuvain par des formules de communion : captatio benevolentiae (« Qu'il me soit permis », S118), alliée à des formes du présupposé (« j'en suis sûr », SI, ou « c'est ce que vous avez compris », S4) et au vocabulaire de l'union (« sera partagé par vous tous… » S1), la communauté étant fondée par :

la présence d'éléments indiciels (« notre souverain » S 1), (« nos places publiques », S2, « notre belle patrie », « nos grands centres », « nos ports », S3), qui fondent la communauté de la patrie ;

– la présence de termes relevant du topos de la cité (« places publiques » S2, « patrie », S2, « cause publique » « amélioration commune », S4), tout un vocabulaire de salut public, renvoyant, à travers la Révolution, à la cité antique, et relevant d'un topos qui produit la fiction homogénéisante d'une communauté d'intérêts19;

la personne du roi, élément le plus important, objet de la « captatio benevolentiae », au sommet de la période (S1) et partant, de l'euphorie rhétorique, et qui est présenté sous la figure de la gradation : « ... au monarque, messieurs, à notre souverain, à ce roi bien-aimé qui… » : trois termes désignant le chef de l'état dans ses fonctions hiérarchiques. On progresse du défini au possessif, au démonstratif anaphorique + une épithète clichée + une relative au fonctionnement déterminatif, qui créent un effet de préconstruit, imposant un jugement préétabli, évidence admise universellement, à savoir que :

- le roi est le chef accepté d'une communauté qui le connaît bien (le, l'unique, le nôtre, le bien-aimé, et ce roi qu'on peut désigner en même temps qu'on s'y réfère) :

- c'est une figure divine, la métaphore du « char de l'État » esquissant l'image d'une force divine, au-dessus des passions, universelle et toute-puissante, figure de la totalité (cf. le rythme binaire). Cette représentation superpose au « roi des français » l'image d'un roi divin à la stature neptunienne ;

- c'est aussi une figure paternelle, qui, par assimilation à l'État personnifié (« L'État, désormais, a les yeux fixés sur vous », S7), assure l'unité de la sainte famille20, fondant, comme le topos de la cité, l'identification du bien privé et de l'intérêt général.

Ainsi produite, la communauté est spécifiée par une série d'appellatifs qui désignent l'auditoire, en le restreignant : le « nous » ici suppose un « vous » excluant un « il ».

b) Spécification de l'auditoire

On peut retenir comme définition de l'auditoire « en matière rhétorique, l'ensemble de ceux sur lesquels l'orateur veut influer par son argumentation »21.

L'auditoire est spécifié par l'appellatif « Messieurs », puis « vous », défini par oppositions : 1° « Vous, agriculteurs et ouvriers des campagnes », S4 ; 2° « Vous, vénérables serviteurs, humbles domestiques… », S7. L'auditoire ainsi précisé est celui que l'orateur cherche à convaincre : le reste de l'assemblée est constitué de notables acquis. On peut à partir de là avancer plusieurs hypothèses sur le référent de « nous » :

– « Nous » = je (moi, représentant du gouvernement mais citoyen comme vous, membre de la même famille) + vous (les citoyens) : la communauté harmonieuse de la patrie.

– « Nous » = nous (les notables au pouvoir) + vous (agriculteurs et domestiques), avec qui s'établit l'alliance de classe pour soutenir l'État.

La première interprétation, que le texte tend à justifier, laisse transparaître la seconde, qui correspond à un vraisemblable d'époque, confirmé par un passage de la « nouvelle version », supprimé dans la version définitive : « Et l'on vous a toujours vus, constamment fixés à vos exploitations et à vos principes, [...] témoigner [...] votre invariable attachement au parti de l'ordre et à vos véritables intérêts22. »

Il s'établit ainsi dans le discours un véritable masquage des positions du locuteur et de son auditoire, établissant une communauté d'intérêts à l'existence discursive.

Le « nous », dans le même temps, suppose un « il », exclu de la communauté, l'acteur négatif, l'opposant à tous les sens du terme, qui va être spécifié par l'analyse des stéréotypies à l'œuvre dans le texte, et, négativement, par celle des rôles prescrits à l'auditoire paysan.

2. Production de stéréotypies antithétiques : euphorique vs dysphorique

a) La stéréotypie dysphorique : hier (S2)

La dysphorie est rejetée dans le passé (« Le temps n'est plus… » S2, « Écartant de mon souvenir ces sombres tableaux » S3).

À l'ordre s'oppose le désordre de la subversion et de la guerre civile :

- l'orateur met en œuvre le topos de la guerre civile à l'intérieur de la cité « la discorde civile ») : de la cité antique (cf. l'opposition implicite entre le bon et le mauvais citoyen) à travers les guerres de religion, jusqu'à la Révolution (cf. le thème de « l'ennemi de l'intérieur23 »).

- Ce topo engendre des figures clichées : métaphore météorologique de la mer démontée et de l'orage (S l, S3), personnification de la discorde avec hypotypose. La subversion n'est pensée que par clichés24 : « les maximes les plus subversives sapaient audacieusement les bases ».

l° L'article défini, à la différence du démonstratif, présente une notion comme un pur rappel, et présuppose l'existence d'une classe non vide, sans impliquer forcément de référence. La description définie « constitue un objet dont elle fait l'univers du discours25 ».

2° Le superlatif, classé dans les techniques argumentatives parmi les arguments quasi logiques, se présente comme un argument de comparaison dont le caractère péremptoire dispense de preuves. De plus, surdéterminé par une série de termes appréciatifs « audacieusement, S2 », les conseils trop hâtifs d'un empirisme « téméraire », S7), il caractérise péjorativement l'excès.

3° Le stéréotype (« saper… les bases… »), réactualisé par l'interruption, manifeste qu'il s'agit du processus même de la subversion qui est visé, processus consistant à détruire les fondements du consensus que Lieuvain produit fictivement.

4° La subversion est le fait de « maximes » : seuls les principes sont subversifs. On peut rejoindre l'analyse que fait Perelman des « valeurs » argumentatives, opposant aux « valeurs abstraites » qui peuvent aisément servir à la critique parce qu'elles ne font pas acception de personnes et semblent fournir des critères à celui qui veut modifier l'ordre établi » les « valeurs concrètes », liées à un groupe déterminé, à un être vivant, qui mettent en jeu des notions telles que la fidélité, la discipline, la solidarité… sur lesquelles s'appuierait plus aisément l'argumentation conservatrice avec comme présupposé : « puisque le concret existe, c'est qu'il est possible26 ». À l'utopie des uns, à leur abstraction, s'oppose dans le discours de Lieuvain la proximité concrète de la personne du roi, du notable connu (cf. « le négociant », « l'industriel »).

5° La gradation : « le propriétaire, le négociant, l'ouvrier lui-même… » L'emploi de « même » vient contredire une conclusion implicite sur l'ouvrier (on ne s'attend pas à ce que l'ouvrier soit du même côté que les possédants qui tremblent), et présuppose tout un discours sur l'ouvrier. On peut se reporter à l'article « ouvrier » du Dictionnaire des idées reçues : « Ouvrier : toujours honnête quand il ne fait pas d'émeutes. »

La subversion, s'il fallait l'expliciter, serait ici plutôt du côté des ouvriers des villes et des « auteurs de maximes ». Elle existe à l'état de fantasme, trahissant la peur sociale. Le topos et les clichés ont ainsi une fonction de communion avec l'auditoire, et se substituent à une argumentation rationnelle.

b) La stéréotypie euphorique : aujourd'hui/demain. S3

La vision stéréotypée d'un passé de subversion engendre, symétriquement celle, euphorique, d'un présent identifié à une prospérité harmonieuse.

Le présent est valorisé :

– par une série de termes appréciatifs manifestant l'union et la prospérité opposées à la discorde et la destruction (« notre belle patrie », « nos grands centres », « la religion plus affermie », « nos ports sont pleins »), la confiance opposée à la peur sociale (métaphores lexicalisées : « la religion sourit à tous les cœurs », « la France respire »),S3.

– par l'isotopie de la Renaissance, spécifiée par le sémantisme des adjectifs (« nouveaux, nouvelles »), des préverbes (« renaît », « repris »), de la métaphore clichée ainsi revivifiée « fleurissent », et par la comparaison biologique du « corps de l'État », assimilant l'État à un organisme où circule un sang neuf (« artères nouvelles ») – la catachrèse retrouvant ici sa valeur de métaphore.

La stéréotypie euphorique s'engendre ainsi par polarisation avec la stéréotypie dysphorique. Cependant ces deux visions sont en fausse symétrie. Seuls deux termes sont explicites : la guerre civile - la prospérité. Deux termes restent implicites : la misère (contradictoire de la prospérité), la paix intérieure (contradictoire de la guerre civile) :

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Le discours laisse entendre, sans en assumer l’assertion, que si la prospéritéest liée à l'ordre public, les temps de troubles engendrent la misère : la misère,

conséquence et non cause des émeutes.

Cette vision euphorique, qui ouvre sur un avenir de progrès, est sapée par la connaissance implicite qu'a le lecteur de l'histoire27.

3. Le rôle des acteurs

Il est précisé par une série de déterminations apposées au « vous » de l'auditoire, qui apparaissent sous la forme de présupposés et de préconstruits :

l'apposition fonctionnant comme le rappel de qualités dont on présuppose l'évidence ; l'épithétisation et le complément déterminatif mettant en jeu une qualité prédiquée antérieurement et présentée comme acquise.

a) Un premier destinataire : « vous, agriculteurs et ouvriers des campagnes » (S4), acteur collectif unitaire dont l'unité est pensée en fonction de l'opposant, se voit pourvu d'une définition préimposée28.

Agents de la paix29 et de l'ordre contre la barbarie de la subversion, les paysans apparaissent les garants d'un ordre politique associé à l'ordre moral30. « Hommes de progrès et de moralité » (S4) : la « santé morale » est à la Source d'un progrès31 dont l'isotopie parcourt le discours du conseiller (« amélioration commune » S5, « accroissement » S6, « amélioration du sol » S7, « développement », « succès meilleur » S7). Comme la civilisation, le progrès s'inscrit dans un continuum anhistorique, le changement dans la continuité, où l'ordre politique est un équilibre naturel. C'est dans cette perspective qu'il faut comprendre les métaphores déjà mentionnées (celle de l'orage, celle, biologique, du « corps de l'État ») : le désordre politique est une rupture de l'ordre naturel, introduisant l'orage dans la nature harmonieuse, ou le parasite dans un corps sain.

Or cette naturalisation de l'ordre politique se fonde sur une image mythique, essentialiste, des paysans.

Les appellatifs qui désignent les paysans visent à produire l'image d'un monde non conflictuel, détaché de l'histoire :

– termes métaphoriques ou poétiques, relevant d'une rhétorique néoclassique et engendrant l'image antique du paysan à la romaine (« pionniers pacifiques » S4) ou du gladiateur (« arènes pacifiques » S7), ou l'image idyllique du semeur (« l'agriculteur (... ) ensemençant d'une main laborieuse les sillons féconds des campagnes… » S6) ou du pasteur (aux « abondants troupeaux » S7) ;

– le mot « paysan », déjà péjoratif à l'époque, est remplacé par « agriculteur » (« l'agriculteur » S6), terme générique à valeur descriptive, subsumant une classe présupposée homogène, tandis que la classe paysanne est désignée par le syntagme « les populations agricoles » S5, expression vague et unificatrice, rendue plus imprécise encore par le pluriel généralisant32;

– le discours va plus loin, préimposant l'idée d'une « nature paysanne » (cf. « l'esprit » des « populations agricoles » et la détermination « hommes de progrès et de moralité » S4, qui suppose une qualité innée).

Ilse profile ainsi un topos, à connotation populiste, du paysan détenteur d'une santé morale et d'une sagesse ancestrale « intelligence profonde et modérée » S433, image de la stabilité liée à l'ordre de la nature, et d'une vie traditionnelle qui fait de ce paysan le symbole de la « France profonde » et le soutien naturel de l'ordre établi34.

b) Le second destinataire : «vous, vénérables serviteurs… » S7 : les qualificatifs préconstruits qui déterminent ce second destinataire ressortissent encore du registre poétique (« les pénibles labeurs » « le fardeau de vos pénibles sacrifices »)35, complétantainsi l'image idyllique d'une société fortement hiérarchisée, où l'inégalité est finalisée par la figure paternelle de l'État, qui garantit l'harmonie préétablie (les « humbles domestiques » reçoivent la médaille du mérite).

c) L'acteur négatif : ennemi de l'intérieur, opposant mythique, il peut se définir néanmoins par opposition au discours sur les paysans : il est l'incivile (le barbare : homme d'immoralité, et lenon-citoyen : celui qui, ne remplissant pas ses devoirs, est rejeté de la cité). C'est aussi l'extrémiste, agent de rupture dans la continuité harmonieuse du progrès : adversaires du changement (« les partisans de la routine » S7) comme ceux de la continuité (les partisans de progrès « trop hâtifs »)36.

Dans ce discours, Lieuvain manifeste, et impose à son auditoire, une définition préconstruite par labourgeoisie urbaine, qui fait de l'éloge la contrepartie de la domination sociale, vision utopique où l'opposant n'est évoqué que pour mieux ressouder une unité mythique. Discours idéologique ; qui occulte les problèmes tout en les signalant sous leur travestissement imaginaire, et que le texte contredit aussitôt. La fête finie, l'accord n'est plus qu'un vain mot : « La séance était finie : la foule se dispersa ; et maintenant que les discours étaient lus, chacun reprenait son rang et tout rentrait dans la coutume ; les maîtres rudoyaient les domestiques, ceux-ci frappaient les animaux… »37.Le texte met en évidence la rupture des mots et des choses.

3. La rhétorique modalisée

1.Modalisation externe : la mise en place textuelle

Déjà mise à distance par cette notation finale, la rhétorique de Lieuvain se réfléchit dans le compte rendu d'Homais, qui produit une version clichée de la scène, redoublant le discours38.

Le découpage textuel, d'autre part, fait cohabiter trois plans d'énoncés39 superposant trois instances d'énonciation : le niveau prosaïque des beuglements alterne avec deux rhétoriques du sublime dont les valeurs sont inversées : aux lieux communs de la morale bourgeoise prêchée par Lieuvain, Rodolphe oppose les stéréotypes aristocratiques de l'idéal romantique (cf. en particulier la reprise de « devoirs »40). La rhétorique du juste milieu, et celle de l'excès voisinent avec le niveau du vulgaire41; « le sens n'est plus que cohabitation toujours fluctuante d'énoncés, livrés à l'arbitraire de leur présence »42, nulle instance d'énonciation ne venant hiérarchiser les codes.

Enfin, les interruptions et les reprises du discours viennent en modaliser le contenu :

– les interruptions, signalées par les points de suspension quand la phrase est inachevée, mettent à distance la fin de la séquence (stéréotype privé de son complément : « sapaient audacieusement les bases… » S2, valeur comme « devoirs », S5, modalisée par l'interruption, période ronflante, S1, mise à distance par le changement d'énonciateur).

– les reprises du locuteur sont commentées par des annonces qui définissent la rhétorique (avant S243 : « La voix du Conseiller s'éleva d'un ton extraordinaire. Il déclamait… », ou avant S344 : « la voix du Conseiller qui psalmodiait ses phrases »), des remarques métalinguistiques qui font suite au discours (« Le sien, peut-être, ne fut point aussi fleuri que celui du Conseiller »45), ou la reprise ironique d'un stéréotype (S6 «… “sur lequel j'appellerai plus particulièrement votre attention ”. /Il n'avait pas besoin de l'appeler »46).

Du commentaire ponctuant le discours de Lieuvain ressort l'image ambiguë de l'orateur, qui joint à l'emphase d'une rhétorique subjuguant le public, le grotesque d'un pantin – aspect confirmé par des notations prosaïques annonçant la prise de parole (« Quand il eut donc collationné quelques feuilles et appliqué dessus son œil pour y mieux voir… »47ou : « Lieuvain venait de s'essuyer la bouche avec son mouchoir de poche. Il reprit… »48).

On touche ici de près au fonctionnement interne du discours, où se retrouve le même contraste entre le sublime et le prosaïque.

2. Modalisation interne : le dysfonctionnement de la rhétorique

Si la rhétorique est ainsi balisée, aux marges du discours, par un certain nombre de marques textuelles, elle est aussi modalisée dans son fonctionnement même : bloc cliché, le discours est signifié comme tel par la redondance de traits qui spécifient une isotopie stylistique à connotation littéraire49, et par les ruptures de cette isotopie, qui introduisent la dissonance. Seul le lecteur, destinataire second qui peut lire et relire le discours, en perçoit le grotesque : l'auditoire représenté est saisi par l'hypnose.

Il faut toutefois se garder de projeter sur le texte de Lieuvain l'effet modalisateur de ses alentours, et d'y voir un grotesque uniformément généralisé. Si les traits redondants clichent le discours d'un bout à l'autre, les dissonances, déjà perceptibles dans l'exorde et l'exposé des faits (S1 à S5), s'amplifient dans la démonstration (S 6), influant à leur tour, par redondance, sur la lecture prospective et rétrospective.

Cette ambiguïté du texte a pour corrélat une duplicité de l'écriture : on ne saurait nier un certain « plaisir » du texte à balancer les périodes, jouer de la rhétorique en affichant un code pour le démonter : plaisir de l'exercice de style et de la bouffonnerie.

On étudiera l'articulation de la dissonance et de la redondance dans le mouvement du discours, en prenant pour sommet parodique la séquence 6.

a)Lieuvain souligne la composition de son discours par des effets de redondance50, clichant une rhétorique dont il n'a conservé que la lettre : ainsi de la « captatio benevolentiae » de l'exorde («Qu'il me soit permis… qu'il me soit permis, dis-je », SI), du développement avec, après l'exposé des faits (cf. « ces sombres tableaux », S3, définissant l'hypotypose précédente) la démonstration appuyée d'exemples (« Et qu'aurais-je à faire, Messieurs, de vous démontrer l'utilité de l'agriculture ? » « Et même, Messieurs, est-il besoin d'aller si loin chercher des exemples ? » « Mais je n'en finirais pas s'il fallait énumérer les différents produits… », S6). Effets de redondance soulignés par le changement d'énonciateur («Et c'est là ce que vous avez compris, disait le Conseiller. [...] vous avez compris, dis-je », S4).

b)Dans les séquences 1 à 5 surtout, prédomine le clichage par emploi abusif des symétries syntaxiques et rythmiques : répétition du rythme ternaire allié au binaire, dans des périodes de cadence majeure, à la chute nombreuse : cf. SI, : «ce roi bien-aimé

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L'hypnose de l'auditoire commence avec ces balancements rythmiques, générateurs d'euphorie. Les groupements ternaires se retrouvent dans la séquence 2 (« où la discorde civile…,/où le propriétaire, le négociant, l'ouvrier lui-même…,/ où les maximes les plus subversives… »)51, à la séquence 4 (« vous…/vous…/ vous… ») et à la séquence 5 (« plus de patriotisme…/plus de dévouement…/plus d'intelligence… ») dont la période finale, bien qu'interrompue, allie le binaire au binaire. Le nombre rythmique se cliche, soutenu par une symétrie syntaxique invariable (cf. « plus vraiment… que… », S4 ; « ne… pas… mais plus », S5) et des répétitions qui résonnent parodiquement (« nouvelles… nouvelles,... nouveaux », S4).

On peut noter ainsi l'insertion de la discordance parmi la symétrie :

– sur fond de cadence majeure, se détache, privée de liens syntaxiques, la fin de la séquence 3, aux groupes rythmiques décroissants ;

– la symétrie syntaxique contraste avec la dissymétrie sémantique : « faire respecter la paix comme la guerre… », SI (seul le premier des compléments paraît approprié) ; « assez aveugle, assez plongé (je ne crains pas de le dire) », S5 (le commentaire, qui actualise la métaphore lexicalisée, dissocie l'adjectif d'un complément indispensable sémantiquement à la réalisation de la figure).

Cet exemple relève aussi du discours des figures, perceptible à deux niveaux : les clichés, par surdétermination du contexte, spécifient une isotopie stylistique, où les procédés poétiques et leurs figures se clichent52; en même temps, saisis comme grotesques, ils servent à rompre l'isotopie. Ainsi de la métaphore du « char de l'État », qui signifie la dignité de la fonction royale, mais dont l'incohérence est ridicule53.

Toutefois les incohérences et les dissonances semblent encore emportées dans le mouvement oratoire du discours, que soulignent les annonces déjà citées (déclamation, S2, psalmodie, S7).

c) Dans l'intermédiaire, introduite par une notation prosaïque qui donne le ton, s'inscrit la séquence 6, où le grotesque s'affiche.

Il n'est d'ailleurs pas indifférent que les dissonances éclatent dans la partie démonstrative : le mauvais fonctionnement de la rhétorique sert à discréditer l'argumentation. Le plaisir de la dissymétrie se généralise, désarticulant ce qui se clichait déjà.

Les interrogations rhétoriques, déjà amorcées dans les séquences précédentes (S3 et S5), se systématisent : elles sont rendues ridicules par leur accumulation, et la cacophonie des [k] (« Car comment…, car comment… ») ruinant la symétrie syntaxique, formant écho (« Qui donc… qui donc… »), et soulignant la lourdeur des « qui et des que » abhorrés de Flaubert : (cf. « l'agriculteur, qui… lequel… qui… », « n'est-ce pas l'agriculteur encore qui… » « Qui n'a souvent réfléchi à l'importance que… qui… » S6).

Cette rupture de l'isotopie stylistique est rendue manifeste par la parodie54 que constitue l'éloge héroï-comique du blé et de la poule, l'héroï-comique relevant de deux types de contradictions : 1) les « contradictions stylistiques internes au texte » ; 2) le « contraste entre la connotation attachée au référent décrit et la connotation attachée au matériel verbal utilisé »55 :

– contraste entre le référent trivial (le blé, la poule) et le ton ou le langage employé. L'éloge emphatique du blé, à la manière du pantagruélion de Rabelais, présente la fabrication du pain, sur le mode épique, comme une alchimie fabuleuse « ... fait naître le blé… mis en poudre au moyen d'ingénieux appareils, en sort sous le nom de… », S6). L'idéal héroïque n'existe que sous la forme de l'allusion parodique56;

– ce contraste se double de la contradiction entre un langage poétique ou figuré « ensemençant d'une main laborieuse les sillons féconds des campagnes », « transporté dans les cités », avec écho parodique des rimes intérieures) et le prosaïsme de « blé », « farine », « boulanger », « aliment », S6.

– L'effet est renforcé par la clausule de la période (« qui en confectionne un aliment pour le pauvre comme pour le riche », S6), qui, peu nombreuse, est appauvrie encore par l'emploi d'une opposition stéréotypée (pauvre/riche).

La parodie se poursuit avec l'éloge de la poule : le contraste entre le discours figuré (périphrase : « ce modeste animal, ornement de nos basses-cours » substituée au terme propre) ou littéraire « nos couches »), et le prosaïsme « des œufs »), se redouble d'une inversion rythmique : la période se termine par une clausule boiteuse, dont le volume décroissant est souligné par la dissymétrie syntaxique : « ornement de nos basses-cours qui fournit à la fois un oreiller moelleux pour nos couches, sa chair succulente pour nos tables, et des œufs », S6.

La rhétorique est encore mise à distance par :

– la discordance entre la symétrie syntaxique (« ici », « ailleurs », « là », « plus loin », S6) et la dissymétrie sémantique, qui fait voisiner la vigne, les pommiers à cidre et le colza avec le fromage ;

– et dans la séquence 7, par des fautes de syntaxe, comme : « appliquez-vous [...] aux bons engrais », expression substituée au syntagme « aux bons plants »57, ou des fautes contre l'harmonie, comme l'écho : des « races bovines, ovines et porcines », discréditant le rythme ternaire, reprenant les « suggestions de la routine », ou la dissonance de : « en en sortant ». Fautes contre l'harmonie sont aussi les termes suffixés en « -ment » ou en « -tion », qui relèvent pour beaucoup du langage administratif ; ainsi : « accroissement », « particulièrement », « attention » (S6), « amélioration », « développement » (S7).

Ces ruptures de l'isotopie stylistique influent sur la lecture du discours : les comparaisons et métaphores qui ressortissent du sublime (comme : « la terre, telle qu'une mère généreuse… », S6, ou les comices « comme des arènes pacifiques », S7) sont emportées dans la lecture parodique. Cet effet vaut pour le langage de l'idylle à la péroraison.

Seule une lecture dialectique des traits dissonants et redondants permet d'articuler leurs effets : la redondance spécifie une isotopie stylistique, dont la rupture signale le surcodage.

Texte flaubertien avant tout, subvertissant la linéarité de la lecture, le discours de Lieuvain joue à plein, et fait jouer les réseaux du sens. La rhétorique dysfonctionnante vient pervertir une argumentation discréditée.

Mais en même temps, par la fascination qu'il traduit, ce discours nous renvoie à la position de Flaubert devant les discours reçus de la bourgeoisie, et son éloquence : on peut se demander si la modalisation ironique n'est pas à son tour déjouée par le plaisir du texte qui la met en scène.

1  . Cf. H. Meschonnic. « Les proverbes, actes de discours », Revue des Sciences humainesn° 163. 1976-3, p.418 sq.

2  . Cf. R. Amossy et E. Rosen, « Les clichés dans Eugénie Grandet ou les négatifs du réalisme balzacien ». Littérature, n° 25, févr. 1977. p. 114-128.

3  Pour la lecture du cliché comme « déjà dit »,  cf. M. Riffaterre, « Fonction du cliché dans la prose littéraire», in Essais de stylistique structurale, Flammarion 1971, p. 171-181, et L.Jenny. « Structure et fonctions du cliché. À propos de  “Impressions d'Afrique” », Poétique n° 12, 1972. p. 495-517.

4  Le cliché rejoint ainsi la connotation autonymique définie par J. Rey-Debove comme « le modèle sémiotique ( ... ) par lequel l'encodeur emploie pour parler du monde (et non des signes) une séquence rapportée de telle sorte qu'il emploie et qu'il cite tout à la fois ». ( « Notes sur une interprétation autonymique de la littérarité le mode du “comme je dis” », Littérature n° 4, déc. 1971, p. 91-92.) Ce modèle pourrait ainsi rendre compte de la réflexivité de la forme-sens qu'est le cliché.

5  J.-L. Backès, « Le fonctionnement idéologique des textes », Revue des Sciences humaines, n° 165, 1977, p. 53.

6  On reprendra pour l'isotopie la définition de C. Kerbrat-Orecchioni : « On appellera" séquence isotope" toute séquence discursive (fragment d'énoncé ou énoncé) pourvue d'une certaine cohérence syntagmatique grâce à la récurrence d'unités d'expression et/ou de contenu. » (« Problématique de l’isotopie », Linguistique et sémiologie. Travaux du centre de recherches linguistiques et sémiologiques de Lyon, 1976/1. p. 16.) L'isotopie désigne alors « le principe de cohérence de la séquence» ou, par métonymie, « la séquence isotope elle-même» (ibid.).

7  Par opposition à la « modulation rhétorique» qui renvoie à l'interdiscours et s'exerce « au niveau du “on parle” ou du «“ça parle” », « L'expression de modulation stylistique renvoie au contraire à la prise en charge du discours par le sujet énonciateur  (“je parle”) », A. Culioli, C. Fuchs et M. Pêcheux. Notes sur la formalisation en linguistique, note VII, p. 18, in Documents de linguistique quantitative, n° 7. Dunod, 1970.

8  Cl. Haroche, P. Henry, M. Pêcheux, « La sémantique et la coupure saussurienne : langue. langage. discours », Langages 24, p. 106. Cf. aussi Langages 37, 1975.

9  M. Riffaterre, op. cit., p. 177.

10  R. Barthes, S/Z, Le Seuil, coll. « Points », p. 146. Voir aussi le projet de Flaubert pour le Dictionnaire : « Il faudrait que, dans tout le cours du livre, il n'y eût pas un mot de mon cru, et qu'une fois qu'on l'aurait lu, on n'osât plus parler, de peur de dire naturellement des phrases qui s'y trouvent »  (Lettre à Louise Colet, 17 déc. 1852).

11  « Tous ces gens-là se ressemblaient», Madame Bovary, éd. Garnier, 1971, p. 144.

12  Ibid., p. 144.

13  Ibid., p. 145.

14  Cf. en particulier, M. Foucault, L'Archéologie du savoir. Gallimard, 1969, « La formation des modalités énonciatives », p. 68 sq.

15  Ch. Perelman et L. Olbrechts-Tyteca, Traité de l'argumentation. La nouvelle rhétorique, Bruxelles. éd. de l'Institut de sociologie, 2e éd. 1970, p. 223. Nous soulignons.

16  « L'auditoire présumé est toujours, pour celui qui argumente, une construction plus ou moinssystématisée » (ibid., p. 25).

17  P. Bourdieu, « Une classe objet », Actes de la recherche en sciences sociales, nov. 1977, 17/18, p.4.

18  Les numéros renvoient aux séquences du discours de Lieuvain (fragments entre les interruptions), notées « S » et numérotées de 1 à 7.

19 Sur la fonction homogénéisante du topos, cf. R. Amossy et E. Rosen. « La fonction du cliché dans «La confession d'un enfant du siècle », Europe, nov.-déc. 1977, p. 135-146.  

20  « Cette réunion de famille» dit Homais, Madame Bovary, p. 158.

21  Perelman, op. cit., p. 25.

22  Madame Bovary, Nouvelle version, Éd. Pommier-Leleu, Corti, 1949, p. 355.

23  Le langage figuré connote ici la tradition littéraire de l'éloquence cicéronienne, à la poésie engagée du XVI' siècle, à la rhétorique révolutionnaire. Le Grand Larousse du XIX' siècle, à l'article « citoyen » conserve d'ailleurs dans les exemples l'opposition stéréotypée entre bon et mauvais citoyen, et donne l'allusion historique « civis sum romanus ».

24  « Les périls incessants d'une mer orageuse » (alexandrin blanc qui soutient, de son harmonie rythmique, la vision préimposée de la métaphore. SI); «les orages politiques sont encore plus redoutables vraiment que les désordres de l'atmosphère », S4. La « nouvelle version » continuait ainsi: la tirade interrompue dans l'édition définitive: « et que l'hydre de l'anarchie pouvait tout comme dans les villes importer dans les campagnes ses funestes venins ... », p. 155, éd. cit. Ces figures qui prennent la nature pour référence, montrent bien que la subversion perturbe l'ordre naturel, et introduit la monstruosité.

25  O. Ducrot.Dire et ne pas dire. Principes de sémantique linguistique, Hermann, 1972, p. 244.

26  Perelman, op. cit., p. 106.

27  Cf. J. Neefs. Madame Bovary de Flaubert, coll. « Poche critique »,. Hachette, 1972, p. 41.

28  « Classe-objet» relevant de ces classes dominées « qui ne parlent pas, mais sont parlées » P. Bourdieu, op. cit., p. 4.

29 29 L'idée de paix, redondante (« pionniers pacifiques d'une œuvre toute de civilisation », S4. « arènes pacifiques », S7), a une valeur polémique évidente.

30  Véritables citoyens, ils en ont tous les devoirs, sans en avoir les droits (cf. l'article « Citoyen » du Grand Larousse du XIXe siècle, déjà mentionné).

31 On note l'absence de détermination, laissant au concept une imprécision qui sert l'argumentation.

32  Cf. J. Dubois, Le Vocabulaire politique et social en France de 1869 à 1872, Larousse, 1962, p. 86 et p. 25.

33  « Intelligence modérée » qu'on peut comprendre de deux façons: 1) « centriste », éloignée des extrémismes, 2) limitée…

34  Pour l'abstraction d'une image symbolique du paysan, cf. J.-C. Chamboredon, « Peinture des rapports sociaux et invention de l'éternel paysan: les deux manières de Jean-François Millet », Actes de la Recherche en Sciences sociales, nov. 1977, p. 6-28. Cf. aussi P. Bourdieu, op. cit., p. 6.

35  L'emploi du langage figuré ou du langage àvocation administrative dans un discours des Comices n'est paradoxal qu'en apparence: seuls les quelques mots prosaïques lancés dans le discours sont saisissables par les paysans qui n'ont pas appris les figures. On rejoint ici l'analyse de R. Balibar, dans Les Français fictifs,Hachette, 1974. Instrument de domination, le langage figuré a sa place dans la stratégie discursive.

36  On peut être tenté d'identifier le référent de ce discours sur l'opposant à l'ouvrier des villes, et aux oppositions politiques des légitimistes, des républicains et socialistes à la Monarchie de Juillet. Le caractère mythique de l'opposant n'en reste pas moins certain.

37  . Ibid., p. 155.

38  Ibid., p. 158. Cf. aussi M. Crouzet, « Le style épique dans “Madame Bovary” », Europe, sept.oct.-nov. 1969, p. 167.

39  Soulignés par Thibaudet : « le tableau est à trois étages ( ... ). Et les trois étages se suivent comme dans une dialectique de l'idée reçue », G. Flaubert, Gallimard, 1935, p. 112.

40  Ibid., p.148.

41  Cf. ibid.,p. 150, l'entrelacement des discours. Cf. Flaubert: « Il faut que ça hurle par l'ensemble,qu'on entende à la fois des beuglements de taureaux, des soupirs d'amour et des phrases d'administrateurs » (Lettre à Louise Colet, 12 oct. 1853.)

42  J. Neefs, op. cit., p. 53. Cf. P. Bergougnioux, « Flaubert et l'autre ». Communications 19, p. 49-50 en particulier.

43  Ibid.,p. 146.

44  Ibid.,p. 151.

45  Ibid.,p. 152.

46  Ibid.,p. 149.

47  Ibid.,p. 145.

48  Ibid.,p. 149.

49  L'isotopie stylistique désignant « la récurrence d'une même connotation stylistique ». C.KerbratOrecchioni, op. cit.,p. 17.

50  On entendra par « redondance» les effets de redoublement du discours par lui-même.

51  L'effet rythmique est soutenu par le jeu des allitérations sifflantes - effet oratoire ct/ou contrepoint parodique - : cf. « diScorde Civile »/« enSanglantait »/« plaCes »/« S'endormant »/« Soir »/ « Sommeil»«paiSible »/« tocSins »/  « incendiaires »/ « maXimes » « SubverSives »/« Sapaient audaCieuSement les baSes ».

52  Outre les figures et clichés déjà mentionnés, cf. l'emploi de la tournure archaïque« que si » (S4), qui, jointe aux métaphores clichées et aux comparaisons de la séquence, connote la littérarité.

53  Métaphore qui, déjà clichée dans l'usage (et citée dans Le Grand Larousse du XIX' siècle à l'article « État »). renvoie aussi à la parole de M. Prudhomme»« Le char de l'État naviguc sur un volcan ». (H. Monnier et G. Vaez. Grandeur et décadence de M. Joseph Prudhomme. Théâtre contemporain illustré. M. Lévy frères. 1852. p. 17.) On peut citer un avatar de cette métaphore, en même temps que du discours du conseiller, dans le discours du maire de Champignac lors de la foire agricole de celle ville : « Et je suis heureux d'être aujourd'hui présent parmi vous, parmi toutes ces magnifiques bêtes à cornes à la tête desquelles monsieur le préfet nous fait l'honneur de s'asseoir, lui qui, debout à la proue du splendide troupeau de la race bovine du pays, tient, d'un œil lucide et vigilant... » «  … .le gouvernail dont les voiles. sous l'impulsion du magnifique cheval de trait indigène, entraînent, sur la route de la prospérité, le champignacien qui ne craint pas ses méandres [ ... ] », « Spirou et Fantasio », Le Prisonnier du Bouddha, par Franquin. Jidéhem et Greg. éd. Dupuis, p. 18. Cf. aussi la devise du maire de Champignac : « En avant vers le progrès », ibid., p. 63.

54  La parodie est définie par Dumarsais, Traité des Tropes, éd. Le Nouveau Commerce. 1977. p. 219- 220 : « Parodie signifie à la lettre un chant composé à l'imitation d'un autre: et, par extension, on donne le nom de parodie à un ouvrage en vers dans lequel on détourne, dans un sens railleur, des vers qu'un autre a faits dans une vue différente. [ ... ] L'idée de cet original et l'application qu'on en fait à un sujet d'un ordre moins sérieux, forment dans l'imagination un contraste qui la surprend, et c'est en cela que consiste la plaisanterie de la parodie.» L'effet parodique est ainsi à relier à la différence des contextes énonciatifs.

55  C. Kerbrat-Orecchioni, op. cit., p. 18.

56  Cf. M. Crouzet, op. cit., p. 151-172.

57  Madame Bovary. Nouvelle version, éd. cit., p. 362.