Séminaire Manuscrits francophones : Littératures du Sud - Le processus de fabrication / 2023

14/06/2023, ENS (salle Jaurès, bâtiment Jaurès 29 rue d’Ulm)

Comment appréhender  – et comment éditer aussi ? – une œuvre qui contient dans sa matrice même un projet en constant devenir que l’auteur définit comme « roman perpétuel », mais qui reste inaboutie dans sa finalité et interrompue dans sa réalisation ?

Le roman autobiographique de Jean Sénac, Ébauche du père, publié de façon posthume en 1989 – seize années après à la disparition de son auteur – est en réalité le fruit d’une reconstitution qui reste incomplète à bien des égards, et qu’il nous faut poursuivre dans sa dimension génétique, à partir du manuscrit et des notes se trouvant dans le Fonds Jean Sénac de la Bibliothèque nationale d’Alger. Ébauche du père, titre finalement choisi parmi différentes versions, devait en réalité compter pas moins de onze volumes selon un plan rédigé par l’auteur, et dont les différents chapitres furent eux-mêmes ébauchés suite à l’élaboration du premier volume, Pour en finir avec l’enfance. Il s’agira donc, dans cette présentation, de s’intéresser à la nature liminaire du roman manuscrit, tel qu’il existe dans sa forme publiée, et de le réinsérer dans une génétique ainsi que dans une continuité biographique et littéraire qui révèlera une intertextualité entre certains chapitres inédits, dont Oran de l’aube—texte qui précède en réalité l’élaboration du roman, et dont un extrait fut publié dans la revue Simoun en 1957—et l’essai d’Albert Camus Le Minotaure ou la halte d’Oran, rédigé en 1939 et publié par les éditions Charlot en 1950.

Intéressant également de s’interroger sur la nature de ce que l’auteur nomme ses « Poubelles précieuses » et qu’il mentionne dans son roman comme des « frontières » (entre le brouillon et l’œuvre aboutie ? le dicible et l’indicible ? le germe et la ruine ?) et qui constituent en réalité un autre manuscrit d’une ampleur aussi conséquente que celui du roman.

Une fois replacé ainsi dans son contexte génétique, le « texte perpétuel » s’en trouve alimenté par ses propres déchets (qu’il faudra distinguer de ceux qui le sont devenus par décrets éditoriaux), résidus et restances qui assurent sa perpétuité dans l’inachèvement, dès lors appréhendé comme une dynamique créatrice.

Camille Tchéro, titulaire d’un master de littérature comparée sur L’absence du père dans l’œuvre de Jean Sénac, est enseignante dans le secondaire à Toulouse. Dans le cadre d’une thèse restée inachevée, elle a bénéficié en 2013 d’une bourse de mobilité du réseau de coopération interuniversitaire LaFEF pour travailler durant un trimestre sur les manuscrits d’Ebauche du père conservés à la Bibliothèque nationale d’Algérie.

Kaï Krienke, Docteur en littérature comparée du centre d’études supérieures (Graduate Center) de l’Université de la ville de New York (CUNY). Il a publié plusieurs études sur l’œuvre de Jean Sénac, ainsi que des traductions en anglais, notamment son manifeste Le Soleil sous les armes, sa correspondance avec Mohammed Dib, et l’ouvrage de Hamid Nacer-Khodja, Albert Camus, Jean Sénac ou le fils rebelle. Il est actuellement maître de conférences à CUNY, College of Staten Island. Dernier ouvrage, présentation du PIM Suite oranaise de Jean Sénac, El Kalima éditions, Alger, juin 2023.

Lien zoom sur demande à claire.riffard@cnrs.fr