Ces dernières années, le multilinguisme est devenu un enjeu international important car il est perçu par ceux qui le défendent comme une solution au problème de la disparition de nombreuses langues. Ce problème menace la diversité culturelle du monde, en vouant à la disparition un nombre de langues très important, qui consistent en autant de façons différentes de voir, d’appréhender, de classifier et d’établir des relations entre les choses. On sait en effet que entre 50 % et 90% des langues sont menacées d’extinction et devraient disparaître d’ici 50 ans[1].

La conscience des enjeux du multilinguisme mis en lumière par la communauté internationale[2] a amené les chercheurs à s’y intéresser de plus près, notamment dans le domaine de la neurolinguistique[3]. Depuis les années 2000, a émergé tout un champs d’étude sur le cerveau de sujets plurilingues. Ce domaine d’étude est d’autant plus important que, comme on le sait, les locuteurs unilingues représentent une minorité dans la population mondiale. Les premiers résultats de ces recherches montrent que les sujets bilingues et plurilingues possèdent un certain nombre d’avantages cognitifs par rapport aux locuteurs unilingues. Toutefois, ces recherches ne touchent pas au domaine de l’écriture.

La sociolinguisitique étudie le multilinguisme depuis plusieurs décennies et les travaux dans ce domaine sont nombreux. Pourtant, ils portent exclusivement sur le langage oral et sont intrinsèquement liées aux questions politiques comme la politique linguistique d’un état, les problèmes identitaires, l’enseignement des langues minoritaires, etc.

Les psycholinguistes quant à eux s’intéressent à la question du multilinguisme dans le cadre de leurs recherches sur l’acquisition du langage. Leurs données très précieuses pour la compréhension des processus acquisitionnels et développementaux, laissent en marge l’étude du fonctionnement cognitif de l’adulte et ignorent le domaine de l’écrit.

Depuis quelques années, ont émergé les recherches sur la créativité en psychologie cognitive, mais elles n’ont pas adopté la perspective multilingue[4].

Au jour d’aujourd’hui, le seul domaine qui a pris comme l’objet le multilinguisme dans le domaine de l’écrit et de la créativité des sujets multilingues est le domaine littéraire. Cependant, jusqu’à présent, l’approche critique de la production des écrivains plurilingues s’est le plus souvent limitée à l’analyse des œuvres publiées[5] en laissant en marge les manuscrits qui donnent au chercheur un accès privilégié aux traces des processus sous-jacents à la création. Les recherches qui seront menées dans le cadre du projet Multilinguisme et créativité se proposent de remplir cette lacune.

[1] C. Grinvald, « La disparition des langues », in M. Vidard (éd.), L’Abécédaire Scientifique des Curieux, Paris, France-Inter/Editions Sciences Humaines, 2009.

[2] Voir à ce sujet le Rapport sur la Contribution du multilinguisme à la créativité, la Direction générale Education et Culture de la Commission européenne (Contrat de services publics n° EACEA/2007/3995/2) et les actes des 1ères Assises européennes du plurilinguisme : F.-X. d’Aligny et alii (dir.), Plurilinguisme, interculturalité et emploi : Défis pour l’Europe, Paris, l’Harmattan, 2009.

[3] M. Paradis, A neurolinguistic theory of bilingualism, Amsterdam, John Benjamins, 2004.

[4] T. Lubart et alii, Psychologie de la créativité, Paris, Armand Colin, 2003 et le programme ANR CREAPRO 2009-2012.

[5] Voir, à titre d’exemple, A. Gasquet et M. Suárez (éds.), Écrivains multilingues et écritures métisse : l’hospitalité des langues, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2007. M. Oustinoff, Bilinguisme d’écriture et auto-traduction, Julien Green, Samuel Beckett, Vladimir Nabokov, Paris, L’Harmattan, 2001. S. Benson, Les aventuriers de la langue fourchue : l’écriture multilingue et la désintégration de l’espace colonial, Thèse de doctorat, Université de Bordeaux III, 2011.