Servanne Monjour

Un récit de soi de l’autre côté du miroir :

le tournant photolittéraire de l’œuvre de Lydia Flem

Dans La Reine Alice, publié en 2011, l’essayiste et psychanalyste Lydia Flem revient sur le cancer et la chimiothérapie qui, pendant près d’un an, ont bouleversé sa vie. Elle réalise ainsi une première incursion du côté de la photolittérature, signant une autofiction surprenante inspirée de l’œuvre de Lewis Carroll et accompagnée de nombreux rébus photographiques. Tout en pudeur, le récit est placé sous le patronage d’Alice, héroïne de la littérature devenue pour un temps l’avatar de l’auteur, elle-même dépassée par la violence de la maladie et de ses traitements. Ainsi donc, il était une fois le cancer… Un soir d’été, à la veille des vacances, alors qu’elle essaie ses nouvelles robes devant son miroir, Alice découvre une masse suspecte contre son sein. Happée par son reflet, elle bascule « de l’autre côté de soi », entraînée par le Blanc Lapin dans un monde où la réalité se mêle aux fables inquiétantes de Lewis Carroll, Alice’s adventures in Wonderland et sa suite Through the Looking-Glass, transformées pour l’occasion en allégorie de l’hôpital et de ses protocoles de soin. C’est que la fiction reste finalement le moyen le plus efficace de reprendre pied dans le réel devenu trop instable, trop absurde – en un mot : irréel. En travaillant ce paradoxe qui oppose la réalité de l’irréel à l’irréalité du réel, mon intervention proposera une étude de La Reine Alice à partir du concept d’anamorphose. Je montrerai comment la structure anamorphique – conçue comme une poétique photolittéraire agissant tant au plan intertextuel qu’intericonique, et à plus forte raison encore au plan intermédial – permet d’appréhender ce brouillage des frontières entre « réel » et « imaginaire ».

Servanne Monjour est postdoctorante au sein de la Chaire de recherche du Canada sur les écritures numériques (Université de Montréal). Ses recherches portent sur les mythologies des médias à l’ère numérique. Elle est par ailleurs coordinatrice de la revue Sens public.