Séminaire Schwarz-Bart / 2021-2023

31/03/2023, Séance en visio, de 14h à 16h.

Depuis son apparition dans le premier chapitre de la seconde partie, alors que sa mère Bayangumay caresse « la plénitude rassurante de s[e]s lèvres, qui évoquaient l’Afrique » (50) jusqu’à sa disparition dans l’excipit alors qu’« elle éclat[e] en un curieux rire de gorge, un roucoulement léger » (152), c’est par la synecdoque de la bouche que se manifeste la figure éponyme de Solitude. La bouche de l’héroïne fait ainsi figure de frontière anatomique (Bruno Faux, 2008) tout autant qu’anthropologique entre le temps ancestral d’une Afrique mythique au début du roman et le temps actuel à la fin du récit, auquel les points de suspension retirent toute délimitation (151). On perçoit pourtant très vite le paradoxe d’une parole défaillante lorsqu’elle s’avère publique. Tantôt marquée par des difficultés d’élocution et des bégaiements qui éveillent la suspicion du mulâtre Polycarpe, tantôt prenant la forme de « petits cris d’animaux » (98), cette parole contraste avec celle plus gracieuse des « chansons à la mode » (88) ou celles des pensées rapportées, où la minutie des détails énumérés tout au long de la peinture du visage de Man Bobette (53) suscite l’hébétude du lecteur.

Montrer que l’intérêt du personnage de Solitude joue sur les ressorts d’une communication publique défaillante, qui contraste avec la richesse et la plénitude de sa parole intime, tel est l’objectif de cette communication, dont le déploiement vise à répondre à cette énigme : mais pourquoi Solitude bégaie-telle dès qu’elle ouvre la bouche ? Pourquoi l’héroïne peine-t-elle tellement à s’exprimer clairement (cris, raclements dans la gorge, paroles étouffées) ? Nous formulons l’hypothèse selon laquelle la défaillance de la parole de Solitude rend peut-être compte en creux de son incapacité à dire pleinement le monde, dans lequel l’héroïne fait figure d’Absente (Hamot, 2019).

Les manifestations physiologiques de cette parole empêchée dissimulent un enjeu ontologique, dont le dévoilement bouscule la relation poétique entre Solitude et la galerie de personnages qui gravitent autour d’elle.