Quoique manifestement indissociable du déploiement de la pensée, le médium langagier de la philosophie reste souvent inaperçu dans les différentes pratiques de la discipline.
Les multiples formes dans lesquelles la philosophie contemporaine s’exprime – des écritures fragmentaires à la composition d’essais ; de la profération de leçons et conférences aux échanges avec les paires dans la presse et les médias – sont vite oubliées en faveur d’une cristallisation du discours abstrait en contenus conceptuels et structures logico-argumentatives.
La continuité et même la quotidienneté de l’exercice de la pensée, les dynamiques du corps à corps de l’écriture théorique avec le langage ordinaire, la porosité aux querelles et débats de toute vision théorique individuelle sont des aspects souvent effacés en faveur d’une identification du discours philosophique avec des contenus thétiques scellés par les œuvres imprimées.
L’équipe « Archives et écritures de la philosophie contemporaine » met au cœur de ses actions de recherche l’analyse des aspects scripturaux, littéraires et dialogiques de la genèse de la pensée, restituant les manuscrits théoriques à la situation de leur genèse, au contexte historico-culturel de leur production, et à la matérialité des pratiques professionnelle et rédactionnelles qui les ont engendrés.
Pour ce faire, l’équipe dispose d’un un capital méthodologique et conceptuel sédimenté grâce aux travaux de l’équipe Valéry de l’ITEM (dont elle hérite plusieurs membres et thématiques) et, plus récemment, de l’International Research Network AITIA (Archives of International Theory an Intercultural Approach).
Notamment, l’idée valéryenne de la philosophie en tant qu’« affaire de forme » ainsi que la vision valéyenne de l’écriture comme lieu de genèse de la pensée, inspirent la perspective théorique de l’équipe en tant que vecteurs d’une compréhension enrichie, philologique et incarnée de l’histoire de la philosophie contemporaine.
Le débat philosophique contemporain sur la littérature constitue le contre-champs naturel à un tel intérêt pour l’écriture de la théorie : les penseurs les plus sensibles aux arts du langage sont logiquement les plus conscients des enjeux d’expression propres à l’exercice de leur métier.
À travers l’étude d’un tel objet, l’équipe prolonge ainsi la visée méthodologique du projet AITIA en se penchant sur les manières dont les archives manuscrites, quoique traditionnellement organisées en fonds individuels, peuvent être interrogées afin de restituer la portée théorique d’un réseau d’échanges entre penseurs et, par là, témoigner des aspects intrinsèquement dialogiques de la genèse de la théorie.
Dans une telle perspective, le cas de la réception de Valéry dans l’œuvre de Merleau-Ponty et la philosophie de la littérature développée par ce dernier au sein d’un plus vaste débat de l’après-guerre français, fournissent à l’équipe un case study relevant pour comprendre la relation entre les archives d’un auteur (manuscrits, bibliothèque, presse) et la pluralité des débats et échanges ses contemporains.
De l’expérience de recherche de l’IRN AITIA, l’équipe prolonge également le travail de réflexion théorique sur les archives et les archives intellectuelles en contexte extra-européen et Indien notamment, ancrant une telle pondération dans une vision transculturelle de la philosophie dépassant dans la pratique de la recherche les limites d’un eurocentrisme théorique obsolète.